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mardi 30 décembre 2014

Les Diables - The Devils, Ken Russell (1971)

Au 17ème siècle, en France. La ville de Loudun se retrouve sous la menace du Cardinal Richelieu (Christopher Logue), soucieux de soumettre les villes fortifiées pour étendre son pouvoir et celui du Roi Louis XIII (Graham Armitage). Le prêtre Urbain Grandier (Oliver Reed), temporairement responsable de Loudun suite au décès de son gouverneur, s’oppose fermement au Baron de Laubardemont (Dudley Sutton) et à ses sbires, venus détruire les fortifications de la ville. Mais la situation se complique lorsque la mère supérieure Jeanne des Anges (Vanessa Redgrave), membre du couvent de Loudun, est sujette à des fantasmes et délires hallucinatoires, résultant de son attirance pour Grandier. Des opposants de ce dernier vont alors chercher à utiliser le témoignage de sœur Jeanne pour décrédibiliser le prêtre…

My most, indeed my only, political film. C’est en ces termes que Ken Russell définit The Devils, le film le plus controversé de sa carrière et un de ses chefs d’œuvre. Le projet arrive à point nommé pour Russell qui aura distillé son sens de la provocation avec une audace croissante au fil de ses premières productions de cinéma - déjà latente dans ses documentaires pour la télévision dont Dance of the Seven Veils un consacré à Richard Strauss et où il associe le compositeur à un nazi. Un cerveau d'un milliard de dollars (1967) amenait une folie et un excès contagieux dans la très sérieuse et cérébrale série d’espionnage Harry Palmer. Women in love (1969) amenait une sensualité audacieuse à cette adaptation de D.H. Lawrence y dévoilant le temps d’une scène le thème récurrent chez Russell de l’homosexualité qui se révèlerait explicitement dans le biopic de Tchaïkovski The Music Lovers (1970). Chacune de ces tentatives sera saluée de succès malgré les scandales et c’est un Ken Russell en pleine confiance et sûr de son art qui va s’attaquer à The Devils.

Le film transpose l’affaire des démons de Loudun, fait divers qui agita la France du XVIIe siècle. Une chasse aux sorcières et des supposés cas de possessions dans un couvent d’Ursuline servirent alors de couverture au Cardinal de Richelieu pour soumettre la ville de Loudun, terreau de résistance à son pouvoir mené par le prêtre catholique Urbain Grandier. L’affaire permit de juger Grandier, source de ces tourments et accusé de pactiser avec le diable et il fut exécuté sur le bûcher sans avoir avoué ses crimes. Politique et religion faisaient des liaisons dangereuses dans ce drame et, même s’il  l’illustrerait par son esthétique tapageuse, tous les faits les plus révoltants dépeints dans Les Diables sont avérés. 

L’épisode inspira bien sûr la littérature et Russell adapte donc le livre Les Possédés de Loudun d'Aldous Huxley paru en 1952 (pour la construction) mais également la pièce Les Diables de John Whiting jouée en 1960 (pour les dialogues). Après en avoir achevé le scénario, Russell l’adresse à la United Artist qui avait produit Women in Love et The Music Lover mais les exécutifs terrifiés par son contenu se retireraient bien vite. La Warner rassurée par les succès récents de Russell finance donc le projet sans doute sans trop en détailler la teneur et persuadée de produire un drame en costume prestigieux. Le tournage se déroulera ainsi sans encombre, les vrais problèmes ne surgissant qu’en post-production et lors de la sortie américaine.

Dès le début du film, on peut clairement diviser le cadre du récit en trois environnements et autant d’états d’esprit. Tout d’abord on cette cité atypique de Loudun, dont l’architecture géométrique imposante contrebalancée par la blancheur immaculée traduit le carrefour de modernité que constitue ces lieux. Les guerres de religions sanglantes et les ravages de la peste ont appris aux catholiques et protestant à cohabiter en paix, faisant de Loudun un monde à part du conflit religieux alors vivace partout ailleurs. Cet équilibre délicat dessine un envers tumultueux la nuit venue où les pulsions se déchainent, sexuelles bien sûr mais aussi morbides à travers les cadavres jonchant les rues, des charlatans soignant la peste par des remèdes douteux.

La droiture et la paix le jour, la luxure et les excès la nuit venue, ces deux facettes reflète le bon et le mauvais qui abrite tout être humain. Cette dichotomie, le prêtre Urbain Grandier (Oliver Reed) a appris à l’accepter. C’est un homme s’abandonnant aux plaisirs des sens avec égoïsme (cette jeune maîtresse enceinte qu’il laisse seule à son sort) mais également un meneur rappelant l’indépendance de Loudun face aux agents de Richelieu qui cherchent à en détruire les remparts symboles de son passé protestant. 

D’autres ne peuvent répondre avec la même force de caractère à cette dualité. C’est le cas de la mère supérieure Jeanne des Anges (Vanessa Redgrave), difforme mais non moins rongée par un désir dévorant pour Urbain Grandier. Cette culpabilité et frustration est la cause d’un tourment qui s’exprime par l’expression la plus douloureuse de la piété (autoflagellations, châtiments corporels) ne pouvant endiguer des fantasmes de plus en plus tourmentés et outrageant. Russell peut ainsi déployer la scène la plus controversée du film, « The Rape of Christ » où les traits de Grandier se substituent à ceux de Jésus sur la croix et où son corps massif s’impose à celui de Jeanne dont les tressaillements expriment autant la stupeur que l’orgasme fiévreux. 

Raide, figée et frémissante dans l’alcôve du couvent, déchaînée et avide de désir dans ses rêves, Vanessa Redgrave est extraordinaire pour exprimer la folie grandissante de son personnage. Quand Grandier acceptant ce qu’il est finit par trouver l’amour sincère avec Madeleine De Brou (Gemma Jones), Jeanne sombrera définitivement dans la démence. Leur deux parcours se font en parallèle, Russell alternant les séquences romantiques élégiaques pour le couple Grandier/Madeleine et dérapages graphiques divers pour Jeanne avec notamment des séquences de masturbation frénétiques. Le machisme de l’époque est subtilement dénoncé, les couvents étant des nids de vieilles filles frustrées qui pense soigner dans l’isolement et la foi leurs désirs inassouvis quand les hommes même sous l’habit religieux peuvent exprimer foi et attrait charnel.

Le récit se déroule à une époque de reconquête pour l’Église catholique romaine, un objectif qui sert plus des ambitions politiques que religieuses. Cette aura de l’église, après avoir dessiné un versant imparfait mais humain à travers les personnages de Grandier et Jeanne va adopter un visage froid sous les traits calculateurs de Richelieu (Christopher Logue). La deuxième partie du film est ainsi une longue suite de tableaux hystériques servant le complot afin de confondre Grandier et faire tomber la ville. C'est le troisième espace qui constitue cette fois véritablement l'enfer sur terre.

Jouet de desseins qui la dépasse, Jeanne subira les derniers outrages, Russell déployant toute la folie dont il est capable dans des séquences d’inquisitions qui aussi folles soient-elles reflètent la réalité des évènements. La force du réalisateur est d’y amener une atmosphère de pur cauchemar à travers les éclairages baroques de David Watkin, les décors néoclassiques de Derek Jarman où après l’austérité clinique du début on passe à des compositions de plans surchargées, des gros plans et zooms agressifs sur des visages déformés dans des rictus de pur démence. 

Russell a beau filmer la confusion, jamais sa mise en scène n’y cède. Les cadrages dessinent la dimension totalitaire de cette église (les lignes architecturales qui dévoilent la prison, la chape de plomb et le côté oppressant de cette société notamment lors de la scène de procès finale) et l’ironie mordante fait mouche sous le dégout. L’inquisition libère ainsi une dépravation qui avait relativement réussi à être contenue par les nonnes qui désormais s’abandonne aux orgies les plus extravagantes.

Si l’on avait le moindre doute d’une conviction sincère des inquisiteurs malgré leurs actes révoltants, la séquence où ils s’absolvent de leur péché par une relique religieuse qui n’en est pas une en dit long sur leur cynisme. Michael Gothard en chasseur de sorcière à l’allure et agitation de rock star exprime le versant le plus chaotique quand Murray Melvin (dans un rôle voisin du précepteur fourbe qu’il tiendra dans Barry Lyndon (1975)) dévoile lui le calcul et l’hypocrisie de ces fous de dieu.

La présence paisible et résignée d’un Oliver Reed habité amène une vraie hauteur au récit, qui ne délivre pas contrairement aux apparences un propos antireligieux mais dénonce l’usage qui est fait de ce message. Le final est un long chemin de croix où les tortures subies par Grandier ne cèdent jamais à la gratuité provocatrice, les situations étant au final plus dérangeantes que les vrais dérapages sanglant restant hors-champs. Cest la grandeur, la droiture et la paix intérieure qui accompagne le martyr Grandier que l'on retiendra, sa marche douloureuse vers le bûcher s'inspirant complètement de l'iconographie religieuse dans les compositions de plans et cadrage de Russell.
La cité ayant cédée à cette propagande et hystérie ne semble pas mériter son défenseur et à peine son dernier souffle lâché, les murailles peuvent s’écrouler et laisser venir la désolation lors d’une dernière scène glaçante. Le film aura un succès à la hauteur de son scandale mais en paiera le prix fort au niveau de la censure. Après une première exploitation anglaise en version intégrale, la Warner horrifiée imposera des coupes drastiques (le viol du Christ s’en trouve quasiment amputé entre autre) pour une sortie américaine qui tournera court pourtant. Ce sera néanmoins cette version censurée qui s’imposera durant toute les exploitations futures du film et le montage anglais d’origine - la vraie version intégrale n'ayant été que succintement diffusée - n’est visible que depuis 2011, année de la mort de Ken Russell. Une oeuvre magistrale qui gêne toujours autant la Warner aux entournures donc, preuve de sa portée intacte.


Sorti en dvd zone 2 anglais dans une magnifique édition dotée de sous-titres anglais, de la version intégrale du film et de nombreux bonus

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