Pages

mardi 9 septembre 2014

Le Samouraï - Jean-Pierre Melville (1967)

Jeff Costello, dit le Samouraï est un tueur à gages. Alors qu'il sort du bureau où git le cadavre de Martey, sa dernière cible, il croise la pianiste du club, Valérie. En dépit d'un bon alibi, il est suspecté du meurtre par le commissaire chargé de l'enquête. Lorsqu'elle est interrogée par celui-ci, la pianiste feint ne pas le reconnaître. Relâché, Jeff cherche à comprendre la raison pour laquelle la jeune femme a agi de la sorte.

Le Samouraï est sans aucun doute la pierre angulaire de la filmographie de Melville, l’œuvre qui définit pour de bon un style qui ne doit plus rien à personne. Tous les précédents polars (Bob le flambeur (1955), Deux hommes dans Manhattan (1959), Le Doulos (1962), Le Deuxième Souffle (1966)) du réalisateur tendirent progressivement vers l’épure du Samouraï, l’obsession pour les Etats-Unis et la nature référentielle des intrigues s’estompant pour un style de plus en plus unique. Melville avait rompu dans la douleur avec le partenaire de ses premiers chefs d’œuvre (Léon Morin, prêtre (1961) et Le Doulos), Jean-Paul Belmondo quittant avec fracas le tournage de L'Aîné des Ferchaux (1963) après avoir giflé le réalisateur suite à une agression verbale de trop envers le malheureux Charles Vanel. Si Belmondo représentait la facette amusée et truculente de Melville, celui-ci allait se trouver un autre double de cinéma avec Alain Delon illustrant parfaitement sa facette froide et énigmatique. Melville avait déjà approché Delon pour L'Aîné des Ferchaux qui avait décliné la proposition, tout comme l’adaptation du roman Main pleine de Pierre-Vial Lesou (finalement signé Michelle Deville sous le titre de Lucky Jo (1964). Melville lui propose finalement un scénario original qui dormait dans ses tiroirs et qu’il viendra lire chez la star qui fascinée par l’épure des premières scènes sans dialogues accepte avant même d’être arrivé au bout du script. Melville lui en donnera alors le titre, Le Samouraï et dans la foulée Delon l’emmènera dans sa chambre dont l’austérité et l’ameublement ascétique (et où trône un sabre !) montre bien à quel point les deux semblent s’être bien trouvé.

Le long et lent générique d’ouverture montre Jeff Costello (Alain Delon) allongé le lit de sa chambre grise et austère, immobile. Déjà économe de ses gestes et entièrement dévoué à sa tâche, le personnage ne daigne esquisser un geste avant que film ne démarre réellement. Il s’écoulera ainsi près de sept minutes presque totalement muette où en le voyant constituer les éléments de sa mission à venir (véhicule, armes, alibis) dans des lieux et face à des personnages divers, on devine la nature de ses activités criminelles. Cela se confirmera lorsqu’il s’introduira, silhouette anonyme en feutre et chapeau, pour froidement assassiner un homme dans un club. 

Tous les éléments de son énigmatique périple initial s’emboitent alors pour constituer l’alibi imparable qui le dédouanera, montrant la méticulosité implacable du personnage. Alain Delon est absolument fascinant, à la fois présent et absent. Le professionnel glacial se dispute à l’homme en émoi voyant son organisation rigoureuse mise à mal, puisque le film sera un chassé- croisé entre la police qui le soupçonne sans avoir pu le coincer et ses commanditaires cherchant à l’éliminer. Costello parvient ainsi à imposer une aura insaisissable où il est impossible à des témoins de l’identifier, ce sang-froid inhumain se retournant également contre lui car mettant la puce à l’oreille du commissaire (François Périer) stupéfait par tant de maîtrise.

Melville s’en tient au squelette de cette intrigue qu’il n’étoffe pas plus, que ce soit dans la caractérisation des personnages ou dans l’illustration de l’environnement. Il faut attendre la scène d’interrogatoire pour savoir comment se nomme Delon, tout comme sa dévouée maîtresse Jeanne Lagrange (Nathalie Delon) quand certains sont tout juste réduit à leur fonction comme le commissaire, la pianiste (Caty Rosier) ou l’homme de main (Jacques Leroy). 

On est loin également des cadres urbains vivant et bien identifiable des polars précédents, Melville se partageant entre intérieurs stylisés (tournage dans les Studios Jenner appartenant à Melville) et un Paris fantomatique (où la photo désaturée de  Henri Decaë semble s'être délesté de tout semblant de couleur vive) se résumant à des ruelles désertes à la dérobée où erre comme un spectre Costello. Il y aura bien une haletante scène de filature dans le métro entre Jeff et la police (nul doute que Friedkin a dû s’en inspirer pour son French Connection (1971)) mais là aussi le monde extérieur ne semble pas exister, le moindre figurant dissimulant un policier traquant notre héros et les lieux étant le simple théâtre de cette partie d'échec. Melville s’absout désormais totalement de ses influences passées et du cadre contemporain pour ne plus filmer le monde, mais SON monde. 

C’est un univers aussi abstrait que les figures qui y déambulent, des hommes déterminés et intuitifs entièrement dévoués à leurs objectifs. François Périer, truculent et tenace policier va ainsi se convaincre de la culpabilité de Jeff sans la moindre preuve et usera de tous les moyens pour prouver son intuition (et annonce le Bourvil du Cercle Rouge (1970) tandis que Costello ne pensera jamais à fuir et cherchera jusqu’au bout et maladivement à rétablir son équilibre initial. Celui-ci semble représenter par l’oiseau qu’il abrite dans sa chambre, seul être pour lequel il semble montrer un semblant d’attention. 

L’agitation du volatile lui indiquera ainsi que son sanctuaire a été violé et que plus rien ne sera comme avant. Ne reste plus qu’à faire payer les responsables et disparaître volontairement dans une troublante séquence finale suicidaire. Le score minimaliste, jazzy et psychédélique de François de Roubaix, illustre parfaitement le tourment retenu de Costello par sa froideur synthétique. Un chef d’œuvre du polar à l’influence considérable, de The Killer (1989) de John Woo, The Driver de Walter Hill et sa récentedélicnaison  Drive (2011) de Nicolas Winding Refn.

Sorti en dvd zone 2 français et blu ray chez Pathé dans une restauration discutable donc peut être plus se tourner éventuellement vers l'édition Criterion en zone 1

7 commentaires:

  1. Bon rappel du passage de Belmondo à Delon.
    Faussement glacé, ou alors à la manière de Laclos, "Le Samouraï" constitue avec "Un flic" le diptyque ritualisé, funèbre et amoureux de la relation fantasmatique entre l'acteur et le réalisateur.
    Pour une autre approche :
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/les-ombres-sans-larmee-sur-deux-films.html?view=magazine

    RépondreSupprimer
  2. Oui même si "Un Flic" est beaucoup moins équilibré et pousse un peu trop le principe jusqu'à l'abstraction désincarnée, vraiment décevant ce dernier film après pareille filmo j'en avais parlé ici

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2011/08/un-flic-jean-pierre-melville-1972.html

    Bon texte comme vous je pense aussi qu'il y a vraiment un rapprochement à faire avec le Friedkin dans l'atmosphère urbaine. Avez vous vu "The Driver" de Walter Hill ? Je trouve vraiment que c'est une des plus belles variations du Melville (bien meilleur que Drive qui l'a bien pillé) j'en avais parlé là

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2010/05/driver-walter-hill-1978.html

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hill, ancien monteur de Peckinpah, 'assure' indubitablement, loin derrière Friedkin, toutefois ("French Connection", mais aussi les dantesques "Police fédérale Los Angeles" et "Jade").
      Ne garde pas un grand souvenir du "Solitaire" de Mann -
      Quant à Michael Small, il signa aussi la belle partition mélancolique des "Femmes de Stepford" :

      http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/les-femmes-de-stepford-une-femme-sous.html?view=magazine

      Troublante ressemblance physique entre O'Neal et Gosling...

      Supprimer
  3. Les meilleurs Hill vieillissent plutôt bien je trouve dans l'ensemble entre "Sans Retour", "Le Bagarreur", "48 heures" ou Extrême Préjudice" (son tribut au parrain Peckinpah) il a vraiment une filmo d'une belle tenue. "Le Solitaire" c'est mon Mann favori tout ce que j'aime chez lui mais brut de décoffrage, à revoir à l'occasion le film sera réédité par Wild Side en fin d'année à de redécouvri ça en blue ray, j'en parlais ici

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2011/01/le-solitaire-thief-michael-mann-1981.html

    Effectivement comme en air entre O'Neal et Gosling même si le premier (loin d'être l'acteur le plus badass de cette décennie pourtant) en impose plus que Gosling. Mais bon même si j'apprécie le film j'ai de grosse réserves sur Drive je préfère les matrices de Melville, Hill et Mann le cynisme de Refn tue un peu le film qui était prometteur (je trouve vraiment la première moitié exceptionnelle et je décroche avec la surenchère qui suit malgré quelques fulgurances).

    RépondreSupprimer
  4. Incroyable ce film oui, mais tellement froid! Je suis ça de manière très détachée. Personnellement, je préfère largement le Cercle Rouge.

    Et je préfère limite le remake de Jarmush!

    RépondreSupprimer
  5. Ah oui j'avais oublié Ghost Dog dans les grosses influences super film et quasi remake effectivement ! Si vous trouvez "Le Samourai" froid, "Un Flic" c'est un iceberg" ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crois que je l'ai pas vu. Enfin je chipote mais le Samouraï c'est quand même très bien

      Supprimer