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jeudi 22 janvier 2015

Foxcatcher - Bennett Miller (2015)

Lorsque le médaillé d’or olympique Mark Schultz est invité par le riche héritier John du Pont à emménager dans sa magnifique propriété familiale pour aider à mettre en place un camp d’entraînement haut de gamme, dans l’optique des JO de Séoul de 1988, Schultz saute sur l’occasion : il espère pouvoir concentrer toute son attention sur son entraînement et ne plus souffrir d’être constamment éclipsé par son frère, Dave. Obnubilé par d’obscurs besoins, du Pont entend bien profiter de son soutien à Schultz et de son opportunité de « coacher » des lutteurs de réputation mondiale pour obtenir – enfin – le respect de ses pairs et, surtout, de sa mère qui le juge très durement.


Troisième film du rare Bennett Miller – si l’on excepte le documentaire The Cruise (1998) – Foxcatcher s’avère un réel prolongement thématique de Truman Capote (2005) et Le Stratège (2011). On retrouve ici à la fois la source réelle d’un fait divers sordide du premier mais aussi le cadre sportif du second à travers ce récit de la mort du champion de lutte Dave Schulz assassiné par son mécène John du Pont.

On retrouve là le portrait de mœurs à la fois humain et méthodique de Miller, les sentiments se dévoilant peu à peu sous une forme très austère. L’humain naîtra de la relation entre les frères Dave (Mark Ruffalo) et Mark Schulz (Channing Tatum), champions de lutte dont le lien se dévoile dans les joutes d’entraînement féroces et bienveillantes. Mark est un colosse aux pieds d’argile forcé de s’appuyer sur l’assurance et la sérénité de Dave, moins imposant mais plus solide. Tout cela passe par l’image dès leur première empoignade mais l’arrivée de John du Pont (Steve Carell) va perturber cet équilibre. Ce dernier, riche héritier d’une prestigieuse famille américaine va chercher à se faire le financier des deux sportifs qu’il veut mettre dans les meilleures conditions en vue de l’échéance des Jeux Olympique de Séoul en 1988. Pour ce faire il va notamment les héberger dans son prestigieux domaine mais ce supposé refuge va en fait être le théâtre d’une pure folie.

John Du Pont va s’avérer un reflet déformé de ceux qu’il souhait placer sous son aile. Se rêvant mentor comme Dave, il est en fait un être perdu comme Mark. Si ce dernier vit dans l’ombre de son frère et souhait implicitement s’en détacher, du Pont est lui écrasé du poids de sa lignée là aussi représenté par un membre de sa famille, cette mère (Vanessa Redgrave) en forme de silhouette muette et inquisitrice. A nouveau Bennett Miller parvient à faire passer ce malaise par la seule image le plus souvent. Du Pont est introduit avec force mystère – ses acolytes étranges, sa demeure imposante -  jusqu’à son apparition où son physique malingre et ses traits figés jurent avec la figure charismatique que l’on s’attendait à rencontrer. L’aura de chef dont il rêve ne s’exprime que par le discours et la mise en scène, Miller l’humiliant constamment de manière subtile. Les poses solennelles avachit sur son fauteuil dans une lumière immaculée trahissent dans le contenu des séquences la manière dont ce leadership est artificiel. On pense à ce moment où il impose sa volonté d’être dans le coin durant la compétition, les figures basiques de luttes qu’il fait mine d’enseigner à des sportifs aguerris quand sa mère curieuse vient jeter un œil aux entraînements. 

Le conflit naîtra lorsque ces contradictions s’exprimeront en situation. Perturbé par l’influence néfaste de son bienfaiteur, Mark quand il patinera en compétition s’en remettra finalement à la bienveillance de son frère Dave. Du Pont comprend alors son inutilité, il n’est qu’une coquille vide sans attache, un « chef » ne devant son statut qu’à ses moyens financier et forcé d’inventer sa légende dans des documentaires hagiographiques. La démonstration est magistrale tant dans l’illustration que l’interprétation (le grimage de Steve Carell est un peu trop encensé au détriment de la formidable vulnérabilité de Channing Tatum qui trouve son meilleur rôle) mais finalement le style froid et austère nous laisse un peu trop à distance. Bennett Miller avait su faire naître la mélancolie d’un fait divers sordide ou d’une notion aussi abstraite que des statistiques de baseball mais pêche à totalement impliquer dans une œuvre dont le sujet se veut pourtant plus charnel et frontal. 

On ressent un peu un phénomène voisin de ce que pu connaître un Paul Thomas Anderson (mais qui semble en être revenu avec son prochain film) soudainement cloué au sol par ses grands sujets (There Will Be Blood et The Master) à la mécanique impressionnante mais désincarnée. Foxcatcher a ainsi presque tout du grand film sauf l’empathie, même négative. C’est un drame en marche dont nous observons le déroulement sans réellement s’en émouvoir. Pas étonnant du coup que la récompense cannoise ait été avant tout formelle avec ce prix de la mise en scène. Bennett Miller n’en reste pas moins un des cinéastes américains les plus intéressants en activité et il n’y a plus qu’à espérer que son film suivant soit plus habité. 

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