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lundi 29 juin 2015

Le docteur se marie - The Doctor Takes a Wife, Alexander Hall (1940)

Un quiproquo fait penser à toute la presse que la célèbre romancière féministe June Cameron est marié à Tim Sterling, professeur à l'université.

Une délicieuse screwball comedy qui trouve le ton juste entre progressisme et valeurs traditionnelles par la grâce d'un script astucieux. June Cameron (Loretta Young) est un écrivain féministe incitant les femmes à vivre hors du joug masculin et à mener carrière. Son dernier ouvrage rencontrant un succès important, elle est contrainte d'écourter ses vacances et de rentrer à New York. Faute de moyen de locomotion, elle s'impose dans la voiture du très soupe au lait Tim Sterling (Ray Milland) aspirant professeur en université de médecine. L'antagonisme entre l'indépendance de June et le caractère orageux de Tim se dessine pendant le trajet par quelques échanges savoureux et préparant la cohabitation forcée qui les attends arrivé destination. Suite à un quiproquo ils sont pris pour de jeunes mariés et une lectrice trahie aura fait remonter la rumeur jusqu'à New York. Seul moyen de s'en sortir, simuler un vrai mariage le temps pour June de changer son fusil d'épaule et de signer un ouvrage vantant la vie matrimoniale et de divorcer à sa parution (quitte à en écrire un dépeignant les joies du divorce par la suite). On appréciera la morale bienpensante d'alors où mieux vaut feindre un mariage que d'avouer un liaison de passage.

Le script distille une habile opposition de caractères sources de joutes tordantes et inventives (Milland répertoriant les objets de Lorreta Young pour récupérer ses quatre dollars) tout en ne faisant pas des personnages des figures figées à leur supposée idéologie. Ainsi le supposé macho joué par Milland se montre fort soumis à sa vraie fiancée Marilyn (Gail Patrick) et Lorreta Young n'a guère de scrupule à sauver sa carrière en reniant sa philosophie tout en cédant là aussi à son petit ami et éditeur (Reginald Gardiner). Ce n'est donc pas sur une idéologie mais plutôt la peur de l'autre que repose leur opposition, donnant un charme explosif à leur mariage/opposition qui tout en les rebutant sert leurs intérêts. Chacun aura droit à son moment dominant Milland envahissant avec jubilation l'intérieur cosy de son "épouse" de ses attributs masculins dans les tiroirs, les armoires et même un tableau d'anatomie en plein salon.

Le mariage n'est pas considéré comme la normalité uniquement pour la femme, Milland accédant enfin au statut de professeur grâce à nouvelle union qui le rend enfin suffisamment "équilibré" pour enseigner (l'occasion d'une revanche tonitruante de Loretta Young quand elle l'apprendra). D'ailleurs le monde universitaire est croqué avec amusement durant une scène de réception entre érudits discutant uniquement de trouble mentaux et son doyen dont un simple raclement de gorge génère un silence poli. Une caricature excellent mais pas suffisamment exploitée tant il y avait possibilité à des atmosphères façon Boule de feu de (1941) Howard Hawks.

Ce n'est finalement qu'en situation de crise, hors des carcans urbains que le rapprochement pourra se faire tout en leur permettant d'assumer leur personnalité et d'y adosser leur qualité. Le scientifique devient ainsi le médecin prévenant qui va aider une femme à accoucher, la femme indépendante une aide précieuse pour tempérer la crise (ne paraissant jamais soumise même en effectuant des tâches d'intérieur) et les deux peuvent enfin s'admirer mutuellement et s'aimer.

Le registre vachard initial ne s'estompe heureusement pas mais se faisant dans la complicité et plus dans l'affrontement, à l'image du stratagème génial de Loretta Young pour empêcher Milland de se fiancer. Les deux acteurs sont irrésistibles (et Loretta Young à croquer comme d'habitude), les seconds rôles aussi surprenant qu'inventifs (les étudiants pratiquants de football américains bas du front) et l'ensemble mené tambour battant par Alexander Hall. Très bon moment !

Sorti en dvd zone 1 chez Columbia et doté de sous-titres anglais

samedi 27 juin 2015

Klute - Alan J. Pakula (1971)

John Klute est détective privé. Un jour, l'épouse et l'associé de son ami Tom Gruneman, disparu depuis six mois, lui demandent de le retrouver. Il se rend de Pennsylvanie à New York pour mener l'enquête. La seule piste est une call-girl, Bree Daniels, à qui Tom aurait adressé des lettres obscènes.

Klute est un des films les plus marquant des 70's, contribuant  à en établir les canons esthétiques par son ton et atmosphère. Un certain David Fincher ne s'en est jamais remis tant on retrouve des traces de Klute dans toute sa filmographie, que ce soit la lenteur savamment calculée de Zodiac, la photo de Seven ou la paranoïa de The Game. Portrait de femme dont les éléments de thriller serviront à pénétrer et faire évoluer la personnalité de son héroïne, le film tient en grande partie sur la performance de Jane Fonda. 

Un personnage formidablement écrit que cette prostituée peu satisfaite de son existence qui se réfugie dans l'insensibilité nécessaire à son "métier" pour accepter son quotidien morne semé d'échecs, notamment dans ses tentatives de mener une carrière d'actrice. Pakula joue astucieusement avec l'image glamour de l'actrice en la montrant sous un jour séducteur en début de film, passant d'un client à l'autre sans états d'âme et prenant un vrai plaisir à se jouer du désir des hommes notamment une scène troublante où elle se déshabille tout en racontant ses fantasmes à un client de 70 ans sur le score planant de Michael Small.

 Cette imagerie séductrice va voler en éclats au fur et à mesure de l'avancée du film, Bree dévoilant sa facette autodestructrice troublée qu'elle est par la menace du tueur et la présence du détective incarné par Donald Sutherland. Jane Fonda livre une prestation poignante avec ce personnage terriblement humain dans ses contradictions et ses revirements, cachant son mal être sous un prétendu caractère détaché de tout. Donald Sutherland en détective un peu mystérieux, tout en retenue et sobriété est tout aussi bon en personnage révélateur tandis que Roy Scheider campe avec brio un détestable et tentateur personnage de mac. Niveau esthétique le film subit l'influence d'un certain cinéma européen comme le Blow Up d'Antonioni et annonce par bien des aspects le Conversation Secrète de Coppola. En résulte un sentiment de paranoïa permanent, même dans les instants les plus relâché du film où l'on a constamment l'impression d'être observé, épié, Pakula jouant souvent des plan lointain sur ses personnages dans leurs environnement, questionnant constamment le spectateur sur la nature subjective ou pas de ce regard.

Le film ose un rythme déroutant aujourd'hui pour ce genre de thriller sans pour autant relâcher la tension comme le démontre quelque moments angoissants comme la traque d'un observateur sur les toits par Sutherland ou le glaçant face à face final entre Fonda et le tueur (dont l'identité est très rapidement connue autre entorse étonnante dans le genre et donnant une dynamique différente à l'intrigue). La photo sombre aux teintes brunâtre de Gordon Willis fera école, accentuant l'aspect réaliste et amplifiant le ton désespéré du New York décrit par Pakula, de quartiers mal famés en soirée disco glauques, le tout traversé par des junkies n’étant plus que l’ombre d'êtres humains. C’est le deuxième film de Pakula qui déploie là tous les aspects de ce qu'on appellera sa trilogie paranoïaque poursuivie dans l'angoissant A cause d'un assassinat et Les Hommes du Président. Quant à Jane Fonda un Golden Globe et un oscar bien mérité viendront saluer sa performance. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

jeudi 25 juin 2015

Coup de tête - Jean-Jacques Annaud (1979)

François Perrin est ailier droit dans l'équipe de football de la petite ville de Trincamp. Seulement il a un sale caractère. Le président du club est également le patron de l'usine où il travaille. Apres un coup de gueule, il est renvoyé du terrain et perd son emploi à l'usine. Et pour corser le tout, il est accusé d'un viol qu'il n'a pas commis. Mais l'équipe doit jouer en coupe de France et ne peut absolument pas se passer de Perrin.

La reconnaissance critique s’était conjuguée à des entrées plus que confidentielles pour Jean-Jacques Annaud avec son premier film, La Victoire en chantant (1976). Malgré son échec en salle le film sera récompensé de l’Oscar du meilleur film étranger et ouvrira la porte des studios américains à Jean-Jacques Annaud qui reçoit alors de nombreuses propositions. Le réalisateur ne se sent cependant pas prêt à franchir le pas et décide de réaliser son second film en France, à une échelle modeste. L’idée de Coup de tête lui vient quand il suivra le parcours du club alors régional de l'En Avant de Guingamp en Coupe de France en 1973, décliné en Trincamp au sein du film. Il souhaite signer une satire grinçante inspirée du mauvais esprit des comédies italiennes. Coup de tête se situe un peu à part dans la filmographie d’Annaud, son seul film au sujet et cadre contemporain et sans doute le plus verbeux quand les classiques à venir fonctionneront surtout par l’image, parfois muet (La Guerre du feu (1981), L’Ours (1988)) ou en tout cas fort silencieux (Le Nom de la Rose (1986) amputé des joutes verbales du livre d’Umberto Eco, L’Amant (1992) et son ivresse des sens).

L’apport de Francis Veber au scénario sera donc décisif, apportant son sens du dialogue incisif et sa drôlerie. L’alliance avec Annaud est ainsi idéalement complémentaire, l’humour plus lunaire et boulevardier de Veber s’ancrant dans une vraie réalité par le perfectionnisme et le réalisme recherché par Annaud. Les deux écumeront ainsi les stades pour s’imprégner de l’atmosphère des vestiaires de football, Annaud engageant l’encore inconnu Guy Roux comme conseiller technique et les joueurs d’Auxerre de l’époque contribuant aux scènes de match.

François Perrin (Patrick Dewaere) est un modeste ouvrier jouant dans l’équipe de football locale de Trincamp. Son univers s’écroule le jour où il a le malheur de blesser Berthier (Patrick Floersheim), le joueur vedette. Il va être mis à la fois au ban de l’équipe et de l’usine, les intérêts sportifs et économiques se confondant en la personne de Sivardière (Jean Bouise) patron du club et de la plus grosse entreprise de la région. Les succès du club sont autant de moyens de détourner ses employés d’une quelconque rébellion en bon opium du peuple. Perrin va ainsi lentement dégringoler les échelons sociaux et surtout être méprisé et repoussé par la population. La situation est poussée à l’absurde sordide lorsque la Berthier commet un viol sur une jeune femme (France Dougnac) mais, les seizièmes de final de la Coupe de France approchant les notables vont s’entendre pour faire accuser à tort Perrin.

Le film constitue un sacré brûlot renvoyant tout le monde dos à dos. La corruption des notables se servant du sport comme opium du peuple, ce dernier symbole de beauferie crasse et retournant sa veste idolâtre pour la star du jour et là aussi le vedettariat et l’adulation rendant les sportifs imbus d’eux-mêmes et tous permis. L’ensemble pourrait être assez sordide mais par la grâce de l’écriture mordante et de l’interprétation truculente, on s’amuse de bout en bout de ce triste constat. 

Le tableau des « affreux » est à la fois odieux et tordant de franchouillardise stupide avec un Jean Bouise grandiose en président cynique (qui sera récompensé d’un César), bien secondé par un casting représentant l’autorité (Gérard Hernandez) et  l’ensemble des notables corrompus avec un Michel Aumont grandiose de veulerie à l’instar de Paul Le Person. Patrick Dewaere éclaire l’ensemble de son énergie, d’une certaine forme d’innocence ancrée dans le réel à travers d’hilarants dérapages qui le rendent attachant (les visites avinées à Marie).

On ressent comme souvent cette profonde vulnérabilité et pureté qui le différencie de ceux qui le persécute, le script lui offrant des occasions de prendre sa revanche avec une brutalité qui lui est étrangère et qu’il n’osera pas adopter. Il se placera au-dessus de la mêlée en retournant le piège contre ses ennemis : retourner cette adulation contre eux et se rendre intouchable. L’ironie de certaines scènes atteint des sommets tel ce moment où la prison refusera le retour au bercail de Perrin pour ne pas attiser la colère des supporters et bien sûr le dîner voyant Perrin dire ses quatre vérités chargées de menaces à chacun. 

L’humiliation est complète lors de la séquence finale où la peur et la culpabilité rendent plus tremblant les oppresseurs que la vengeance de Perrin qui pourra les toiser la tête haute. Brillant, alerte (le football rarement bien servi au cinéma offre des séquences fort convaincantes même si son illustration n’est pas le point central du film) et hilarant. Le film remportera un succès modeste en salle (notamment dû à un Dewaere en guerre contre la télévision et refusant d’y faire de la promotion) mais atteindra le statut de film culte au fil des rediffusions télé et constitue désormais un classique de la comédie française.

Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Gaumont 

mercredi 24 juin 2015

Wish You Were Here - David Leland (1987)

Âgée de tout juste 16 ans, Lynda Mansell joue la provocatrice dans son petit bourg de bord de mer britannique des années 1950. Au grand déplaisir de son père veuf qui ne sait plus comment s'en occuper, elle choque volontiers son entourage par son vocabulaire peu retenu (son juron favori : "Up yer bum")

Wish you were here est le remarquable premier film de David Leland qui, après une brève carrière d'acteur s'était fait connaître pour son travail de scénariste. Il travaillera notamment avec Alan Clarke sur Made in Britain (1982) ou encore Neil Jordan pour Mona Lisa (1986). Sollicité pour écrire le script d'un biopic de Cynthia Payne (tenancière de maison close de la banlieue de Londres qui fit scandale dans les 70's), Leland y inclus un prologue sur son adolescence. Le projet deviendra Personal Services réalisé par Terry Jones où est abandonnée l'idée de prologue pour évoquer directement le personnage à l'âge adulte. David Leland voit pourtant matière pour une œuvre à part entière sur l'adolescence féminine dans la province anglaise des années 50.

Leland y gardera certains éléments biographique associé à Cynthia Payne (le fait que l'héroïne a perdu sa mère très jeune ou encore la séquence chez le psychanalyste) et d'autres de sa propre enfance à la même période. Pour le réalisateur, l'Angleterre des années 50 vit un véritable contrecoup répressif après la parenthèse enchantée que constitua la Seconde Guerre Mondiale. L'esprit de solidarité d'alors atténua pour un temps les clivages de classes ancrés dans la société anglaise et autorisa une certaine libération des mœurs. Au moment de se reconstruire, les codes sociaux et moraux d'alors semblent reprendre leur droits mais une certaine jeunesse va s'y opposer, le courant le plus connu étant celui des angry young men en littérature comme au cinéma.

Wish you were here propose donc un regard original de cette rébellion avec l'adolescente haute en couleur qu'est Lynda (Emily Lloyd). La magnifique scène d'ouverture exprime par l'image la liberté de corps et d'esprit de notre héroïne, lorsqu'elle longe la côte à vélo, robe retroussée laissant largement voir ses jambes puis lorsqu'elle aguiche les garçons, négligemment assise sur la rampe du pont. Elevée par son père incapable de lui témoigner de l'affection, Lynda voit donc dans la provocation une manière d'exister et d'échapper à l'ennui de cette vie provinciale. Emily Lloyd (qui avait l'âge du rôle) est prodigieuse, mêlant la candeur de l'enfance à la sensualité de la femme, les deux points s'exprimant par la manière toujours amusée et coquine de jouer de ses charmes quand elle montre ses dessous. Lynda n'a aucune expérience du sexe mais n'en a pas peur, curieuse et les sens en ébullition au même titre qu'un garçon ce qui est inacceptable.

Leland a toujours le regard juste, l'anormalité de Lynda n'existant que dans le regard moralisateur des autres quand elle semble constamment naturelle et moderne dans ses attitudes. Cela s'exprimera remarquablement dans le face à face avec un psychanalyste la testant durant un abécédaire où elle doit proférer des insanités et où elle le piège en ne prononçant pas le f(uck) et le c(ock) qu'il espère pour prouver son amoralité. Le machisme dominant est remarquablement fustigé également, le gout du sexe semblant être l'apanage des hommes quand il doit être honteux chez la femme. Le père n'aura que I'm a man à répondre lorsque Lynda le renvoie à ses propres aventures quand il lui reproche les siennes et la scène de "première fois" est hilarante tant le jeune homme promet monts et merveille pour un coït fulgurant qui laisse Lynda circonspecte.

L'innocence et la vulnérabilité que dégage Emily Lloyd rend bien plus touchant et profond cet attrait des sens, les provocations cachant un besoin d'attention. Leland reste ainsi très elliptique sur les scènes de sexe pour s'attarder sur les moments où Lynda fend l'armure rigolarde et dévoile son cœur d'artichaut en fondant en larmes devant un film romantique (Leland faisant preuve d'un goût très sûr puisqu'il s'agit de la magnifique production Gainsborough Love Story (1944)  avec Margaret Lockwood). Personne ne sera pourtant capable de nourrir cette quête d'affection, tous les hommes du film représentant différentes forme de lâcheté, entre son père essayant plus de maintenir les apparences que de la comprendre, le premier amoureux cédant à la première menace et un amant plus âgé (et ami de son père) cherchant juste à la posséder. C'est un portrait glaçant de cette société maintenant dans l'ombre toute manifestation de désir même le plus naïf (le baiser violemment stoppé par le propriétaire du cinéma).

Visuellement c'est superbe, Leland capturant la quête d'ailleurs de Lynda en la fondant magnifiquement dans les espaces côtiers et la photo lumineuse de Ian Wilson contredisant le climat oppressant du film, se faisant le reflet de son héroïne rieuse. Le leitmotiv du travelling filmant Lynda de dos face à sa fenêtre et guettant un horizon meilleur offre également des variantes formelles inventives et envoutantes. La dernière scène offre un pendant brillant à l'ouverture, Lynda effectuant le même chemin avec une autre matière de défi aux bienpensants. Une belle réussite qui rencontrera un grand succès et qui vaudra un BAFTA à David Leland pour son script et une nomination pour Emily Lloyd qui trouvait là le rôle de sa vie.

Sorti en dvd zone 2 anglais chez Film Four

lundi 22 juin 2015

Pacte avec un tueur - Best Seller, John Flynn (1987)

Los Angeles 1972. Le sergent Dennis Meechum est grièvement blessé lors d'un hold-up. Quinze ans plus tard, il est devenu une des figures les plus célèbres de la police et a consacré à l'affaire un best-seller. Alors qu'il cherche le sujet de son deuxième livre, un des cambrioleurs, Cleve, lui propose le récit de ses forfaits au service d'un industriel, David Madlock, d'autant plus que le hold-up au cours duquel le policier faillit être tué était le premier exploit de Cleve…

Pacte avec un tueur est l’occasion de la rencontre entre l’art du pitch ludique et astucieux de Larry Cohen avec la nervosité de l’expert du polar qu’est John Flynn. Réalisateur - principalement dans la série B fantastique avec pour le meilleur Le Monstre est vivant (1974), Meurtres sous contrôle (1976) ou encore The Stuff (1985) -  et scénariste prolifique vivant souvent sur la vente de scripts pouvant longtemps dormir dans les tiroirs des producteurs, Larry Cohen aura attendu sept ans avant de voir Pacte avec un tueur se concrétiser. S’inspirant du courant voyant des policiers devenir écrivain - Joseph Wambaugh entre autre - Cohen imagine une trame où un policier en panne d’inspiration se trouve obligé de faire équipe avec un dangereux tueur à gage. Cohen voyait Burt Lancaster incarner le policier et Kirk Douglas le tueur mais la longue gestation du film amènera un casting moins prestigieux mais néanmoins solide avec Brian Dennehy et James Woods.

L’intrigue voit donc une étrange relation se nouer entre le policier expérimenté Dennis Meechum (Brian Dennehy) et le mystérieux tueur à gage Cleve (James Woods). Ce dernier se propose de livrer ses secrets à Meechum dont la carrière parallèle d’écrivain est en berne depuis la mort de sa femme. Meechum méfiant est néanmoins intrigué puisque le passé de Cleve est sans doute lié à un douloureux épisode passé, un hold-up meurtrier où il fut grièvement blessé et ses collègues tués. L’objectif de Cleve est en surface totalement narcissique et vise à se venger de son ancien employeur David Madlock (Paul Shenar). Pourtant on ressentira au fil du récit une sincère admiration et la recherche de l’amitié de Meechum, James Woods excellant à exprimer cet étrange mélange de dangerosité et de vulnérabilité.

Le trouble est renforcé par l’illustration de sa nature de tueur. Les vrais assassinats passés ne sont évoqués que par la parole de Cleve, les écarts de violence plus gratuits escamotés même si inquiétants - le chauffeur de taxi dans la cabine photo – quand pour le reste il s’agira toujours de sauver la mise à Meechum dans diverses situations. Non pas que le script tente d’adoucir le personnage mais en tout cas on ressent la volonté de le rendre plus ambigu. Brian Dennehy dans un registre plus bourru voit aussi l’armure de ce policier dur à cuire se fissurer, fasciné sans se l’admettre par ce compagnon peu recommandable. Le jeu de piste sur les crimes de Cleve se conjugue à une atmosphère de dangereuse paranoïa avec les intimidations de Madlock guère enclin à voir sortir un ouvrage dévoilant ses activités. 

Le résultat s’avère franchement efficace mais une fois n’est pas coutume, le style frontal de John Flynn dessert un eu la richesse du propos. La trame file tellement droit qu’elle en oublie en chemin d’aborder le statut d’écrivain de Meechum qui ne sert que de McGuffin au film. Le rapport à ses collègues qu’inclut cette seconde profession, conjuguer l’inspiration avec son métier de policier, la gestion de la célébrité et le processus de création, tout cela est survolé voir absent. Larry Cohen s’identifiant à son héros avait truffé son script de ces éléments et apparemment nombres de scènes allant dans ce sens furent tournées mais éliminées au montage. 

On perd donc grandement de la dimension ludique qu’incluait le postulat. De plus, captivé par son duo Flynn n’enrichit pas son méchant, homme d’affaire transparent pourtant supposés le mal absolu, symbole du capitalisme tout puissant quand Meechum et Cleve reste de « vrais » hommes malgré leurs différences. L’ensemble n’en reste pas moins un très bon polar 80’s rondement mené, mais le résultat n’atteint pas tout à fait les hauteurs espérés. C’est d’autant plus dommage que Flynn sut manier avec brio un matériau complexe avec son excellent Rolling Thunder (1977).

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

dimanche 21 juin 2015

Shining - The Shining, Stanley Kubrick (1980)

Jack Torrance, gardien d'un hôtel fermé l'hiver, sa femme et son fils Danny s'apprêtent à vivre de longs mois de solitude. Danny, qui possède un don de médium, le "Shining", est effrayé à l'idée d'habiter ce lieu, théâtre marqué par de terribles évènements passés...

Stanley Kubrick avait sans doute signé un de ses chefs d’œuvre avec l’immense Barry Lyndon (1975) mais le film s’était soldé par un échec commercial, tout juste sauvé par son meilleur accueil en Europe. Le réalisateur se devait donc d’obtenir un succès afin de préserver sa précieuse indépendance. Constatant l’engouement d’alors pour le cinéma d’horreur notamment grâce à L’Exorciste (1973) de William Friedkin, Kubrick décide de s’y confronter et bien évidemment de proposer le film le plus terrifiant du genre. Il jettera son dévolu sur le best-seller de Stephen King qu’il remaniera profondément, ne sollicitant pas l’auteur pour le scénario mais plutôt Diane Johnson dont il avait apprécié le roman The Shadow Knows. Le roman était un des plus personnels de Stephen King, en partie autobiographique avec ce père alcoolique mettant à mal l’équilibre de sa famille. Kubrick conservera cette base mais en fera une œuvre à l’émotion moins directe, partagée entre l’argument surnaturel, une dimension psychanalytique et l’atmosphère gothique subtile introduite par Diane Johnson, spécialiste du genre.

Les premières minutes jettent déjà les bases du funeste destin qui attend les protagonistes, les magnifiques paysages traversés signifiant la profonde isolation qu’ils vivront dans cet hôtel Overlook loin de tout. Les pesantes notes de synthés imposent une ambiance oppressante qui contrebalance les somptueuses images. C’est là tout l’art de Kubrick de poser d’emblée en filigrane la menace sans qu’elle ne se ressente réellement à l’écran. L’hôtel est ainsi loin de l’architecture gothique attendue et s’avère assez classique vu de l’extérieur, quand nous y pénètrerons les chambres obéiront aux standards de ce type d’établissement (Kubrick dans sa maniaquerie légendaire ayant compulsé les photos d’une centaine d’hôtel américain) et cette normalité se prolongera aux tenues vestimentaires de la famille Torrance. 

Tout juste concèdera-t-il un élément du livre qu’il n’exploitera cependant jamais, le fait que l’hôtel est construit sur un ancien cimetière indien mais plutôt que tapi dans l'ombre, le mal se manifestera dans la blancheur immaculée des journée d'hiver. Kubrick ne déroge pas à ses obsessions ici, à savoir observer méthodiquement le déraillement progressif de la psyché humaine, provoquées par la perversité dans Lolita (1962), l’ambition avec Barry Lyndon ou encore la paranoïa et la folie guerrière sur Docteur Folamour (1964). C’est d’ailleurs là une des différences fondamentales avec le roman de Stephen King où l’aura maléfique de l’hôtel provoque clairement les instincts meurtriers de Jack Torrance alors qu’ici Jack Nicholson arbore un regard agité et un sourire carnassier dès son entretien d’embauche et annonce les problèmes à venir. 

Kubrick fonctionne sur deux axes pour amener le basculement dramatique et terrifiant du récit, le petit Danny (Danny Lloyd) et son père Jack. Le réalisateur les capture dans une sorte de boucle quotidienne où s’immisce peu à peu la folie et/ou le surnaturel. Cette normalité et cet ennui sont marqués par les indications de temps qui tendent à s’estomper. Danny sillonne ainsi l’hôtel à vélo, nous faisant découvrir son immensité tandis qu’au fil des jours le malaise s’étend, d’abord par ce passage devant la fameuse chambre 237 puis la rencontre macabre de fillettes assassinées au détour d’un couloir. Pour Jack, cette répétitivité s’exprimera par ses laborieuses séances d’écritures où le manque d’inspiration, la frustration puis la folie s’exprimeront dans les attitudes de Jack Nicholson, le laissant dans un état autorisant enfin les visions surnaturelles se manifester. 

Les spectres ici ne sont pas forcément agresseurs mais plutôt des empreintes, des réminiscences de tout le mal passé au sein de l’hôtel. Danny finit par les voir distinctement grâce à la sensibilité offerte par son don, le « shining ». A l’inverse, Jack s’offre à eux par son équilibre mental vacillant et devient une proie facile. A l’inverse du livre où c’est plus équilibré (la frêle Shelley Duvall est loin de la mère de famille pleine d’assurance de Stephen King) c’est clairement Jack qui intéresse Stanley Kubrick. Multipliant les prises pour épuiser l’acteur et l’amener à un total lâché prise, Kubrick tire de Jack Nicholson une prestation génialement grotesque et outrancière où la démence finit par se lire clairement dans sa gestuelle épuisée.

La répétition du quotidien mais aussi de la boucle meurtrière de l’hôtel (Jack n’étant finalement qu’un pantin) rapproche le film de L’Année dernière à Marienbad (1961) d’Alain Resnais. Et, même si l’inspiration était sans doute plus évidente dans le livre on pense aussi à un pendant fantastique du Derrière le miroir (1956) de Nicholas Ray où un père victime d’un traitement sous cortisone s’en prenait à sa famille. Tout comme la demeure de Shining, les médicaments ne sont pas les déclencheurs mais facilitait plutôt l’extériorisation des frustrations de ces pères de famille ne parvenant pas à s’accomplir. Au détour de quelques dialogues on le devine aisément ici même si Kubrick en passe plus par l’image que le dialogue explicite pour l’exprimer. 

La géométrie parfaite de l’hôtel, celle des formes de la moquette où joue Danny, tout cela tend à disparaitre et être lardé de visions cauchemardesques, la plus récurrente étant cette vague de sang menaçant de happer les personnages. Le mal envahissant les lieux, cette boucle aboutissant sur la folie et le cauchemar est donc le leitmotiv du film. Les virtuoses et si précises séquences en steadycam distille un malaise latent et indicible même dans les moments anodins et débouchent sur la pure terreur, les courses parfaites de Danny l’amenant à faire de macabres rencontres.

 De même l’architecture si parfaite du labyrinthe est au final le théâtre de la pure confusion et de la démence sans retour de Jack. Kubrick nous tient dans un équilibre ténu de frayeur par ce ménagement virtuose de ses effets, rendant toutes les interprétations possibles. Un monument de terreur, cérébral et glaçant. 

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Warner 

jeudi 18 juin 2015

À cor et à cri - Hue and Cry, Charles Crichton (1947)

Joe Kirby, 15 ans, est un lecteur assidu du journal The Trump, et notamment des bandes dessinées policières qui y figurent. Un jour, dans la rue, tout en lisant sa revue, il remarque une plaque d'immatriculation en tout point similaire à celle de l'aventure qu'il est en train de lire. Son imaginaire débordant, et l'esprit aventureux de ses camarades de bande, vont le convaincre qu'une association criminelle se cache derrière cette publication d'apparence anodine, et que c'est à lui de résoudre le mystère !

La Ealing jusque-là un studio à la production versatile ne deviendra le terreau de la comédie anglaise qu’avec le succès de Passeport pour Pimplico (1949). Hue and cry est une œuvre de transition qui précède ce changement, aventure policière enfantine plutôt que pure comédie, le film annonce cependant le mélange de satire sociale et contexte réaliste qui fera le sel des meilleurs comédies Ealing. Le lien se fait par la présence du scénariste T.E.B. Clarke, à l’œuvre sur Passeport pour Pimplico et d’autres grandes réussites du studio comme De l’or en barre (1951) ou Tortillard pour Titfield (1953).

Le jeune Joe Kirby (Harry Fowler), féru des bd policières du journal The Trump va un jour constater les étranges similitudes entre des éléments de son quotidien et les trames criminelles de sa revue. En effet, la plaque d’immatriculation des voleurs de l’histoire qu’il lit passe sous ses yeux à sa plus grande stupeur. La bascule de la fiction au réel se fait symboliquement en reproduisant à l’image une bulle de bd signifiant l’imaginaire débordant de Joe dont les aspects vont pourtant bien se retrouver dans la trame policière du récit. Les criminels usent en effet des récits policiers pour échanger des messages codés quant à la préparation de leurs futurs méfaits. Forcément seuls les jeunes lecteurs seront capables de détecter la supercherie et, pas pris au sérieux par les adultes vont devoir jouer les détectives en herbes. Les futurs films du Free Cinema mettant en scène les angry young men au début des 60’s montraient de jeunes adultes en rébellion contre une société résignée et endormie après l’expérience des privations de la guerre. 

Hue and cry anticipe presque cela avec ses enfants dénigrés par les adultes quels qu’ils soient (policiers, parent) tous plus préoccupés à survivre qu’à observer ce qui se passe autour d’eux. Ce traumatisme de la guerre imprègne le récit, autant dans la caractérisation des enfants (le traumatisme du Blitz se devinant lorsque le jeune Alec s’amuse longuement à imiter les bruits de fusillades et de bombardements d’avions) que dans l’arrière-plan du film et ce Londres en reconstruction et parcourus de ruine. Un terrain de jeu idéal pour nos chérubins et qui fait presque basculer le film dans un néoréalisme à l’anglaise, sauf que l’ensemble est abordé de manière ludique avec ce jeu de piste trépidant à travers Londres. Le film est ainsi une réponse aux inquiétudes d’alors des adultes envers ses jeunes sauvageons livrés à eux même dans les ruines, mais au contraire T.E. Clarke annonce déjà les communautés isolés et vaillantes des productions Ealing à venir avec ce groupe de détective en herbe.

Cette imagerie documentaire se conjugue à celle d’un vrai film noir (parfois dans la même séquence comme lorsque les enfants filent Miss Davis dans le quartier de Holborn en travaux), l’aspect ludique de l’ensemble n’empêchant pas les vrais moments inquiétant. Tant que le doute règne cela peut être désamorcé comme la pure ambiance gothique de la première rencontre avec l’écrivain incarné par Alastair Sim, ce dernier se déchargeant d’ailleurs de toutes responsabilités comme tous les adultes du film (dans une même logique tous les criminels sous-estimeront l’astuce des enfants). 

Les atmosphères urbaines se font diablement oppressantes et ténébreuses, notamment une traversée des égouts où ressurgissent toutes les terreurs enfantines. Les truands aux mines patibulaires son mis en image de la façon la plus outrées, grotesques (dans cet esprit bd) mais aussi inquiétantes dans les effets expressionnistes de Charles Crichton. 

Les gamins, gouailleurs et débrouillards sont très attachants et débordants de naturel, en particulier Joe interprété avec une fougue communicative par Harry Fowler. Crichon rend chacun immédiatement identifiable qu’ils soient nommés ou pas en capturant une bouille poupine, une attitude. Cette idée culmine lors du mémorable final où une véritable armée de gamins va se dresser face aux criminels dans un joyeux esprit d’entraide au cours d’une bagarre homérique (le score de Georges Auric prenant de beaux élans épiques). 

L’ultime face à face entre Joe et le chef des bandits dans un immeuble éventé offre d’ailleurs la fusion parfaite entre cette approche réaliste et la stylisation d’un décor dans un pur objectif de suspense. Le geste victorieux signifiera d’ailleurs de fort belle manière la prise en main de la jeune génération. Un sacré bon moment que ce Club des Cinq londonien.

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa

mercredi 17 juin 2015

Boulevard de l’espérance - Il viale della sperenza, Dino Risi (1953)

Un groupe de jeunes, vivants dans une pension à Rome, rêve de se faire une place dans le monde du cinéma : Franca et Luisa, actrices en quête de reconnaissance, Tonino réalisateur en herbe et Mario, chef opérateur. Les choix et illusions de ces aspirantes stars du cinéma vont se confronter à la difficulté de se faire une place dans un milieu sans pitié...

Boulevard de l’espérance est seulement le deuxième film d’un Dino Risi qui n’a pas encore défini son style sur cette œuvre méconnue. Le film exploite d’ailleurs le succès de Les Fiancées de Rome (1952 de Luciano Emmer qui narrait la quête sentimentale et professionnelle de trois jeunes femmes. Emmer aura creusé le sillon de cette réussite dans un second film L’Amour au collège (1953) et Risi reprend donc à son compte la formule notamment en reprenant quasiment le même casting où l’on retrouve Cosetta Greco et Liliana Bonfatti. Risi inscrit la quête de ses héroïnes dans le milieu du cinéma où elles cherchent à réussir, et malgré l’inspiration assumée du Boulevard du crépuscule (1950) de Billy Wilder on pense plutôt à une variante italienne du beau Pension d’artistes (1937) de Gregory La Cava.

Le fameux « boulevard de l’espérance », c’est le trajet de tramway qui conduit une population de tous âges et sexes vers Cinecittà. Ils y viennent tous chargé de rêves de gloire mais l’issue sera forcément plus modeste, entre auditions pour des rôles anecdotiques ou de la figuration dans les innombrables productions à grand spectacle (péplum, film de vikings) du cinéma italien de l’époque. Nous suivrons ainsi trois aspirantes représentant chacune les différentes formes de motivations à intégrer ce monde du spectacle. Luisa (Cosetta Greco) a elle la vraie vocation et se rêve réellement actrice, les paillettes la richesse et la célébrité semble nettement plus intéresser la plantureuse Franca (Piera Simoni) quand Giuditta (Liliana Bonfatti) y voit l’occasion d’échapper à une existence provinciale morne de femme au foyer. 

Ces attentes contrastées anticipent donc les moyens employés pour réussir, le culot de Giuditta (savoureux moment où elle se fait passer pour une sténo afin de pénétrer le bureau d’un producteur) ne compensant pas le manque de talent, tout comme l’arrogante Franca cherchant finalement surtout à être une femme entretenue par des bienfaiteurs nantis. L’ensemble du film est sans vraie trame conductrice et est constitué de tranches de vies de nos héroïnes, le plus souvent teintées de désillusion. Le marivaudage amoureux se conjugue et se confond aux déconvenues professionnelles mais Risi en reste à une veine de « néoréalisme rose » et n’exploite jamais vraiment la noirceur potentielle de son sujet, notamment la relation entre les jeunes femmes et les producteurs qui pourraient contribuer à leurs ascensions.

On se plait donc à suivre une communauté hétéroclite qui tente tant bien que mal de survivre. Fêtes guindées où l’on s’incruste en bon pique-assiette pour un repas gratuit, film publicitaire tourné pour le caméraman joué par Marcello Mastroianni (pas encore jeune premier superstar et carrément doublé en VO par Nino Manfredi) et tentative de caser ses protégés pour le « manager » joué par le gouailleur Pietro De Vico. Plutôt plaisant donc mais encore loin des grands Risi qui sur des thèmes voisins signera une œuvre bien plus aboutie avec son film suivant, Le Signe de Vénus (1953). 

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa

mardi 16 juin 2015

Un monsieur de compagnie - Philippe de Broca (1964)

Antoine Mirlifor, qui rêvait qu'il travaillait en usine, se réveille soulagé en constatant qu'il pêche auprès de son grand-père dont la philosophie est fondée sur la paresse. Mais le vieillard meurt, laissant seul et sans argent son petit-fils, qui ne doit plus compter que sur lui-même. Il use donc de son charme auprès des femmes pour les séduire et auprès des riches pour vivre à leurs crochets. Mais il tombe amoureux d'Isabelle.

Un monsieur de compagnie vient conclure la fructueuse collaboration entre Philippe de Broca et Jean-Pierre Cassel, le second ayant constitué un véritable double cinématographique du premier à travers son personnage de doux rêveur dans Les Jeux de l'amour (1960), Le Farceur (1960) et L'Amant de cinq jours (1961). Ce troisième film en commun est très librement adapté du roman éponyme d'André Couteaux par de Broca et Henri Lanoë. Alors que Les Jeux de l'amour et Le Farceur restaient des œuvres de factures modestes et artisanales, Un monsieur de compagnie par sa luxuriance visuelle (technicolor, tournage international) semble une fusion entre le de Broca première manière et celui des cartons au box-office que furent Cartouche (1962) et surtout L'Homme de Rio (1964). Le plébiscite public des titres avec Jean-Paul Belmondo marquera d'ailleurs la rupture avec Cassel au succès plus modeste. Un monsieur de compagnie n'est pas tout à fait à la hauteur des meilleurs films des deux périodes mais s'avère d'un charme fou.

Antoine Mirlifor (Jean-Pierre Cassel) est un jeune homme élevé par son grand-père dans un véritable culte de la paresse, de l'hédonisme et des plaisirs simple. Cette existence paisible s'exprime dans l'ouverture bucolique tandis que le monde réel ne se dévoile que par le cauchemar lorsqu'Antoine s'imagine travailler en usine. A la mort de son grand-père, notre héros se retrouve pourtant sans le sous mais ne va pas renoncer pour autant à sa philosophie de la paresse. L'ensemble du film constitue ainsi une suite d'épisode/sketch le voyant vivre des expériences d'oisiveté auprès de différents protagonistes, milieux sociaux et cadres géographique qu'il fuira à toutes jambes dès que l'ombre d'une responsabilité viendra le rattraper. Jean-Pierre Cassel plus souriant et sautillant que jamais profite donc de tout et de tout le monde : conquêtes féminines crédules et/ou légère, bienfaiteurs nantis et naïf... L'acteur virevolte, sourire en coin et culot à revendre pour s'amuser au gré des rencontres.

Il faut bien tout le charme de l'acteur donner envie de suivre un personnage au final assez antipathique et qui abuse de la joyeuse troupe d'excentrique qui va croiser sa route. Le casting fait merveille avec Jean-Pierre Marielle en vendeur gouailleur et débrouillard qui va se faire voler sa petite amie, Jean-Claude Brialy génial homme-enfant aristocrate amateur de train ou encore Adolfo Celli riche italien pétri d'admiration pour celui en qui il voit un fils spirituel.

Visuellement Philippe de Broca constitue un monde de rêve entre la bd (le Montmartre annonçant presque Amélie Poulain dans son scintillant fétichisme), la maison de poupée (le technicolor façon boite de Quality Street de Raoul Couard) et le dépliant touristique lors de l'épisode italien, le tout parsemée d'idée folles comme la chambre transformée en cabine couchette.

Les jeunes filles sont jolies et légères (Annie Girardot, Sandra Millo, Irina Demick ...), le moindre protagoniste rencontré idéalement bienveillant (le policier italien qui en oublie son amende), cette idée fonctionnant même par l'ellipse (Antoine se réfugiant sous le parapluie d'un passant dont il se trouve seul possesseur dès la séquence suivante). La seule ombre au tableau serait donc sans doute notre héros qui pourra vaguement faire sourire en abandonnant une conquête, fera tiquer en brisant le cœur "ferroviaire" de Brialy et se montrera bien cruel en suggérant avoir possédé toutes les filles de l'homme qui l'hébergeait généreusement. Leur tort est d'avoir voulu le ranger, l'enfermer dans une case, en un mot le faire grandir.

Le seul fil rouge de ces péripéties est la rencontre récurrente d'une énigmatique et charmante jeune fille blonde (Catherine Deneuve au sommet de sa beauté virginale) dont chaque apparition est marquée par un somptueux thème de Georges Delerue. C'est sa poursuite plus ou moins consciente qui mène les pérégrinations d'Antoine et ce n'est qu'en l'ayant enfin rattrapée qu'il ressentira pour la première fois les manques de son existences dans son rapport à elle. Ce n'est par une nantie dont il peut soutirer quelques billets, ni une délurée qui cédera facilement à ses avances.

Il ne peut qu'être lui-même mais s'avère une coquille vide qui n'a rien à lui proposer. Exister à ses yeux c'est s'installer et se ranger aux contraintes de la vie "normale" mais c'est alors renier ce principe d'existence oisive. Un choix complexe pour lequel de Broca botte en touche par une pirouette narrative désinvolte qui boucle la boucle. Pas forcément le meilleur de cette grande période du réalisateur mais un très bon moment.

Sorti en dvd et bluray chez Gaumont