Un quiproquo fait penser à toute la
presse que la célèbre romancière féministe June Cameron est marié à Tim
Sterling, professeur à l'université.
Une délicieuse
screwball comedy qui trouve le ton juste entre progressisme et valeurs
traditionnelles par la grâce d'un script astucieux. June Cameron
(Loretta Young) est un écrivain féministe incitant les femmes à vivre
hors du joug masculin et à mener carrière. Son dernier ouvrage
rencontrant un succès important, elle est contrainte d'écourter ses
vacances et de rentrer à New York. Faute de moyen de locomotion, elle
s'impose dans la voiture du très soupe au lait Tim Sterling (Ray
Milland) aspirant professeur en université de médecine. L'antagonisme
entre l'indépendance de June et le caractère orageux de Tim se dessine
pendant le trajet par quelques échanges savoureux et préparant la
cohabitation forcée qui les attends arrivé destination. Suite à un
quiproquo ils sont pris pour de jeunes mariés et une lectrice trahie
aura fait remonter la rumeur jusqu'à New York. Seul moyen de s'en
sortir, simuler un vrai mariage le temps pour June de changer son fusil
d'épaule et de signer un ouvrage vantant la vie matrimoniale et de
divorcer à sa parution (quitte à en écrire un dépeignant les joies du divorce par
la suite). On appréciera la morale bienpensante d'alors où mieux vaut feindre un mariage que d'avouer un liaison de passage.
Le
script distille une habile opposition de caractères sources de joutes
tordantes et inventives (Milland répertoriant les objets de Lorreta
Young pour récupérer ses quatre dollars) tout en ne faisant pas des
personnages des figures figées à leur supposée idéologie. Ainsi le
supposé macho joué par Milland se montre fort soumis à sa vraie fiancée
Marilyn (Gail Patrick) et Lorreta Young n'a guère de scrupule à sauver
sa carrière en reniant sa philosophie tout en cédant là aussi à son
petit ami et éditeur (Reginald Gardiner). Ce n'est donc pas sur une
idéologie mais plutôt la peur de l'autre que repose leur opposition,
donnant un charme explosif à leur mariage/opposition qui tout en les
rebutant sert leurs intérêts. Chacun aura droit à son moment dominant
Milland envahissant avec jubilation l'intérieur cosy de son "épouse" de
ses attributs masculins dans les tiroirs, les armoires et même un
tableau d'anatomie en plein salon.
Le mariage n'est pas considéré comme
la normalité uniquement pour la femme, Milland accédant enfin au statut
de professeur grâce à nouvelle union qui le rend enfin suffisamment
"équilibré" pour enseigner (l'occasion d'une revanche tonitruante de
Loretta Young quand elle l'apprendra). D'ailleurs le monde universitaire
est croqué avec amusement durant une scène de réception entre érudits
discutant uniquement de trouble mentaux et son doyen dont un simple
raclement de gorge génère un silence poli. Une caricature excellent mais
pas suffisamment exploitée tant il y avait possibilité à des
atmosphères façon Boule de feu de (1941) Howard Hawks.
Ce
n'est finalement qu'en situation de crise, hors des carcans urbains que
le rapprochement pourra se faire tout en leur permettant d'assumer leur
personnalité et d'y adosser leur qualité. Le scientifique devient ainsi
le médecin prévenant qui va aider une femme à accoucher, la femme
indépendante une aide précieuse pour tempérer la crise (ne paraissant
jamais soumise même en effectuant des tâches d'intérieur) et les deux
peuvent enfin s'admirer mutuellement et s'aimer.
Le registre vachard
initial ne s'estompe heureusement pas mais se faisant dans la complicité
et plus dans l'affrontement, à l'image du stratagème génial de Loretta
Young pour empêcher Milland de se fiancer. Les deux acteurs sont
irrésistibles (et Loretta Young à croquer comme d'habitude), les seconds
rôles aussi surprenant qu'inventifs (les étudiants pratiquants de
football américains bas du front) et l'ensemble mené tambour battant par
Alexander Hall. Très bon moment !
Sorti en dvd zone 1 chez Columbia et doté de sous-titres anglais
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lundi 29 juin 2015
samedi 27 juin 2015
Klute - Alan J. Pakula (1971)
John Klute est détective
privé. Un jour, l'épouse et l'associé de son ami Tom Gruneman, disparu depuis
six mois, lui demandent de le retrouver. Il se rend de Pennsylvanie à New York
pour mener l'enquête. La seule piste est une call-girl, Bree Daniels, à qui Tom
aurait adressé des lettres obscènes.
Klute est un des films les plus marquant des 70's, contribuant à en établir les canons esthétiques par son ton et atmosphère. Un certain David Fincher ne s'en est jamais remis tant on retrouve des traces de Klute dans toute sa filmographie, que ce soit la lenteur savamment calculée de Zodiac, la photo de Seven ou la paranoïa de The Game. Portrait de femme dont les éléments de thriller serviront à pénétrer et faire évoluer la personnalité de son héroïne, le film tient en grande partie sur la performance de Jane Fonda.
Klute est un des films les plus marquant des 70's, contribuant à en établir les canons esthétiques par son ton et atmosphère. Un certain David Fincher ne s'en est jamais remis tant on retrouve des traces de Klute dans toute sa filmographie, que ce soit la lenteur savamment calculée de Zodiac, la photo de Seven ou la paranoïa de The Game. Portrait de femme dont les éléments de thriller serviront à pénétrer et faire évoluer la personnalité de son héroïne, le film tient en grande partie sur la performance de Jane Fonda.
Un personnage formidablement
écrit que cette prostituée peu satisfaite de son existence qui se réfugie dans
l'insensibilité nécessaire à son "métier" pour accepter son quotidien
morne semé d'échecs, notamment dans ses tentatives de mener une carrière
d'actrice. Pakula joue astucieusement avec l'image glamour de l'actrice en la
montrant sous un jour séducteur en début de film, passant d'un client à l'autre
sans états d'âme et prenant un vrai plaisir à se jouer du désir des hommes
notamment une scène troublante où elle se déshabille tout en racontant ses
fantasmes à un client de 70 ans sur le score planant de Michael Small.
Cette imagerie séductrice va voler en éclats au fur et à
mesure de l'avancée du film, Bree dévoilant sa facette autodestructrice
troublée qu'elle est par la menace du tueur et la présence du détective incarné
par Donald Sutherland. Jane Fonda livre une prestation poignante avec ce
personnage terriblement humain dans ses contradictions et ses revirements,
cachant son mal être sous un prétendu caractère détaché de tout. Donald
Sutherland en détective un peu mystérieux, tout en retenue et sobriété est tout
aussi bon en personnage révélateur tandis que Roy Scheider campe avec brio un
détestable et tentateur personnage de mac. Niveau esthétique le film subit
l'influence d'un certain cinéma européen comme le Blow Up d'Antonioni et
annonce par bien des aspects le Conversation Secrète de Coppola. En
résulte un sentiment de paranoïa permanent, même dans les instants les plus
relâché du film où l'on a constamment l'impression d'être observé, épié, Pakula
jouant souvent des plan lointain sur ses personnages dans leurs environnement,
questionnant constamment le spectateur sur la nature subjective ou pas de ce
regard.
Le film ose un rythme déroutant aujourd'hui pour ce genre de
thriller sans pour autant relâcher la tension comme le démontre quelque moments
angoissants comme la traque d'un observateur sur les toits par Sutherland ou le
glaçant face à face final entre Fonda et le tueur (dont l'identité est très
rapidement connue autre entorse étonnante dans le genre et donnant une dynamique
différente à l'intrigue). La photo sombre aux teintes brunâtre de Gordon Willis
fera école, accentuant l'aspect réaliste et amplifiant le ton désespéré du New
York décrit par Pakula, de quartiers mal famés en soirée disco glauques, le
tout traversé par des junkies n’étant plus que l’ombre d'êtres humains. C’est
le deuxième film de Pakula qui déploie là tous les aspects de ce qu'on
appellera sa trilogie paranoïaque poursuivie dans l'angoissant A cause d'un assassinat et Les Hommes du Président. Quant à Jane Fonda un Golden Globe
et un oscar bien mérité viendront saluer sa performance.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
jeudi 25 juin 2015
Coup de tête - Jean-Jacques Annaud (1979)
François Perrin est
ailier droit dans l'équipe de football de la petite ville de Trincamp.
Seulement il a un sale caractère. Le président du club est également le patron
de l'usine où il travaille. Apres un coup de gueule, il est renvoyé du terrain
et perd son emploi à l'usine. Et pour corser le tout, il est accusé d'un viol
qu'il n'a pas commis. Mais l'équipe doit jouer en coupe de France et ne peut
absolument pas se passer de Perrin.
La reconnaissance critique s’était conjuguée à des entrées
plus que confidentielles pour Jean-Jacques Annaud avec son premier film, La Victoire en chantant (1976). Malgré
son échec en salle le film sera récompensé de l’Oscar du meilleur film étranger
et ouvrira la porte des studios américains à Jean-Jacques Annaud qui reçoit
alors de nombreuses propositions. Le réalisateur ne se sent cependant pas prêt à
franchir le pas et décide de réaliser son second film en France, à une échelle
modeste. L’idée de Coup de tête lui
vient quand il suivra le parcours du club alors régional de l'En Avant de
Guingamp en Coupe de France en 1973, décliné en Trincamp au sein du film. Il
souhaite signer une satire grinçante inspirée du mauvais esprit des comédies
italiennes. Coup de tête se situe un
peu à part dans la filmographie d’Annaud, son seul film au sujet et cadre
contemporain et sans doute le plus verbeux quand les classiques à venir
fonctionneront surtout par l’image, parfois muet (La Guerre du feu (1981), L’Ours
(1988)) ou en tout cas fort silencieux (Le
Nom de la Rose (1986) amputé des joutes verbales du livre d’Umberto Eco, L’Amant (1992) et son ivresse des sens).
L’apport de Francis Veber au scénario sera donc décisif, apportant son sens du
dialogue incisif et sa drôlerie. L’alliance avec Annaud est ainsi idéalement
complémentaire, l’humour plus lunaire et boulevardier de Veber s’ancrant dans
une vraie réalité par le perfectionnisme et le réalisme recherché par Annaud.
Les deux écumeront ainsi les stades pour s’imprégner de l’atmosphère des
vestiaires de football, Annaud engageant l’encore inconnu Guy Roux comme
conseiller technique et les joueurs d’Auxerre de l’époque contribuant aux scènes
de match.
François Perrin (Patrick Dewaere) est un modeste ouvrier
jouant dans l’équipe de football locale de Trincamp. Son univers s’écroule le
jour où il a le malheur de blesser Berthier (Patrick Floersheim), le joueur
vedette. Il va être mis à la fois au ban de l’équipe et de l’usine, les
intérêts sportifs et économiques se confondant en la personne de Sivardière
(Jean Bouise) patron du club et de la plus grosse entreprise de la région. Les
succès du club sont autant de moyens de détourner ses employés d’une quelconque
rébellion en bon opium du peuple. Perrin va ainsi lentement dégringoler les
échelons sociaux et surtout être méprisé et repoussé par la population. La
situation est poussée à l’absurde sordide lorsque la Berthier commet un viol
sur une jeune femme (France Dougnac) mais, les seizièmes de final de la Coupe
de France approchant les notables vont s’entendre pour faire accuser à tort
Perrin.
Le film constitue un sacré brûlot renvoyant tout le monde
dos à dos. La corruption des notables se servant du sport comme opium du peuple, ce
dernier symbole de beauferie crasse et retournant sa veste idolâtre pour la
star du jour et là aussi le vedettariat et l’adulation rendant les sportifs
imbus d’eux-mêmes et tous permis. L’ensemble pourrait être assez sordide mais
par la grâce de l’écriture mordante et de l’interprétation truculente, on s’amuse
de bout en bout de ce triste constat.
Le tableau des « affreux » est
à la fois odieux et tordant de franchouillardise stupide avec un Jean Bouise
grandiose en président cynique (qui sera récompensé d’un César), bien secondé
par un casting représentant l’autorité (Gérard Hernandez) et l’ensemble des notables corrompus avec un
Michel Aumont grandiose de veulerie à l’instar de Paul Le Person. Patrick
Dewaere éclaire l’ensemble de son énergie, d’une certaine forme d’innocence
ancrée dans le réel à travers d’hilarants dérapages qui le rendent attachant
(les visites avinées à Marie).
On ressent comme souvent cette profonde
vulnérabilité et pureté qui le différencie de ceux qui le persécute, le script
lui offrant des occasions de prendre sa revanche avec une brutalité qui lui est
étrangère et qu’il n’osera pas adopter. Il se placera au-dessus de la mêlée en
retournant le piège contre ses ennemis : retourner cette adulation contre
eux et se rendre intouchable. L’ironie de certaines scènes atteint des sommets
tel ce moment où la prison refusera le retour au bercail de Perrin pour ne pas
attiser la colère des supporters et bien sûr le dîner voyant Perrin dire ses
quatre vérités chargées de menaces à chacun.
L’humiliation est complète lors de
la séquence finale où la peur et la culpabilité rendent plus tremblant les
oppresseurs que la vengeance de Perrin qui pourra les toiser la tête haute.
Brillant, alerte (le football rarement bien servi au cinéma offre des séquences
fort convaincantes même si son illustration n’est pas le point central du film)
et hilarant. Le film remportera un succès modeste en salle (notamment dû à un
Dewaere en guerre contre la télévision et refusant d’y faire de la promotion)
mais atteindra le statut de film culte au fil des rediffusions télé et
constitue désormais un classique de la comédie française.
Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Gaumont
mercredi 24 juin 2015
Wish You Were Here - David Leland (1987)
Âgée de tout juste 16 ans, Lynda
Mansell joue la provocatrice dans son petit bourg de bord de mer
britannique des années 1950. Au grand déplaisir de son père veuf qui ne
sait plus comment s'en occuper, elle choque volontiers son entourage par
son vocabulaire peu retenu (son juron favori : "Up yer bum")
Wish you were here est le remarquable premier film de David Leland qui, après une brève carrière d'acteur s'était fait connaître pour son travail de scénariste. Il travaillera notamment avec Alan Clarke sur Made in Britain (1982) ou encore Neil Jordan pour Mona Lisa (1986). Sollicité pour écrire le script d'un biopic de Cynthia Payne (tenancière de maison close de la banlieue de Londres qui fit scandale dans les 70's), Leland y inclus un prologue sur son adolescence. Le projet deviendra Personal Services réalisé par Terry Jones où est abandonnée l'idée de prologue pour évoquer directement le personnage à l'âge adulte. David Leland voit pourtant matière pour une œuvre à part entière sur l'adolescence féminine dans la province anglaise des années 50.
Leland y gardera certains éléments biographique associé à Cynthia Payne (le fait que l'héroïne a perdu sa mère très jeune ou encore la séquence chez le psychanalyste) et d'autres de sa propre enfance à la même période. Pour le réalisateur, l'Angleterre des années 50 vit un véritable contrecoup répressif après la parenthèse enchantée que constitua la Seconde Guerre Mondiale. L'esprit de solidarité d'alors atténua pour un temps les clivages de classes ancrés dans la société anglaise et autorisa une certaine libération des mœurs. Au moment de se reconstruire, les codes sociaux et moraux d'alors semblent reprendre leur droits mais une certaine jeunesse va s'y opposer, le courant le plus connu étant celui des angry young men en littérature comme au cinéma.
Wish you were here propose donc un regard original de cette rébellion avec l'adolescente haute en couleur qu'est Lynda (Emily Lloyd). La magnifique scène d'ouverture exprime par l'image la liberté de corps et d'esprit de notre héroïne, lorsqu'elle longe la côte à vélo, robe retroussée laissant largement voir ses jambes puis lorsqu'elle aguiche les garçons, négligemment assise sur la rampe du pont. Elevée par son père incapable de lui témoigner de l'affection, Lynda voit donc dans la provocation une manière d'exister et d'échapper à l'ennui de cette vie provinciale. Emily Lloyd (qui avait l'âge du rôle) est prodigieuse, mêlant la candeur de l'enfance à la sensualité de la femme, les deux points s'exprimant par la manière toujours amusée et coquine de jouer de ses charmes quand elle montre ses dessous. Lynda n'a aucune expérience du sexe mais n'en a pas peur, curieuse et les sens en ébullition au même titre qu'un garçon ce qui est inacceptable.
Leland a toujours le regard juste, l'anormalité de Lynda n'existant que dans le regard moralisateur des autres quand elle semble constamment naturelle et moderne dans ses attitudes. Cela s'exprimera remarquablement dans le face à face avec un psychanalyste la testant durant un abécédaire où elle doit proférer des insanités et où elle le piège en ne prononçant pas le f(uck) et le c(ock) qu'il espère pour prouver son amoralité. Le machisme dominant est remarquablement fustigé également, le gout du sexe semblant être l'apanage des hommes quand il doit être honteux chez la femme. Le père n'aura que I'm a man à répondre lorsque Lynda le renvoie à ses propres aventures quand il lui reproche les siennes et la scène de "première fois" est hilarante tant le jeune homme promet monts et merveille pour un coït fulgurant qui laisse Lynda circonspecte.
L'innocence et la vulnérabilité que dégage Emily Lloyd rend bien plus touchant et profond cet attrait des sens, les provocations cachant un besoin d'attention. Leland reste ainsi très elliptique sur les scènes de sexe pour s'attarder sur les moments où Lynda fend l'armure rigolarde et dévoile son cœur d'artichaut en fondant en larmes devant un film romantique (Leland faisant preuve d'un goût très sûr puisqu'il s'agit de la magnifique production Gainsborough Love Story (1944) avec Margaret Lockwood). Personne ne sera pourtant capable de nourrir cette quête d'affection, tous les hommes du film représentant différentes forme de lâcheté, entre son père essayant plus de maintenir les apparences que de la comprendre, le premier amoureux cédant à la première menace et un amant plus âgé (et ami de son père) cherchant juste à la posséder. C'est un portrait glaçant de cette société maintenant dans l'ombre toute manifestation de désir même le plus naïf (le baiser violemment stoppé par le propriétaire du cinéma).
Visuellement c'est superbe, Leland capturant la quête d'ailleurs de Lynda en la fondant magnifiquement dans les espaces côtiers et la photo lumineuse de Ian Wilson contredisant le climat oppressant du film, se faisant le reflet de son héroïne rieuse. Le leitmotiv du travelling filmant Lynda de dos face à sa fenêtre et guettant un horizon meilleur offre également des variantes formelles inventives et envoutantes. La dernière scène offre un pendant brillant à l'ouverture, Lynda effectuant le même chemin avec une autre matière de défi aux bienpensants. Une belle réussite qui rencontrera un grand succès et qui vaudra un BAFTA à David Leland pour son script et une nomination pour Emily Lloyd qui trouvait là le rôle de sa vie.
Sorti en dvd zone 2 anglais chez Film Four
Wish you were here est le remarquable premier film de David Leland qui, après une brève carrière d'acteur s'était fait connaître pour son travail de scénariste. Il travaillera notamment avec Alan Clarke sur Made in Britain (1982) ou encore Neil Jordan pour Mona Lisa (1986). Sollicité pour écrire le script d'un biopic de Cynthia Payne (tenancière de maison close de la banlieue de Londres qui fit scandale dans les 70's), Leland y inclus un prologue sur son adolescence. Le projet deviendra Personal Services réalisé par Terry Jones où est abandonnée l'idée de prologue pour évoquer directement le personnage à l'âge adulte. David Leland voit pourtant matière pour une œuvre à part entière sur l'adolescence féminine dans la province anglaise des années 50.
Leland y gardera certains éléments biographique associé à Cynthia Payne (le fait que l'héroïne a perdu sa mère très jeune ou encore la séquence chez le psychanalyste) et d'autres de sa propre enfance à la même période. Pour le réalisateur, l'Angleterre des années 50 vit un véritable contrecoup répressif après la parenthèse enchantée que constitua la Seconde Guerre Mondiale. L'esprit de solidarité d'alors atténua pour un temps les clivages de classes ancrés dans la société anglaise et autorisa une certaine libération des mœurs. Au moment de se reconstruire, les codes sociaux et moraux d'alors semblent reprendre leur droits mais une certaine jeunesse va s'y opposer, le courant le plus connu étant celui des angry young men en littérature comme au cinéma.
Wish you were here propose donc un regard original de cette rébellion avec l'adolescente haute en couleur qu'est Lynda (Emily Lloyd). La magnifique scène d'ouverture exprime par l'image la liberté de corps et d'esprit de notre héroïne, lorsqu'elle longe la côte à vélo, robe retroussée laissant largement voir ses jambes puis lorsqu'elle aguiche les garçons, négligemment assise sur la rampe du pont. Elevée par son père incapable de lui témoigner de l'affection, Lynda voit donc dans la provocation une manière d'exister et d'échapper à l'ennui de cette vie provinciale. Emily Lloyd (qui avait l'âge du rôle) est prodigieuse, mêlant la candeur de l'enfance à la sensualité de la femme, les deux points s'exprimant par la manière toujours amusée et coquine de jouer de ses charmes quand elle montre ses dessous. Lynda n'a aucune expérience du sexe mais n'en a pas peur, curieuse et les sens en ébullition au même titre qu'un garçon ce qui est inacceptable.
Leland a toujours le regard juste, l'anormalité de Lynda n'existant que dans le regard moralisateur des autres quand elle semble constamment naturelle et moderne dans ses attitudes. Cela s'exprimera remarquablement dans le face à face avec un psychanalyste la testant durant un abécédaire où elle doit proférer des insanités et où elle le piège en ne prononçant pas le f(uck) et le c(ock) qu'il espère pour prouver son amoralité. Le machisme dominant est remarquablement fustigé également, le gout du sexe semblant être l'apanage des hommes quand il doit être honteux chez la femme. Le père n'aura que I'm a man à répondre lorsque Lynda le renvoie à ses propres aventures quand il lui reproche les siennes et la scène de "première fois" est hilarante tant le jeune homme promet monts et merveille pour un coït fulgurant qui laisse Lynda circonspecte.
L'innocence et la vulnérabilité que dégage Emily Lloyd rend bien plus touchant et profond cet attrait des sens, les provocations cachant un besoin d'attention. Leland reste ainsi très elliptique sur les scènes de sexe pour s'attarder sur les moments où Lynda fend l'armure rigolarde et dévoile son cœur d'artichaut en fondant en larmes devant un film romantique (Leland faisant preuve d'un goût très sûr puisqu'il s'agit de la magnifique production Gainsborough Love Story (1944) avec Margaret Lockwood). Personne ne sera pourtant capable de nourrir cette quête d'affection, tous les hommes du film représentant différentes forme de lâcheté, entre son père essayant plus de maintenir les apparences que de la comprendre, le premier amoureux cédant à la première menace et un amant plus âgé (et ami de son père) cherchant juste à la posséder. C'est un portrait glaçant de cette société maintenant dans l'ombre toute manifestation de désir même le plus naïf (le baiser violemment stoppé par le propriétaire du cinéma).
Visuellement c'est superbe, Leland capturant la quête d'ailleurs de Lynda en la fondant magnifiquement dans les espaces côtiers et la photo lumineuse de Ian Wilson contredisant le climat oppressant du film, se faisant le reflet de son héroïne rieuse. Le leitmotiv du travelling filmant Lynda de dos face à sa fenêtre et guettant un horizon meilleur offre également des variantes formelles inventives et envoutantes. La dernière scène offre un pendant brillant à l'ouverture, Lynda effectuant le même chemin avec une autre matière de défi aux bienpensants. Une belle réussite qui rencontrera un grand succès et qui vaudra un BAFTA à David Leland pour son script et une nomination pour Emily Lloyd qui trouvait là le rôle de sa vie.
Sorti en dvd zone 2 anglais chez Film Four
lundi 22 juin 2015
Pacte avec un tueur - Best Seller, John Flynn (1987)
Los Angeles 1972. Le
sergent Dennis Meechum est grièvement blessé lors d'un hold-up. Quinze ans plus
tard, il est devenu une des figures les plus célèbres de la police et a
consacré à l'affaire un best-seller. Alors qu'il cherche le sujet de son
deuxième livre, un des cambrioleurs, Cleve, lui propose le récit de ses
forfaits au service d'un industriel, David Madlock, d'autant plus que le
hold-up au cours duquel le policier faillit être tué était le premier exploit
de Cleve…
Pacte avec un tueur
est l’occasion de la rencontre entre l’art du pitch ludique et astucieux de
Larry Cohen avec la nervosité de l’expert du polar qu’est John Flynn.
Réalisateur - principalement dans la série B fantastique avec pour le meilleur Le Monstre est vivant (1974), Meurtres sous contrôle (1976) ou encore The Stuff (1985) - et scénariste prolifique vivant souvent sur la
vente de scripts pouvant longtemps dormir dans les tiroirs des producteurs, Larry
Cohen aura attendu sept ans avant de voir Pacte
avec un tueur se concrétiser. S’inspirant du courant voyant des policiers
devenir écrivain - Joseph Wambaugh entre autre - Cohen imagine une trame où un
policier en panne d’inspiration se trouve obligé de faire équipe avec un
dangereux tueur à gage. Cohen voyait Burt Lancaster incarner le policier et
Kirk Douglas le tueur mais la longue gestation du film amènera un casting moins
prestigieux mais néanmoins solide avec Brian Dennehy et James Woods.
L’intrigue voit donc une étrange relation se nouer entre le
policier expérimenté Dennis Meechum (Brian Dennehy) et le mystérieux tueur à
gage Cleve (James Woods). Ce dernier se propose de livrer ses secrets à Meechum
dont la carrière parallèle d’écrivain est en berne depuis la mort de sa femme.
Meechum méfiant est néanmoins intrigué puisque le passé de Cleve est sans doute
lié à un douloureux épisode passé, un hold-up meurtrier où il fut grièvement
blessé et ses collègues tués. L’objectif de Cleve est en surface totalement
narcissique et vise à se venger de son ancien employeur David Madlock (Paul
Shenar). Pourtant on ressentira au fil du récit une sincère admiration et la
recherche de l’amitié de Meechum, James Woods excellant à exprimer cet étrange
mélange de dangerosité et de vulnérabilité.
Le trouble est renforcé par l’illustration
de sa nature de tueur. Les vrais assassinats passés ne sont évoqués que par la
parole de Cleve, les écarts de violence plus gratuits escamotés même si
inquiétants - le chauffeur de taxi dans la cabine photo – quand pour le reste
il s’agira toujours de sauver la mise à Meechum dans diverses situations. Non
pas que le script tente d’adoucir le personnage mais en tout cas on ressent la
volonté de le rendre plus ambigu. Brian Dennehy dans un registre plus bourru
voit aussi l’armure de ce policier dur à cuire se fissurer, fasciné sans se l’admettre
par ce compagnon peu recommandable. Le jeu de piste sur les crimes de Cleve se
conjugue à une atmosphère de dangereuse paranoïa avec les intimidations de
Madlock guère enclin à voir sortir un ouvrage dévoilant ses activités.
Le résultat s’avère franchement efficace mais une fois n’est
pas coutume, le style frontal de John Flynn dessert un eu la richesse du
propos. La trame file tellement droit qu’elle en oublie en chemin d’aborder le
statut d’écrivain de Meechum qui ne sert que de McGuffin au film. Le rapport à
ses collègues qu’inclut cette seconde profession, conjuguer l’inspiration avec
son métier de policier, la gestion de la célébrité et le processus de création,
tout cela est survolé voir absent. Larry Cohen s’identifiant à son héros avait
truffé son script de ces éléments et apparemment nombres de scènes allant dans
ce sens furent tournées mais éliminées au montage.
On perd donc grandement de
la dimension ludique qu’incluait le postulat. De plus, captivé par son duo
Flynn n’enrichit pas son méchant, homme d’affaire transparent pourtant supposés
le mal absolu, symbole du capitalisme tout puissant quand Meechum et Cleve
reste de « vrais » hommes malgré leurs différences. L’ensemble n’en
reste pas moins un très bon polar 80’s rondement mené, mais le résultat n’atteint
pas tout à fait les hauteurs espérés. C’est d’autant plus dommage que Flynn sut
manier avec brio un matériau complexe avec son excellent Rolling Thunder (1977).
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
dimanche 21 juin 2015
Shining - The Shining, Stanley Kubrick (1980)
Jack Torrance, gardien
d'un hôtel fermé l'hiver, sa femme et son fils Danny s'apprêtent à vivre de
longs mois de solitude. Danny, qui possède un don de médium, le
"Shining", est effrayé à l'idée d'habiter ce lieu, théâtre marqué par
de terribles évènements passés...
Stanley Kubrick avait sans doute signé un de ses chefs
d’œuvre avec l’immense Barry Lyndon
(1975) mais le film s’était soldé par un échec commercial, tout juste sauvé par
son meilleur accueil en Europe. Le réalisateur se devait donc d’obtenir un
succès afin de préserver sa précieuse indépendance. Constatant l’engouement
d’alors pour le cinéma d’horreur notamment grâce à L’Exorciste (1973) de William Friedkin, Kubrick décide de s’y
confronter et bien évidemment de proposer le film le plus terrifiant du genre. Il
jettera son dévolu sur le best-seller de Stephen King qu’il remaniera
profondément, ne sollicitant pas l’auteur pour le scénario mais plutôt Diane
Johnson dont il avait apprécié le roman The
Shadow Knows. Le roman était un des plus personnels de Stephen King, en
partie autobiographique avec ce père alcoolique mettant à mal l’équilibre de sa
famille. Kubrick conservera cette base mais en fera une œuvre à l’émotion moins
directe, partagée entre l’argument surnaturel, une dimension psychanalytique et
l’atmosphère gothique subtile introduite par Diane Johnson, spécialiste du
genre.
Les premières minutes jettent déjà les bases du funeste
destin qui attend les protagonistes, les magnifiques paysages traversés
signifiant la profonde isolation qu’ils vivront dans cet hôtel Overlook loin de
tout. Les pesantes notes de synthés imposent une ambiance oppressante qui
contrebalance les somptueuses images. C’est là tout l’art de Kubrick de poser
d’emblée en filigrane la menace sans qu’elle ne se ressente réellement à
l’écran. L’hôtel est ainsi loin de l’architecture gothique attendue et s’avère
assez classique vu de l’extérieur, quand nous y pénètrerons les chambres
obéiront aux standards de ce type d’établissement (Kubrick dans sa maniaquerie
légendaire ayant compulsé les photos d’une centaine d’hôtel américain) et cette
normalité se prolongera aux tenues vestimentaires de la famille Torrance.
Tout
juste concèdera-t-il un élément du livre qu’il n’exploitera cependant jamais,
le fait que l’hôtel est construit sur un ancien cimetière indien mais plutôt que tapi dans l'ombre, le mal se manifestera dans la blancheur immaculée des journée d'hiver. Kubrick ne
déroge pas à ses obsessions ici, à savoir observer méthodiquement le
déraillement progressif de la psyché humaine, provoquées par la perversité dans
Lolita (1962), l’ambition avec Barry Lyndon ou encore la paranoïa et la
folie guerrière sur Docteur Folamour
(1964). C’est d’ailleurs là une des différences fondamentales avec le roman de
Stephen King où l’aura maléfique de l’hôtel provoque clairement les instincts
meurtriers de Jack Torrance alors qu’ici Jack Nicholson arbore un regard agité
et un sourire carnassier dès son entretien d’embauche et annonce les problèmes
à venir.
Kubrick fonctionne sur deux axes pour amener le basculement
dramatique et terrifiant du récit, le petit Danny (Danny Lloyd) et son père
Jack. Le réalisateur les capture dans une sorte de boucle quotidienne où
s’immisce peu à peu la folie et/ou le surnaturel. Cette normalité et cet ennui
sont marqués par les indications de temps qui tendent à s’estomper. Danny
sillonne ainsi l’hôtel à vélo, nous faisant découvrir son immensité tandis
qu’au fil des jours le malaise s’étend, d’abord par ce passage devant la
fameuse chambre 237 puis la rencontre macabre de fillettes assassinées au
détour d’un couloir. Pour Jack, cette répétitivité s’exprimera par ses laborieuses
séances d’écritures où le manque d’inspiration, la frustration puis la folie
s’exprimeront dans les attitudes de Jack Nicholson, le laissant dans un état
autorisant enfin les visions surnaturelles se manifester.
Les spectres ici ne
sont pas forcément agresseurs mais plutôt des empreintes, des réminiscences de
tout le mal passé au sein de l’hôtel. Danny finit par les voir distinctement
grâce à la sensibilité offerte par son don, le « shining ». A
l’inverse, Jack s’offre à eux par son équilibre mental vacillant et devient une
proie facile. A l’inverse du livre où c’est plus équilibré (la frêle Shelley
Duvall est loin de la mère de famille pleine d’assurance de Stephen King) c’est
clairement Jack qui intéresse Stanley Kubrick. Multipliant les prises pour
épuiser l’acteur et l’amener à un total lâché prise, Kubrick tire de Jack
Nicholson une prestation génialement grotesque et outrancière où la démence
finit par se lire clairement dans sa gestuelle épuisée.
La répétition du quotidien mais aussi de la boucle
meurtrière de l’hôtel (Jack n’étant finalement qu’un pantin) rapproche le film
de L’Année dernière à Marienbad
(1961) d’Alain Resnais. Et, même si l’inspiration était sans doute plus
évidente dans le livre on pense aussi à un pendant fantastique du Derrière le miroir (1956) de Nicholas Ray où un père
victime d’un traitement sous cortisone s’en prenait à sa famille. Tout comme la
demeure de Shining, les médicaments
ne sont pas les déclencheurs mais facilitait plutôt l’extériorisation des
frustrations de ces pères de famille ne parvenant pas à s’accomplir. Au détour
de quelques dialogues on le devine aisément ici même si Kubrick en passe plus
par l’image que le dialogue explicite pour l’exprimer.
La géométrie parfaite de
l’hôtel, celle des formes de la moquette où joue Danny, tout cela tend à
disparaitre et être lardé de visions cauchemardesques, la plus récurrente étant
cette vague de sang menaçant de happer les personnages. Le mal envahissant les lieux, cette boucle aboutissant sur la
folie et le cauchemar est donc le leitmotiv du film. Les virtuoses et si
précises séquences en steadycam distille un malaise latent et indicible même
dans les moments anodins et débouchent sur la pure terreur, les courses
parfaites de Danny l’amenant à faire de macabres rencontres.
De même
l’architecture si parfaite du labyrinthe est au final le théâtre de la pure
confusion et de la démence sans retour de Jack. Kubrick nous tient dans un
équilibre ténu de frayeur par ce ménagement virtuose de ses effets, rendant
toutes les interprétations possibles. Un monument de terreur, cérébral et
glaçant.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Warner
jeudi 18 juin 2015
À cor et à cri - Hue and Cry, Charles Crichton (1947)
Joe Kirby, 15 ans, est
un lecteur assidu du journal The Trump, et notamment des bandes dessinées
policières qui y figurent. Un jour, dans la rue, tout en lisant sa revue, il
remarque une plaque d'immatriculation en tout point similaire à celle de
l'aventure qu'il est en train de lire. Son imaginaire débordant, et l'esprit
aventureux de ses camarades de bande, vont le convaincre qu'une association
criminelle se cache derrière cette publication d'apparence anodine, et que
c'est à lui de résoudre le mystère !
La Ealing jusque-là un studio à la production versatile ne
deviendra le terreau de la comédie anglaise qu’avec le succès de Passeport pour Pimplico (1949). Hue and cry est une œuvre de transition
qui précède ce changement, aventure policière enfantine plutôt que pure
comédie, le film annonce cependant le mélange de satire sociale et contexte
réaliste qui fera le sel des meilleurs comédies Ealing. Le lien se fait par la
présence du scénariste T.E.B. Clarke, à l’œuvre sur Passeport pour Pimplico et d’autres grandes réussites du studio comme De l’or en barre (1951) ou Tortillard pour Titfield (1953).
Le jeune Joe Kirby (Harry Fowler), féru des bd policières du
journal The Trump va un jour
constater les étranges similitudes entre des éléments de son quotidien et les
trames criminelles de sa revue. En effet, la plaque d’immatriculation des
voleurs de l’histoire qu’il lit passe sous ses yeux à sa plus grande stupeur.
La bascule de la fiction au réel se fait symboliquement en reproduisant à l’image
une bulle de bd signifiant l’imaginaire débordant de Joe dont les aspects vont
pourtant bien se retrouver dans la trame policière du récit. Les criminels
usent en effet des récits policiers pour échanger des messages codés quant à la
préparation de leurs futurs méfaits. Forcément seuls les jeunes lecteurs seront
capables de détecter la supercherie et, pas pris au sérieux par les adultes
vont devoir jouer les détectives en herbes. Les futurs films du Free Cinema
mettant en scène les angry young men
au début des 60’s montraient de jeunes adultes en rébellion contre une société
résignée et endormie après l’expérience des privations de la guerre.
Hue and cry anticipe presque cela avec
ses enfants dénigrés par les adultes quels qu’ils soient (policiers, parent)
tous plus préoccupés à survivre qu’à observer ce qui se passe autour d’eux. Ce
traumatisme de la guerre imprègne le récit, autant dans la caractérisation des
enfants (le traumatisme du Blitz se devinant lorsque le jeune Alec s’amuse
longuement à imiter les bruits de fusillades et de bombardements d’avions) que
dans l’arrière-plan du film et ce Londres en reconstruction et parcourus de
ruine. Un terrain de jeu idéal pour nos chérubins et qui fait presque basculer
le film dans un néoréalisme à l’anglaise, sauf que l’ensemble est abordé de
manière ludique avec ce jeu de piste trépidant à travers Londres. Le film est
ainsi une réponse aux inquiétudes d’alors des adultes envers ses jeunes
sauvageons livrés à eux même dans les ruines, mais au contraire T.E. Clarke
annonce déjà les communautés isolés et vaillantes des productions Ealing à
venir avec ce groupe de détective en herbe.
Cette imagerie documentaire se conjugue à celle d’un vrai
film noir (parfois dans la même séquence comme lorsque les enfants filent Miss
Davis dans le quartier de Holborn en travaux), l’aspect ludique de l’ensemble n’empêchant
pas les vrais moments inquiétant. Tant que le doute règne cela peut être
désamorcé comme la pure ambiance gothique de la première rencontre avec l’écrivain
incarné par Alastair Sim, ce dernier se déchargeant d’ailleurs de toutes
responsabilités comme tous les adultes du film (dans une même logique tous les
criminels sous-estimeront l’astuce des enfants).
Les atmosphères urbaines se
font diablement oppressantes et ténébreuses, notamment une traversée des égouts
où ressurgissent toutes les terreurs enfantines. Les truands aux mines
patibulaires son mis en image de la façon la plus outrées, grotesques (dans cet
esprit bd) mais aussi inquiétantes dans les effets expressionnistes de Charles
Crichton.
Les gamins, gouailleurs et débrouillards sont très attachants et
débordants de naturel, en particulier Joe interprété avec une fougue
communicative par Harry Fowler. Crichon rend chacun immédiatement identifiable
qu’ils soient nommés ou pas en capturant une bouille poupine, une attitude.
Cette idée culmine lors du mémorable final où une véritable armée de gamins va
se dresser face aux criminels dans un joyeux esprit d’entraide au cours d’une
bagarre homérique (le score de Georges Auric prenant de beaux élans épiques).
L’ultime
face à face entre Joe et le chef des bandits dans un immeuble éventé offre d’ailleurs
la fusion parfaite entre cette approche réaliste et la stylisation d’un décor
dans un pur objectif de suspense. Le geste victorieux signifiera d’ailleurs de
fort belle manière la prise en main de la jeune génération. Un sacré bon moment
que ce Club des Cinq londonien.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
mercredi 17 juin 2015
Boulevard de l’espérance - Il viale della sperenza, Dino Risi (1953)
Un groupe de jeunes,
vivants dans une pension à Rome, rêve de se faire une place dans le monde du
cinéma : Franca et Luisa, actrices en quête de reconnaissance, Tonino
réalisateur en herbe et Mario, chef opérateur. Les choix et illusions de ces
aspirantes stars du cinéma vont se confronter à la difficulté de se faire une
place dans un milieu sans pitié...
Boulevard de l’espérance
est seulement le deuxième film d’un Dino Risi qui n’a pas encore défini son
style sur cette œuvre méconnue. Le film exploite d’ailleurs le succès de Les Fiancées de Rome (1952 de Luciano
Emmer qui narrait la quête sentimentale et professionnelle de trois jeunes
femmes. Emmer aura creusé le sillon de cette réussite dans un second film L’Amour au collège (1953) et Risi
reprend donc à son compte la formule notamment en reprenant quasiment le même
casting où l’on retrouve Cosetta Greco et Liliana Bonfatti. Risi inscrit la
quête de ses héroïnes dans le milieu du cinéma où elles cherchent à réussir, et
malgré l’inspiration assumée du Boulevard
du crépuscule (1950) de Billy Wilder on pense plutôt à une variante
italienne du beau Pension d’artistes (1937) de Gregory La Cava.
Le fameux « boulevard de l’espérance », c’est le
trajet de tramway qui conduit une population de tous âges et sexes vers Cinecittà.
Ils y viennent tous chargé de rêves de gloire mais l’issue sera forcément plus
modeste, entre auditions pour des rôles anecdotiques ou de la figuration dans
les innombrables productions à grand spectacle (péplum, film de vikings) du
cinéma italien de l’époque. Nous suivrons ainsi trois aspirantes représentant
chacune les différentes formes de motivations à intégrer ce monde du spectacle.
Luisa (Cosetta Greco) a elle la vraie vocation et se rêve réellement actrice,
les paillettes la richesse et la célébrité semble nettement plus intéresser la
plantureuse Franca (Piera Simoni) quand Giuditta (Liliana Bonfatti) y voit l’occasion
d’échapper à une existence provinciale morne de femme au foyer.
Ces attentes
contrastées anticipent donc les moyens employés pour réussir, le culot de
Giuditta (savoureux moment où elle se fait passer pour une sténo afin de
pénétrer le bureau d’un producteur) ne compensant pas le manque de talent, tout
comme l’arrogante Franca cherchant finalement surtout à être une femme
entretenue par des bienfaiteurs nantis. L’ensemble du film est sans vraie trame
conductrice et est constitué de tranches de vies de nos héroïnes, le plus
souvent teintées de désillusion. Le marivaudage amoureux se conjugue et se
confond aux déconvenues professionnelles mais Risi en reste à une veine de « néoréalisme
rose » et n’exploite jamais vraiment la noirceur potentielle de son sujet,
notamment la relation entre les jeunes femmes et les producteurs qui pourraient
contribuer à leurs ascensions.
On se plait donc à suivre une communauté hétéroclite qui
tente tant bien que mal de survivre. Fêtes guindées où l’on s’incruste en bon
pique-assiette pour un repas gratuit, film publicitaire tourné pour le
caméraman joué par Marcello Mastroianni (pas encore jeune premier superstar et
carrément doublé en VO par Nino Manfredi) et tentative de caser ses protégés
pour le « manager » joué par le gouailleur Pietro De Vico. Plutôt
plaisant donc mais encore loin des grands Risi qui sur des thèmes voisins
signera une œuvre bien plus aboutie avec son film suivant, Le Signe de Vénus (1953).
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
mardi 16 juin 2015
Un monsieur de compagnie - Philippe de Broca (1964)
Antoine Mirlifor, qui rêvait qu'il
travaillait en usine, se réveille soulagé en constatant qu'il pêche
auprès de son grand-père dont la philosophie est fondée sur la paresse.
Mais le vieillard meurt, laissant seul et sans argent son petit-fils,
qui ne doit plus compter que sur lui-même. Il use donc de son charme
auprès des femmes pour les séduire et auprès des riches pour vivre à
leurs crochets. Mais il tombe amoureux d'Isabelle.
Un monsieur de compagnie vient conclure la fructueuse collaboration entre Philippe de Broca et Jean-Pierre Cassel, le second ayant constitué un véritable double cinématographique du premier à travers son personnage de doux rêveur dans Les Jeux de l'amour (1960), Le Farceur (1960) et L'Amant de cinq jours (1961). Ce troisième film en commun est très librement adapté du roman éponyme d'André Couteaux par de Broca et Henri Lanoë. Alors que Les Jeux de l'amour et Le Farceur restaient des œuvres de factures modestes et artisanales, Un monsieur de compagnie par sa luxuriance visuelle (technicolor, tournage international) semble une fusion entre le de Broca première manière et celui des cartons au box-office que furent Cartouche (1962) et surtout L'Homme de Rio (1964). Le plébiscite public des titres avec Jean-Paul Belmondo marquera d'ailleurs la rupture avec Cassel au succès plus modeste. Un monsieur de compagnie n'est pas tout à fait à la hauteur des meilleurs films des deux périodes mais s'avère d'un charme fou.
Antoine
Mirlifor (Jean-Pierre Cassel) est un jeune homme élevé par son
grand-père dans un véritable culte de la paresse, de l'hédonisme et des
plaisirs simple. Cette existence paisible s'exprime dans l'ouverture
bucolique tandis que le monde réel ne se dévoile que par le cauchemar
lorsqu'Antoine s'imagine travailler en usine. A la mort de son
grand-père, notre héros se retrouve pourtant sans le sous mais ne va pas
renoncer pour autant à sa philosophie de la paresse. L'ensemble du film
constitue ainsi une suite d'épisode/sketch le voyant vivre des
expériences d'oisiveté auprès de différents protagonistes, milieux
sociaux et cadres géographique qu'il fuira à toutes jambes dès que
l'ombre d'une responsabilité viendra le rattraper. Jean-Pierre Cassel
plus souriant et sautillant que jamais profite donc de tout et de tout
le monde : conquêtes féminines crédules et/ou légère, bienfaiteurs
nantis et naïf... L'acteur virevolte, sourire en coin et culot à
revendre pour s'amuser au gré des rencontres.
Il faut bien tout le charme de l'acteur donner envie de suivre un personnage au final assez antipathique et qui abuse de la joyeuse troupe d'excentrique qui va croiser sa route. Le casting fait merveille avec Jean-Pierre Marielle en vendeur gouailleur et débrouillard qui va se faire voler sa petite amie, Jean-Claude Brialy génial homme-enfant aristocrate amateur de train ou encore Adolfo Celli riche italien pétri d'admiration pour celui en qui il voit un fils spirituel.
Visuellement Philippe de Broca constitue un monde de rêve entre la bd (le Montmartre annonçant presque Amélie Poulain dans son scintillant fétichisme), la maison de poupée (le technicolor façon boite de Quality Street de Raoul Couard) et le dépliant touristique lors de l'épisode italien, le tout parsemée d'idée folles comme la chambre transformée en cabine couchette.
Les jeunes filles sont jolies et légères (Annie Girardot, Sandra Millo, Irina Demick ...), le moindre protagoniste rencontré idéalement bienveillant (le policier italien qui en oublie son amende), cette idée fonctionnant même par l'ellipse (Antoine se réfugiant sous le parapluie d'un passant dont il se trouve seul possesseur dès la séquence suivante). La seule ombre au tableau serait donc sans doute notre héros qui pourra vaguement faire sourire en abandonnant une conquête, fera tiquer en brisant le cœur "ferroviaire" de Brialy et se montrera bien cruel en suggérant avoir possédé toutes les filles de l'homme qui l'hébergeait généreusement. Leur tort est d'avoir voulu le ranger, l'enfermer dans une case, en un mot le faire grandir.
Le seul fil rouge de ces péripéties est la rencontre récurrente d'une énigmatique et charmante jeune fille blonde (Catherine Deneuve au sommet de sa beauté virginale) dont chaque apparition est marquée par un somptueux thème de Georges Delerue. C'est sa poursuite plus ou moins consciente qui mène les pérégrinations d'Antoine et ce n'est qu'en l'ayant enfin rattrapée qu'il ressentira pour la première fois les manques de son existences dans son rapport à elle. Ce n'est par une nantie dont il peut soutirer quelques billets, ni une délurée qui cédera facilement à ses avances.
Il ne peut qu'être lui-même mais s'avère une coquille vide qui n'a rien à lui proposer. Exister à ses yeux c'est s'installer et se ranger aux contraintes de la vie "normale" mais c'est alors renier ce principe d'existence oisive. Un choix complexe pour lequel de Broca botte en touche par une pirouette narrative désinvolte qui boucle la boucle. Pas forcément le meilleur de cette grande période du réalisateur mais un très bon moment.
Sorti en dvd et bluray chez Gaumont
Un monsieur de compagnie vient conclure la fructueuse collaboration entre Philippe de Broca et Jean-Pierre Cassel, le second ayant constitué un véritable double cinématographique du premier à travers son personnage de doux rêveur dans Les Jeux de l'amour (1960), Le Farceur (1960) et L'Amant de cinq jours (1961). Ce troisième film en commun est très librement adapté du roman éponyme d'André Couteaux par de Broca et Henri Lanoë. Alors que Les Jeux de l'amour et Le Farceur restaient des œuvres de factures modestes et artisanales, Un monsieur de compagnie par sa luxuriance visuelle (technicolor, tournage international) semble une fusion entre le de Broca première manière et celui des cartons au box-office que furent Cartouche (1962) et surtout L'Homme de Rio (1964). Le plébiscite public des titres avec Jean-Paul Belmondo marquera d'ailleurs la rupture avec Cassel au succès plus modeste. Un monsieur de compagnie n'est pas tout à fait à la hauteur des meilleurs films des deux périodes mais s'avère d'un charme fou.
Il faut bien tout le charme de l'acteur donner envie de suivre un personnage au final assez antipathique et qui abuse de la joyeuse troupe d'excentrique qui va croiser sa route. Le casting fait merveille avec Jean-Pierre Marielle en vendeur gouailleur et débrouillard qui va se faire voler sa petite amie, Jean-Claude Brialy génial homme-enfant aristocrate amateur de train ou encore Adolfo Celli riche italien pétri d'admiration pour celui en qui il voit un fils spirituel.
Visuellement Philippe de Broca constitue un monde de rêve entre la bd (le Montmartre annonçant presque Amélie Poulain dans son scintillant fétichisme), la maison de poupée (le technicolor façon boite de Quality Street de Raoul Couard) et le dépliant touristique lors de l'épisode italien, le tout parsemée d'idée folles comme la chambre transformée en cabine couchette.
Les jeunes filles sont jolies et légères (Annie Girardot, Sandra Millo, Irina Demick ...), le moindre protagoniste rencontré idéalement bienveillant (le policier italien qui en oublie son amende), cette idée fonctionnant même par l'ellipse (Antoine se réfugiant sous le parapluie d'un passant dont il se trouve seul possesseur dès la séquence suivante). La seule ombre au tableau serait donc sans doute notre héros qui pourra vaguement faire sourire en abandonnant une conquête, fera tiquer en brisant le cœur "ferroviaire" de Brialy et se montrera bien cruel en suggérant avoir possédé toutes les filles de l'homme qui l'hébergeait généreusement. Leur tort est d'avoir voulu le ranger, l'enfermer dans une case, en un mot le faire grandir.
Le seul fil rouge de ces péripéties est la rencontre récurrente d'une énigmatique et charmante jeune fille blonde (Catherine Deneuve au sommet de sa beauté virginale) dont chaque apparition est marquée par un somptueux thème de Georges Delerue. C'est sa poursuite plus ou moins consciente qui mène les pérégrinations d'Antoine et ce n'est qu'en l'ayant enfin rattrapée qu'il ressentira pour la première fois les manques de son existences dans son rapport à elle. Ce n'est par une nantie dont il peut soutirer quelques billets, ni une délurée qui cédera facilement à ses avances.
Il ne peut qu'être lui-même mais s'avère une coquille vide qui n'a rien à lui proposer. Exister à ses yeux c'est s'installer et se ranger aux contraintes de la vie "normale" mais c'est alors renier ce principe d'existence oisive. Un choix complexe pour lequel de Broca botte en touche par une pirouette narrative désinvolte qui boucle la boucle. Pas forcément le meilleur de cette grande période du réalisateur mais un très bon moment.
Sorti en dvd et bluray chez Gaumont