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vendredi 17 avril 2015

Tendres Passions - Terms of Endearment, James L. Brooks (1983)

Aurora a élevé seule sa fille Emma, excluant tout homme de sa vie. Pourtant, Emma quitte à la première occasion cette mère abusive. Seule, Aurora rencontre alors Garret, qui est un ancien cosmonaute désormais alcoolique... Des liens entre ces deux personnes prennent forme.

Réalisateur à la filmographie aussi rare que précieuse (à peine 5 films en 30 ans), James L. Brooks rencontrait le succès dès son premier essai avec ce Tendres Passions. Ayant débuté à la télévision dans les années 70 (support qu’il ne délaissera jamais puisqu’il est un des producteurs des Simpson), Brooks en instaure certains motifs dès ce premier film. Le choix délibéré d’une narration prenant son temps, le travail sur les ellipses (le récit se déroulant sur plus de 20 ans) et l’art de créer une proximité avec les personnages sur le quotidien plutôt que les péripéties marquées, tous cela obéit à une logique feuilletonnante qui pourrait être celle d’une série. Brooks en tire le meilleur tout en concevant une vraie œuvre de cinéma, à la construction ambitieuse sous sa dimension intimiste. Adaptant un roman de Larry McMurtry, le film dépeint la relation fusionnelle et tumultueuse d’une mère et de sa fille, Aurora (Shirley MacLaine) et Emma (Debra Winger).

L’histoire dessine un étonnant portrait de femme en ce début des années 80. Après la mort de son époux, Aurora a élevé seule sa fille, excluant toute nouvelle relation avec un homme si ce n’est cour qui l’admire chastement. Dès la scène d’ouverture où angoissée elle préfère réveiller et entendre pleurer son nourrisson plutôt que le laisser dormir (par crainte de la mort subite du nourrisson) le lien fusionnel mère/fille s’amorce. En quelques vignettes sur l’enfance et l’adolescence d’Emma, on devine la difficulté de cet amour étouffant. Emma se mariera donc très jeune à Flap (Jeff Daniels) pour échapper à cette mère envahissante et angoissée. Séparée par ce mariage et bientôt par la distance géographique, les personnages se repoussent et se poursuivent tout au long du film, chacun ayant une évolution en contradiction inconsciente de l’autre pour le pire et le meilleur. Aurora semble ainsi être un pur produit de deux décennies de féminisme tout en ayant la crainte du sexe associée aux plus innocentes 50’s. Elle a élevée seule sa fille et a su rester indépendante au prix d’une solitude qui ne semble pas l’affecter. A l’inverse Emma en la fuyant et cherchant à se construire un foyer plus « traditionnel » adoptera une pure existence de femme au foyer, enchaînant les grossesses, ne travaillant pas et suivant fidèlement son époux partout où son métier d’enseignant le guide.

Brooks n’avantage aucun de ses modes de vie mais chacun va se fissurer peu à peu. Si le bonheur de voir ses enfants grandir est là, Emma se confronte ainsi aux absences et à la possible infidélité de son époux tout en contemplant le vide de son quotidien. Quant à Aurora, sa libido est loin d’être aussi éteinte qu’elle ne le pense et elle découvrira tardivement les plaisirs du sexe avec Garrett (Jack Nicholson), son voisin ancien astronaute quelque peu déluré. Le montage alterné fait merveille pour illustrer ces destins en parallèle, mère et fille partageant toutes leurs expériences au téléphone. La distance et les désaccords ne sauraient briser cette connexion, seule planche de salut lorsque tout s’effondre par ailleurs. Shirley MacLaine est fabuleuse en psychorigide s’abandonnant peu à peu (et renouvelant magnifiquement son registre elle pétillante d’habitude) et c’est cette raideur qui semble canaliser un Jack Nicholson qui réfrène les tentations de cabotinage qu’on peut craindre à certains moments. 

La scène de leur première nuit est une pure merveille, Nicholson perdant sa décontraction goguenarde face à la vigueur inattendue d’une Shirley MacLaine qui a attendue trop longtemps. L’éveil, la liberté et le plaisir d’un côté et la grisaille et monotonie de l’autre mais en détournant les attentes quant au personnage concerné. Ce sentiment de temps qui passe est superbement géré par le talent de narrateur de Brooks (aucun postiche de vieillissement ou d’esthétique trop changeant pour signaler le défilement des décennies), les voisins Aurora et Garrett passant quinze ans à s’épier, se titiller et/ou s’ignorer avant d’avoir leur premier rendez-vous. Les choix de vie « en réaction » semblent souvent voués à l’échec alors qu’en cédant à ses désirs l’apaisement semble possible pour tous les protagonistes. Visuellement la photo « terrienne » d’Andrzej Bartkowiak dessine une Amérique d’aujourd’hui à travers le parcours d’Emma tandis que l’éveil d’Aurora amène une facette plus stylisée même si feutrée, les envolées (la folle virée en voiture sur la plage) n’en étant que plus marquantes. Le quotidien et le possible romanesque, la plus mûre des deux goutant le second avec une belle audace.

Ce voyage intime nous prépare ainsi à une bouleversante conclusion où ces transformations auront eu pour but de rendre la mère et la fille apte à répondre courageusement à un cruel destin. Là encore la finesse de Brooks opère, l’émotion bouleversante ne cédant jamais au pathos (la scène de mort vu en plan d’ensemble puis hors-champs, capturant la seule peine des endeuillés), l’épilogue sur un enterrement semblant un nouveau départ plutôt qu’une conclusion. Une œuvre magnifique, sensible et originale qui fera un triomphe avec pas moins de 5 Oscars dont meilleur réalisateur, meilleure actrice (Shirley MacLaine, meilleur acteur dans un second rôle (Jack Nicholson) et meilleur scénario adapté. L’interprétation fougueuse et à fleur de peau de Debra Winger l’aurait mérité aussi même si elle sera nominée. 

Sorti en dvd zone 2 français et Bluray chez Paramount

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