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samedi 7 mars 2015

Le Canardeur - Thunderbolt and Lightfoot, Michael Cimino (1974)

En plein service dans une église isolée, un prêtre devient la cible des tirs d'un gangster qui fait irruption dans le bâtiment. Alors que le prêcheur s'enfuit à travers champ, il tombe sur un jeune homme fougueux et souriant qui venait juste de voler une voiture. Laquelle le débarrasse opportunément de son poursuivant. Les deux hommes réunis par accident vont vite développer une franche amitié, le cadet allant faire retrouver à son ainé le goût pour les petits plaisirs de la vie. Voici d'un côté John "Thunderbolt" Doherty, un ex-cambrioleur de banques particulièrement doué mais retiré des affaires ; et de l'autre Lightfoot, un garçon plein d’énergie et de bonne volonté, avide d’apprendre le métier.

Tous les films de Michael Cimino sont des odyssées qui nous racontent l’Amérique où la grande Histoire se définit par l’intime. Voyage au bout de l’enfer (1978) racontait le traumatisme du Vietnam à travers l’éclatement d’un groupe d’amis confronté à l’horreur, La Porte du paradis les origines sanglantes et l’inégalité par le destin des colons européens et L’Année du dragon la complexité du melting-pot moderne avec un héros complexe et ambigu. Le Canardeur pose le premier jalon de cette approche et constitue une première œuvre attachante pour Cimino. Après avoir obtenu un diplôme d’architecture, Cimino ne rêve que de cinéma, affinant sa maîtrise technique avec des films publicitaire et industriels. 

Dans le même temps il soumet divers scripts à Hollywood, obtenant une première reconnaissance avec celui du film de science-fiction Silent Running (1972) de Douglas Trumbull. Fort de cette carte de visite, il va pouvoir proposer le scénario de Thunderbolt and Lightfoot à la plus grande star du moment, Clint Eastwood. Celui-ci impressionné accepte de s’engager mais impose une contrainte au débutant. John Milius parti réaliser son premier film Dillinger a laissé à l’état d’ébauche le script de Magnum Force, second volet de la saga des Inspecteur Harry dont le tournage est imminent. Cimino doit donc s’y atteler mais fort heureusement son travail donnera satisfaction à Eastwood et Magnum Force sera un succès.

Le titre Thunderbolt and Lightfoot, sans rien connaître du contenu du film semble déjà être une promesse d’aventures (façon Lewis et Clark dans l’idée). Cimino l’envisageait d’ailleurs au départ comme un film d’époque dont il reste quelque chose dans les surnoms de ses héros, Thunderbolt pouvant évoquer quelque nom de chef indien oublié tandis que Lightfoot s’inspire carrément du héros irlandais Captain Lightfoot (d’ailleurs incarné par Rock Hudson dans le film éponyme de Douglas Sirk). Cet appel de l’aventure, Cimino saura l’équilibrer avec brio dans un ton conjuguant le Nouvel Hollywood dans son genre phare du road-movie (Easy Rider de Dennis Hopper, Vanishing Point de Deran Sarafian, L’Epouvantail de Jerry Schatzberg, La Balade sauvage de Terence Malick) et la pureté du classicisme hollywoodien convoquant John Ford et Anthony Mann. 

Sur le papier, le postulat du Canardeur pour d’ailleurs très bien être celui d’un western. Retrouvé par d’ancien complice, le cambrioleur John « Thunderbolt » Doherty (Clint Eastwood) est contraint dans sa fuite de s’associer au jeune chien fou Lightfoot (Jeff Bridges) qui lui sauve la mise. Les deux s’embarquent alors dans un périple picaresque fait de rencontre et situation rocambolesque où ils tenteront de retrouver le butin d’un ancien casse tout en en préparant un nouveau.

Le cadre de l’Amérique contemporaine amène un certain décalage à ce pitch mais pas tant que cela en fait. Seul l’élément de la voiture dénote dans les somptueuses compositions de plan de Cimino qui en nouveau maître du cinémascope magnifie les paysages du Montana. Tous comme dans les grandes épopées western, le décor est un prolongement de l’état d’esprit et des liens entre les personnages. Thunderbolt, usé et ayant perdu gout à la vie va ainsi voir sa flamme ranimée par l’énergie et l’audace de Lightfoot. Cimino a imaginé le personnage de Jeff Bridges comme un double rigolard, débraillé et poupin de Clint Eastwood (qui se déride réellement pour la première fois de sa carrière avec ce personnage plus léger), le mimétisme jouant par leur grande taille, attitude et coupe de cheveux. 

Thunderbolt reconnaîtra en son cadet mal dégrossi ce qu’il fut un temps, refusant d’abord cette amitié (« tu arrives dix ans trop tard ») puis revivant à son contact. Là seulement la quête peut commencer après une première partie volontairement erratique notamment une rencontre délirante avec un »hillbilly » déjanté testant l’endurance de ses passagers au pot d’échappement installé dans sa voiture et gardant une centaine de lapin dans son coffre. C’est par ses éléments comiques décalés que Cimino donnent un tour plus léger et attachant au film, l’ouverture avec Clint Eastwood grimé en faux pasteur étant un des moments les plus mémorables.

Du coup même quand il se plie plus ouvertement aux règles du genre, l’ensemble conserve ce ton particulier, ni distancié, ni postmoderne mais simplement d’une modestie et légèreté se pliant à celle de ses personnages. Les acolytes joués par George Kennedy et Geoffrey Lewis sont donc certes brutaux et menaçant mais sont aussi irrésistiblement drôle, le premier par ses colères noires (hilarant moment où il insulte un gamin) et le second par ses airs ahuris. La préparation du casse laborieuse et certains éléments de son exécution (Jeff Bridges travesti) mélange ainsi pure comédie et tension, le geste héroïque ne pouvant que revêtir des atours rieurs tout en donnant une aura mythologique aux personnages tel Eastwood surplombant son canon destructeur (moment brillamment réutilisé pour l’affiche). 

Seulement chez Cimino les lendemain de fêtes sont toujours destructeurs et sentent la gueule de bois. La longue scène de mariage qui concluait la première partie de Voyage au bout de l’enfer trouvait son pendant avec un final endeuillé pesant nous éloignant de ce paradis perdu. La terre d’accueil s’avérait hostile et l’Amérique naissait dans le sang et les larmes dans La Porte du paradis. La tragédie se dessine à une échelle plus modeste mais non moins touchante dans une conclusion mélancolique et inattendue qui fait du Canardeur une des œuvres les plus attachantes des 70’s. Un grand cinéaste était né. 

 Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Carlotta

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