Hal Carter, un garçon séduisant qui vit au jour le jour,
arrive dans une petite ville du Kansas. Alan, un ancien compagnon de collège
qui est fiancé à Madge la plus jolie fille du pays, se propose de lui trouver
du travail. Mais au cours d'un pique-nique qui réunit tous les habitants de la
ville, Hal et Magde sont irrésistiblement attirés l'un par l'autre.
Genre roi de cinéma américain des années 50, le mélodrame
fut un vrai reflet des mutations sociologiques de l’époque. Sous l’aspect
propret se dissimulait toujours des thématiques fortes et audacieuses,
annonçant la décennie suivante plus permissive. Si Douglas Sirk fut logiquement
célébré comme son maître incontesté, d’autres œuvres réussirent à tracer leur
voie à l’époque, tel ce beau Picnic,
véritable film culte aux Etats-Unis (et inversement fort méprisé par la
critique française) qui contribua à lancer la carrière de Kim Novak.
Picnic s’inscrit
dans la tradition des grandes adaptations de pièces issues de la plume de
dramaturges prestigieux, très en vogue dans le cinéma des fifties. Souvent
imprégnés de psychanalyse et dissimulant des thèmes tabous sous-jacents, les
films de cette veine connurent un vrai essor à l’époque, notamment par les
textes de Tennessee Williams, brillamment adaptés par Mankiewicz avec Soudain
l’été dernier, ou encore par Richard Brooks pour La Chatte sur un toit brûlant.
Picnic est donc à
l’origine une pièce de William Inge qui rencontra un grand succès à Broadway.
Lorsque l’adaptation est envisagée, on fait appel à Joshua Logan (dont c’est
seulement le troisième film) au regard de son passé de metteur en scène à
Broadway qui en fait la personne toute désignée pour donner des vertus plus
cinématographiques au texte.
C’est effectivement cette expérience qui lui
permet de capter l’essence même du texte et de la magnifier, réalisant ainsi
son meilleur film. Logan est généralement associé à un cinéma boursouflé et
luxueux, typé « qualité américaine », qui lui vaudra les foudres des critiques
français, la faute à quelques comédies musicales très poussives comme La Kermesse de l’Ouest ou Camelot. Pourtant, s’il ne s’élève pas
au firmament des plus grands réalisateurs hollywoodiens de l’âge d’or, Joshua
Logan est loin d’être le tâcheron qu’à voulu en faire la postérité. Dans sa
filmographie, on trouve au moins deux autres belles réussites comme Bus Stop
(autre film injustement méprisé) qui offre un de ses plus beaux rôles à
Marylin, et le drame de guerre Sayonara
avec Marlon Brando. C’est pourtant avec Picnic
qu’il donnera toute la plénitude de son talent, en ornant de noirceur et de
romanesque l’imagerie d’une Amérique rurale et propre sur elle.
Le film de Joshua Logan se distingue nettement des
mélodrames que pouvait réaliser un Douglas Sirk au même moment. Aux
rebondissements et raccourcis improbables des intrigues de Sirk (idéalement
gérés tant les récits sont prenants), Picnic
s’orne d’un certain réalisme et d’une vraie cruauté dans son cadre et les
personnages dépeints. Parallèlement, la construction du récit vire progressivement
de la noirceur d’une atmosphère viciée et malsaine à une tonalité de conte de
fée. A travers le couple incarné par Kim Novak et William Holden, Picnic montre le brutal retour sur terre
de deux icônes déchues. Anciens dieux du lycée, le passage au monde adulte les
aura enfermés dans l’image qu’ils renvoyaient lors de ces années dorées.
Champion de football fêtard au succès certain auprès de la gent féminine, Hal
Carter (William Holden) aura laissé passer sa chance pour n’être au final qu’un
vagabond sans but. Déterminé à s’en sortir, il décide de rendre visite à un
ancien camarade d’université richissime dans le but d’obtenir une situation.
C’est là qu’il tombera sous le charme de la fiancée de ce dernier, Madge (Kim
Novak).
Celle-ci, ancienne reine de beauté ne se voit réduite qu’à
cette seule surface par son entourage. Chacun d’eux dissimulent de douloureuses
fêlures sous le physique avantageux. William Holden, un peu trop vieux pour le
rôle en fait finalement un avantage pour exprimer l’usure morale de cet Adonis
déclinant, dont la beauté animale se révèle lors d’une scène (largement
exploité lors de la promotion du film) où il apparaît torse nu. Hal est ainsi
rongé par cet attrait qu’il exerce encore mais qui ne contrebalance plus une
situation sociale insignifiante. A la fin de la décennie, La Fureur de vivre égratignera sévèrement l’imagerie de la jeunesse
pure et innocente des années 50, en montrant pour la première fois les fêlures
de ces adolescents. Sorti quelques années plus tôt, Picnic était encore plus audacieux en se penchant sur la question
de « l’après », et surtout en choisissant de montrer de purs archétypes de
cette Amérique juvénile et insouciante sous un jour négatif quelques années
plus tard.
Comme déjà dit, Picnic
adopte une tonalité entre réalisme et conte de fée qui s’articule autour de
l’unité de temps et de lieu (une journée de pique-nique au sein d’une petite
ville américaine) apportant une véritable exacerbation des sentiments au fil de
l’avancée du jour. On découvre ainsi progressivement le dénuement de Holden
condamné à la quasi-mendicité lorsqu’il arrive dans la ville, et le dénuement
moral de Kim Novak subissant la pression d’une mère abusive. Celle-ci voit d’un
mauvais œil le regard concupiscent du vagabond Hal sur sa fille, pour qui elle
entretient de plus hauts projets. La morale ne tient d’ailleurs qu’à un fil
lors d’une scène où elle lui suggère de franchir le pas avec son petit ami
nanti afin de s’attirer définitivement ses faveurs.
La première partie étale
donc un idéal de ce que l’Amérique a de meilleur à offrir : l’entraide envers
son prochain à travers l’accueil chaleureux fait à William Holden, le
pique-nique ensoleillé, les habitants truculents. La nuit venant, c'est un
autre visage, celui de la frustration, de la rancœur et de la haine qui se
dévoile. Le personnage de vieille fille incarné par Rosalind Russel (la
pimpante héroïne de La Dame du vendredi de Howard Hawks) est aussi pathétique
que détestable tandis que le jeune héritier (Cliff Robertson tout jeune dans un
de ses premiers rôles) va montrer une image bien moins affable lorsqu’il verra
Madge lui échapper au profit de William Holden.
Car sous ce cadre délétère, c’est également l’amour qui se
révèle. Attirés l’un par l’autre mais empruntés, c’est lors d’une scène de
danse absolument prodigieuse que Holden et Novak révèlent leur sentiment à
travers leur alchimie sur la piste. Un autre moment d’une grande intensité
interviendra un peu plus tard après la fuite d’un Holden humilié, lorsque Kim
Novak le poursuivra et l’incitera à se dévoiler comme jamais. Cette naïveté et
cette magie du lien se nouant entre les deux s'expriment également par
l’esthétique du film. La photo du film notamment, travaille l'opposition entre
rêve (la romance) et cauchemar (la réalité) à travers le crescendo dramatique
appuyé par le passage de la journée à la nuit. Ainsi le passage où Kim Novak
est élue reine de la saison offre une image majestueuse, montrant son arrivée en
barque, illuminée dans la pénombre par les éclairages de la fête.
Même si la dernière partie se déroulant le lendemain brise
un peu la progression toujours plus intense du film, elle est totalement en
adéquation avec la tonalité de l’ensemble. Après toute la noirceur qui a
précédé, un ailleurs possible, ténu et fragile s’offre à notre couple en dépit
des obstacles. Ils ne sont d’ailleurs pas réunis à l’écran pour ce nouveau
départ, l’ultime image étant le train emmenant Madge pour rejoindre Hal. Fiasco
comme épanouissement, tous les avenirs sont possibles pour des personnages
présentés comme ouvertement médiocres mais touchants et dont l’union pourrait
destiner à une existence meilleure. L’humanité sordide et à la fois passionnée
dévoilée au cours de l’intrigue, laisse les deux voies à l'interprétation de
chacun.
Sorti en dvd zone 2 français chez Fox et en bluray all region chez Twilight
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