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lundi 2 février 2015

Le Secret derrière la porte - Secret Beyond the door, Fritz Lang (1948)

Lors d'un voyage au Mexique, alors qu'elle assiste à une bagarre au couteau dans la rue entre deux hommes qui se disputent une femme, Celia Barett, jeune héritière, croise le regard de Mark Lamphere. Sous le charme de cet homme elle décide de l'épouser. Lors de la cérémonie elle se rend compte qu'elle ne sait rien de lui si ce n'est qu'il est architecte et directeur d'une revue en difficulté financière. Elle découvre que son mari a également une étrange passion : il collectionne des chambres dans lesquelles des meurtres ont eu lieu. Cependant, l'une de ces pièces est toujours fermée à clé, et le mari refuse d'en parler: y va-t-il un secret derrière la porte?

Fritz Lang se sera plu dans nombre de ses films à scruter les instincts meurtriers enfouis en l’homme, notamment avec M le Maudit (1931). Dans ce dernier la monstruosité prenait un visage humain (Peter Lorre) provoquant une pitié dérangeante dans la traque subie par le meurtrier et donnant un tour plus universel à ce mal. Lang rattache la naissance du mal à deux mythes bibliques fondateur : Eve incitant Adam à gouter au fruit défendu et provoquant l’expulsion du Jardin d’Eden mais aussi le premier meurtre de l’humanité avec Caïn tuant son frère Abel. C’est précisément deux éléments qui seront explorés sous toutes leurs formes dans le film noir à travers la femme fatale et aussi le meurtre vecteur de toutes les pulsions malsaines que recèle tout être humain. Chez Lang cela se manifestera dans de nombreux films notamment ceux de sa carrière américaine dont La Rue rouge (1945), remake de La Chienne (1931) où l’on retrouve à la fois la femme fatale source de tourment et les pulsions meurtrières qui en découlent.

Avec Le Secret derrière la porte, Lang approche cette thématique dans une veine plus psychanalytique. Au premier abord, le postulat ne semble être qu’une énième variation façon Jane Eyre/Rebecca : une jeune femme tombe amoureuse et épouse un homme qu’elle connaît à peine mais va découvrir sa face obscure à travers le souvenir d’une épouse disparue/assassinée ( ?) et sa demeure encore chargée de sa présence. Ici ce sera Celia Barett (Joan Bennett), jeune et riche new yorkaise indépendante qui va tomber sous le charme du mystérieux architecte Mark Lamphere. Un amour placé sous le signe du macabre puisque le premier regard et coup de foudre se fait en assistant à une violente bagarre de rue au couteau. 

La différence avec le mélodrame gothique au féminin (Rebecca donc mais aussi Hantise (1944) de George Cukor ou Le Château du Dragon de Mankiewicz) en vogue alors se fait par le rapport de force très différent du couple. Celia n’est pas une innocente découvrant le monde, tout en étant éperdument amoureuse elle ne se laissera jamais intimider par les sautes d’humeur inattendue de Mark, ni par l’étrange cours naviguant autour de lui comme son fils (Mark Dennis très inquiétant) ou sa secrétaire défigurée (Barbara O’Neil). A l’inverse Mark parait certes inquiétant et imprévisible dans son caractère ombrageux et changeant mais surtout terriblement vulnérable à travers l’interprétation fébrile de Michael Redgrave.

Dans cette idée l’utilisation des décors, la photo tout en jeux d’ombres extraordinaire de Stanley Cortez ne semblent jamais verser dans le surnaturel et suggérer la présence maléfique de l’épouse défunte mais surtout un prolongement de l’équilibre mental ténu des personnages et surtout Mark. Dès la séquence du mariage, l’ombre sur le visage Mark interroge les secrets tapis au cœur de cette âme tourmentée. Lorsque Celia explorera la maison, ce sera comme un voyage aux tréfonds de la psyché torturée de son époux. 

La nature du mal repose dans l’idée sur un traumatisme enfouit au plus profond et Lang le manifeste physiquement en faisant de chaque étape vers le mal originel un espace clos et isolé. Ce sera d’abord la fabuleuse idée de cette collection de chambres théâtres de meurtres terribles par Mark, une lubie macabre qui révèle son déséquilibre lors de la visite guidée et riches en détails qu’il offrira à ses convives. Une chambre reste pourtant à l’abri des regards et fermées à double tour, celle où repose le secret qui empêche son bonheur. Celia devra en forcer l’entrée physique et symbolique pour percer l’origine du malaise de son époux. 

Cette facette psychanalytique n’est jamais lourde car fonctionnant avant tout par l’image, l’élément puissant de cette porte close et la prestation de Michael Redgrave suffisant amplement à exprimer brillamment la thématique. On évite ainsi pas mal d'écueils comme l'analogie au conte, la référence attendue à Barbe Bleue étant habilement détournée ici. A l’image de cette pièce verrouillée dans les entrailles de cette maison, le mal n’est pas extérieur mais est bien né de l’intérieur et des souvenirs rattaché à ces lieux. Cela n’empêche pas Lang de s’abandonner à une esthétique gothique absolument flamboyante qui culmine lors de la traversée nocturne de la maison par Celia, avec ces corridors interminables plongés dans l’obscurité, ces présences indicibles qu’on devine nous attendant en haut des escaliers ou ces bois baignés de brume. Le score torturé et tortueux de Miklós Rózsa y contribue grandement aussi.

Joan Bennett, égérie de Lang et incarnation de la femme forte pour le meilleur et pour le pire dans les quatre films qu’ils tourneront ensemble (Chasse à l’homme (1941), La Femme au portrait (1944), La Rue Rouge (1945) auront précédés) impose ici une présence à la fois fragile et déterminée, féminine et imposante. Plus que la psychanalyse, c'est finalement son parcours initiatique d'héritière oisive et encadrée vers la femme mettant en ordre son foyer qui passionne. Malgré un final un peu expédié, c’est captivant de bout en bout et multiplie les audaces narratives dans ce qui est un des Fritz Lang les plus brillants. 

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Carlotta

Extrait

2 commentaires:

  1. Évidemment, présenter comme cela, on ne peut qu'avoir envie de voir ce film dans les plus brefs délais ! Quelle photographie superbe en plus. Et ces jeux d'ombres et de lumières... ohlala, que c'est beau !

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  2. Oui le bluray est vraiment somptueux et rend justice à la superbe photo de Stanley Cortez. En plus le film évite habilement le piège de la "psychanalyse pour les nuls" en faisant passer tout cela par l'image pour l'essentiel justement vraiement à voir :-)

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