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mercredi 13 août 2014

En quatrième vitesse - Kiss Me Deadly, Robert Aldrich (1955)

Mike Hammer est un détective privé cynique, spécialisé dans les affaires de divorce, qui utilise de temps à autre son assistante pour l’aider dans ses magouilles poisseuses. Quand il prend en stop, de nuit, une femme qui finira torturée à mort, Hammer décide de se lancer dans une enquête que la police lui conseille vivement d’éviter. Hammer passe outre les avertissements; et de cadavres en cadavres découvre une boîte mystérieuse, sujet de toutes les convoitises. Il se rend compte, trop tard, qu’il s’est embarqué dans une affaire qui dépasse ses compétences.

En quatrième vitesse est le troisième film de Robert Aldrich et s’inscrit dans ce fabuleux début de carrière où en deux ans il alignera Bronco Apache (1954), Vera Cruz (1954), Le Grand Couteau (1955) et Attaque (1956). Dans chacun de ces films, il s’agit de s’attaquer un genre hollywoodien emblématique et de le bousculer pour l’emmener ailleurs tout en s’inscrivant dans ses codes. Vera Cruz se dote ainsi d’un cynisme et d’une brutalité préfigurant le western spaghetti, Attaque malmène l’héroïsme et le patriotisme pour faire de l’armée une entité inhumaine et monstrueuse et dans Le Grand Couteau c’est l’industrie hollywoodienne elle-même qui est malmenée, premier volet du cycle qu’il consacrera au monde du spectacle avec Qu’est-il arrivé à Baby Jane (1962), Le Démon des Femmes (1968) et Faut-il tuer Sister George ? (1968). 

Avec En quatrième vitesse, il s’agira pour Aldrich de s’approprier le film noir. Le projet est proposé à Aldrich au sortir du succès de Vera Cruz par le producteur/réalisateur Victor Saville qui possède alors les droits des romans de Mickey Spillane et du personnage de Mike Hammer. Peu friand de ce genre de littérature, Aldrich accepte le projet à condition de pouvoir plier le sujet à sa guise. Demande acceptée par Saville et qui donnera une adaptation aussi particulière que mémorable du Kiss me Deadly de Mickey Spillane.

L’extraordinaire scène d’ouverture nous fait d’emblée comprendre que l’on ne va pas se trouver devant un film noir classique. Une femme dont on verra d’abord les pieds court à perdre haleine et apeurée sur une autoroute déserte, seulement vêtue d’un imperméable. Elle tente en vain d’arrêter une voiture et ce n’est qu’en se plaçant au milieu de la route que dans un crissement de pneu qu'une daigne enfin s’arrêter et l’emmener. Son conducteur : Mike Hammer (Ralph Meeker). Le générique poursuit l’étrangeté du moment en défilant à l’envers au rythme du I'd Rather Have the Blues de Nat King Cole et des halètements essoufflés et très sexués de la passagère tandis que la route est à peine visible dans une nuit noire claustrophobique.

 Après l’étrange, le cauchemar lorsque Hammer et la jeune femme sont capturés par d’inquiétant individus dont on ne verra que les pieds et qui la torture dans une scène suggestive mais glaçante. Laissé pour mort, Hammer survit miraculeusement et va tout faire pour respecter la promesse faite à la malheureuse : « Remember Me ».

Après pareille entrée en matière, Aldrich va exacerber absolument tous les motifs du film noir. Le déroulement de l’enquête va s’avérer encore plus incompréhensible et tortueux que Le Grand Sommeil (1946), la violence plus outrée, l’environnement urbain plus fantomatique et abstrait encore qu’à l’accoutumée. Tout semble poussé à son paroxysme grotesque et inquiétant pour accentuer la sensation de dégénérescence outrée du genre jusqu’à l’implosion. Symbole de cette outrance, le personnage fort malmené de Mike Hammer. 

N’ayant guère d’estime pour son héros, Aldrich lui ôte toute aura héroïque en modifiant grandement le roman. Spillane faisait par exemple sauter Hammer de la voiture en marche lors de la tentative de meurtre d’ouverture alors qu’à l’écran la voiture tombe dans un ravin et qu’une simple ellipse voit notre héros se réveiller miraculeusement à l’hôpital sans que l’on n’ait su comment. Aldrich amène presque une distance ironique dans cette convention affichée de faire survivre Hammer et fera de même lorsqu’il se relève d’une balle à bout portant à la fin. 

Incapable de se sauver lui-même, Hammer est surtout un danger pour son entourage qu’il manipule afin d’atteindre son objectif et sème les cadavres parmi ses amis. Le détachement et le cynisme du personnage n’ont pas de limite, entre autre pour sa fidèle assistante Velda (Maxine Cooper) qu’il envoie dans les pattes de maris infidèles pour de sordides affaires de divorce puis dans ceux des dangereux criminels poursuivis. Aldrich dans un premier temps exacerbe sa virilité toute puissante : les femmes se pâment d’amour à sa seule vue, les hommes de main tombent d’un coup de poing bien sentis et les suspects se mettent à table terrorisés au bout de quelques gifles. Tout cela suffirait dans un film noir de série mais il n’en est rien, notamment par le traitement du cadre du récit.

Le roman de Spillane se déroulait à New York, ville à l’urbanité bien identifiée au cinéma et Aldrich transpose l’intrigue à Los Angeles. La Cité des Anges, plus artificielle se voit dépeinte dans un traitement abstrait où l’horizon semble toujours absente, où le danger et la menace potentielle du hors-champs est permanente. La scène d’ouverture et sa ligne d’autoroute blanche dans l’obscurité annonce le Mulholland Drive (2001) de David Lynch, les extérieurs existent plus par leur symbole marqués (la maison sur la plage) que par les plans d’ensemble absents pour les mettre en valeur et les intérieurs forment constamment des enchâssements de cadre dans le cadre accentuant la claustrophobie.

La tonalité est absolument inédite et s’expliquera par la nature du McGuffin poursuivi qui l’est tout autant. Dans le roman, tous poursuivent une cargaison de drogues et d’argent quand Aldrich convoque carrément la menace nucléaire (jamais ouvertement nommé) avec une mystérieuse boite dégageant une chaleur et lumière aveuglante ainsi qu’une puissance qui s’avérera dévastatrice dans la scène finale. 

Mike Hammer, sa brutalité, son égoïsme et inculture va s’avérer totalement dépassé face à ce danger et une démonstration de puissance qui convoque la mythologie et la religion pour exprimer ses peurs (la boite de Pandore ouvertement citée, tout comme la femme de Loth préfigurant le Sodome et Gomorrhe que réalisera Aldrich en 1962). Outrancier, imprévisible et étrange, Kiss Me Deadly est un classique sans équivalent du film noir.

Sorti en dvd zone 2 français et en bluray chez Carlotta

4 commentaires:

  1. C'est que ça a l'air génial, ce film... Merci pour la recommandation.
    Décidément, ce blog est une mine d'or toujours renouvelée...

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  2. Merci Emma, effectivement ça ne ressemble vraiment a rien d'autre ça devrait être une belle surprise je pense en plus l'édition Carlotta est très bonne j'ai vraiment redécouvert le film avec cette belle copie, sacrées ambiance nocturnes !

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  3. L'héroïne, nue son son imperméable, court sur une "Lost Highway" dont les bandes blanches rappellent les perforations de la pellicule, autre ruban de rêves, et la mystérieuse boîte bleue de Lynch, dont l'ouverture avale, littéralement, la route de Mulholland (et le film avec), ressemble à celle, explosive, d'Aldrich.
    Autre explosion dédoublée : celle de la maison sur la plage, bientôt suivie en écho par celle de la villa dans "Zabriskie Point", autre mise à sac des mythes américains (et du cinéma qui les véhicule).
    Il s'agit bien de donner un baiser mortel à l'imaginaire du film noir, de tout faire sauter dans les images,en une tentative méta et réflexive pour les revivifier, ou les achever en beauté, par un chant du cygne lié à la guerre froide (et à la tension nucléaire), à la crise de la société de consommation, au recyclage postmoderne à l'heure du tout numérique...

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  4. Oui on ressent un lien évident à "Mullholand Drive" qui est venu piocher chez Aldrich une part de son étrangeté post-moderne (avec le "Sunset Boulevard" de Wilder).

    Toujours pas vu "Zabriskie Point" par contre une lacune à corriger au plus vite sans doute...

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