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jeudi 13 novembre 2014

La Conquête du bout du monde - They're a Weird Mob, Michael Powell (1966)

 Nino Culotta, journaliste sportif italien, part en Australie où il espère devenir chroniqueur au journal de son cousin "la Seconda Madre". Mais celui-ci, couvert de dettes, s'est enfui. Nino s'engage à tout rembourser, multipliant les emplois. Engagé sur un chantier de construction, il découvre la vie quotidienne des ouvriers, aux antipodes de ce qu'il a pu connaître jusqu'alors. Il fait également la connaissance de Kay, une jeune australienne dont il tombe amoureux…

Après l'énorme scandale provoqué par Le Voyeur en 1960, Michael Powell fut littéralement mis au ban du cinéma anglais voyant sa carrière quasiment stoppée du jour au lendemain. C'en était fini des projets ambitieux d'antan des Archers, la séparation avec son partenaire Emeric Pressburger étant même scellée à l’occasion de ce film controversé auquel il ne croyait pas. Les réalisations de Powell se firent ainsi sporadiques et confidentielles comme The Queen’s Guards (1961) ou le téléfilm allemand Le Château de Barbe-Bleue (1964). Ce dernier signalait ainsi que l’exil semblait le seul moyen pour le réalisateur de faire son métier en ces heures difficiles et nous amène au diptyque australien que constituera l’enchaînement de They're a Weird Mob et Age of Consent (1969). They’re Weird Mob est l’adaptation du best-seller (paru en 1957) de l’auteur australien John O'Grady où il narrait de façon amusée la difficile intégration de l’émigrant italien Nino Culotta aux mœurs du pays. 

Ce regard tendre et amusé (qu’O’Grady signe d’ailleurs le livre sous le pseudonyme de Nino Culotta) fit un véritable triomphe et attira bien évidemment la curiosité du cinéma. Gregory Peck acquis les droits de l’ouvrage dès 1959 sans pouvoir les concrétiser en film. Michael Powell qui avait lu le roman au début des 60’s fut immédiatement emballé par le sujet mais dut donc attendre trois ans avant de pouvoir en obtenir les droits à son tour. Il allait alors convoquer une ultime fois – pour le cinéma du moins les deux collaborant une dernière fois sur The Boy Who Turned Yellow (1972) – son vieux complice Pressburger qui en écrirait le scénario sous le pseudonyme Richard Imrie. 

Le film désarçonne lors de ses premières minutes par son ton rigolard, ses gags bien appuyés mettant en boite la singularité géographique, linguistique et culturelle des australiens. Une manière de nous emmener ailleurs dans un grand éclat de rire avant que ce regard ne se fasse plus tendre et amusé à travers le regard de l’étranger, Nino Cullota (Walter Chiari). On retrouve en fait ici sur un ton plus amusé le regard d’explorateur et d’anthropologue qui court sur de nombreux films de Powell. Le réalisateur se sera souvent attaché à l’immersion au sein de certaines communautés isolées qu’il confrontait à un monde changeant, à une modernité vue comme un danger, en particulier par l’arrivée de l’étranger

À l'angle du monde (1937), œuvre quasi documentaire et sous haute influence de Flaherty montrait ainsi l’hésitation entre départ inéluctable et maintien des traditions pour les habitants d’une petite île des Hébrides. A Canterbury Tale (1944) voyait la fraternité possible mais aussi le repli sur soi entre trois soldats américains de passage et les habitants d’un village du Kent. On pourra également citer la confrontation entre la turbulente citadine de Je sais où je vais (1945) et les joyeux insulaires de l’île de Mull et inutile de revenir sur le versant ouvertement dépaysant de cette thématique avec le flamboyant Le Narcisse Noir.
  
They’re weird mob troque la dimension d’épopée des films précités pour une tonalité plus légère et picaresque. Powell se moque même en ouverture de cette idée de destination aux antipodes qu’évoque l’Australie avec son globe terrestre inversé et des premières images du pays à l’envers. Les films précédents effectuaient un contraste permanent entre le gigantisme de ces territoires inconnus et les questionnements intérieurs des personnages. Moins ambitieux et surtout respectueux du ton du roman, They’re weird mob en reste à un visuel assez touristique dans l’ensemble et c’est surtout par l’humain et le choc des cultures que se ressentira le dépaysement. Cela s’inscrit dans le projet même du récit puisque le choc n’est pas seulement culturel, mais social. Nino est plutôt un intellectuel ayant quitté l’Italie dans l’idée de prolonger son activité de journaliste à un niveau plus élevé en étant codirigeant de la revue de son cousin.

Il adopte une attitude distinguée qu’il va devoir mettre de côté puisque les déconvenues l’amèneront à exercer des métiers autrement plus manuels sur les chantiers de construction. L’exotisme repose ainsi autant sur les expressions et mœurs locales que Nino ne maîtrise pas que sur les manières rudes et le ton gouailleur de ce milieu ouvrier et populaire qui lui est inconnu même dans son propre pays. Tous les premiers pas de Nino en Australie se voient donc sous ces deux angles tel la rencontre dans les locaux vides de l’entreprise où il ne cesse en éphémère maître de nettoyer les saletés faite par les ouvriers. 

Une des plus belles scènes d’A Canterbury Tale voyait le soldat américain et un charron anglais faire disparaitre leur différence dans une chaleureuse discussion sur la culture du bois. L’amour du travail bien fait était une source de rapprochement où une fraternité, une amitié au-delà des frontières était possible. C’est de cette même manière que Nino va à son tour pouvoir s’intégrer. Walter Chiari dégage un vrai capital sympathie et Nino la différence sociale naît plus de la maladresse de Nino que d’une arrogance qu’il n’aura jamais. 

Volontaire et travailleur malgré ses aptitudes limitées et son physique frêle, il suscitera toujours la bienveillance des locaux dans des séquences où Powell prolonge ce ton ludique et positif plutôt que faire dans le mélodrame forcé. La scène où tous les employé de l’hôtel s’immisce dans la conversation téléphonique de Nino durant son entretien d’embauche pour l’aider est une pure merveille, tout comme les laborieux premiers travaux manuels de notre héros où sous la maladresse son abnégation laisse admiratif son partenaire de chantier. 

C’est de la même manière qu’il va progressivement séduire sa créancière nantie Kay (Claire Dunne), intriguée par cet étranger qui fait tout pour la rembourser, aussi ridicules soient les mensualités. La méfiance et le racisme latent ne sont absents pour autant - d’autant que l’Australie connaîtra un pic d’immigration en 1960 et 1970 suscitant forcément ce type de réaction – mais ces attitudes sont constamment désamorcées par la bonhomie de Nino, par l’image d’intégration véhiculée par les autres personnages d’émigrants (la famille italienne tenant un restaurant) ou par un gag potache tel ce quidam alcoolisé qui va manquer de se noyer après avoir invectivé les « étrangers ».

La solidarité et l’entité unie que constitue le groupe de travailleurs – Powell retrouvant sa rigueur documentaire pour dépeindre dans le détail les différentes étapes de ces travaux de construction dont l’aménagement de terrain - s’exprimera ainsi dans les beuveries épiques au pub mais également dans les services rendus où leur savoir-faire servira à effectuer des travaux chez un camarade jeune marié.

La spontanéité est vraiment la plus grande qualité du film, Powell ne jouant d’aucune ficelle dramatique grossière et rendant naturelle l’assimilation de celui qui a fait tous les efforts pour se fondre dans son pays d’adoption – l’Australian Dream adoptant à son échelle les codes de son équivalent américain, l’assimilation se faisant aussi par l’achat d’un lopin de terre. La romance entre Nino et Kay est ainsi d’une limpidité et d’un charme fou, le franc parler étant la meilleure arme pour se faire accepter à l’image de cette truculente première rencontre avec le beau-père. L’ultime séquence s’avère donc emblématique de cette disparition des frontières géographiques et sociales.

Présentant sa fiancée à ses amis, Nino remarque que ces derniers sont empruntés et peu naturels face à cette fille « de la haute ». Il va interrompre le concert des banalités par un tonitruant Bring out the bloody beer ! qui va permettre à tout le monde de se dérider dans un concert d’ouverture de canettes. Jurant comme un pur aussie, sans gêne face aux nantis comme aux travailleurs, Nino est définitivement chez lui. Plus modeste certes que les grands chefs d’œuvres passé, mais un des films les plus attachant de Powell. 

Sorti en dvd zone 2  français chez Elephant Films


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