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dimanche 12 juillet 2015

La Clef - La Chiave, Tinto Brass (1983)

En 1940, un homme déclinant et libertin tient le journal de ses frustrations et de ses fantasmes avec le désir inavoué que sa très belle épouse le lise. Cela ne manque pas de se produire et la jeune femme passe à l'acte avec son gendre, tout en rédigeant à son tour un journal qui répond à celui de son mari.

Si l’on associe désormais le nom de Tinto Brass à une forme d’érotisme cinématographique sophistiqué, la carrière du réalisateur fut bien plus variée à la manière des grands cinéastes de genre italien de l’époque. Il ne basculera vraiment dans ce créneau qu’avec Salon Kitty (1977), description de la folie nazie sur fond d’excès érotique. Un pouvoir fou sur fond de luxure sera également au cœur de Caligula (1979) avec cette évocation de l’empereur romain dément que Brass reniera suite au remontage du producteur Bob Guccione (propriétaire de Penthouse) qui le pimentera de séquence plus salées. 

En effet le sexe n’est dans ces films qu’une conséquence à d’autres thématiques quand avec La Clé il sera au cœur du récit et définira le style de Tinto Brass. Le film adapte le roman éponyme de l’écrivain japonais Jun'ichirō Tanizaki paru en 1946 et déjà transposé dans une version à succès avec L'Étrange Obsession de Kon Ichikawa qui obtint Le Prix du Jury à Cannes en 1960. Brass cherchait depuis vingt ans à adapter le livre et ce n’est qu’avec le succès de ses productions érotiques qu’il y parviendra, mais aussi un peu de malice puisqu’il convaincra son producteur en lui faisant croire que Tanizaki fut récompensé du Prix Nobel de Littérature.

Comme dans Salon Kitty et Caligula, La Clé se situe dans un contexte historique explosif avec un régime fasciste au pouvoir et qui s’apprête à entrer en guerre à la suite de son allié Allemand. Quand dans les deux autres films le sexe était un prolongement dégénéré et reflet de la folie ambiante, La Clé en fait au contraire un refuge auquel on va accéder par des chemins de traverse. Nino (Frank Finlay) est un homme mûr lubrique dont la passion pour son épouse plus jeune Teresa (Stefania Sandrelli) est toujours aussi ardente mais qui demeure néanmoins frustré de ne pouvoir assouvir tous ses fantasmes avec elle. Il va ainsi procéder par un stratagème pour lui faire comprendre ses désirs, laisser en vue son journal intime où elle pourra avoir accès à ses désirs sans la gêne de se dire les choses explicitement. Elle va bientôt faire de même, les entraînant dans un curieux jeu érotique où seront mêlé leur gendre (Franco Branciaroli) dont va s’amouracher Teresa.

La société fasciste n’est qu’entraperçue pour privilégier les alcôves des chambres mais ce que Tinto Brass nous en donne à voir suffit à exprimer son côté oppressant. La désinvolture de Nino avec son épouse choque les pontes lors de la soirée d’ouverture, la première étreinte entre lui et Teresa laissent les deux frustrés (Teresa se caressant après le départ de son époux) par un simple non-dit bien-pensant et leur fille Giuleta (Maria Grazie Bon) si dévouée à la cause fasciste semble en répercussion dénuée de tout sensualité et même désir. Par leur procédé épistolaire plus ou moins assumé, les époux transcendent ainsi les entraves du fascisme pour se laisser aller à leurs fantasmes. 

Pour Nino ce sera grandement par procuration à cause d’une santé défaillante et avec une certaine douleur en voyant sa femme s’épanouir dans les bras d’un autre. Teresa laisse quant à elle éclater sa sensualité au grand jour et de manière de plus en plus osée et provocante. Stefania Sandrelli fut toujours symbole de la beauté italienne partagée entre un visage à la beauté virginale et un corps voluptueux appelant au stupre. 

Elle prend un sacré risque en assumant un tel rôle alors qu’elle approchait la quarantaine et magnifie cette aura. Avec la maturité, elle devient une sorte de madonne bienveillante aux formes affolante et s’épanouissant en assumant pleinement son désir, en se mettant à nu sous toutes les significations possibles. Elle constitue l’attrait majeur du film et hypnotise de bout en bout par sa présence charnelle. Elle rattrape ainsi les défauts puisque Tinto Brass se perd parfois un peu dans l’esthétique maniérée et chichiteuse de sa reconstitution (direction artistique splendide et superbe score d’Ennio Morricone) baignant dans une photo vaporeuse de Silvano Ippoliti. 

Le propos est audacieux mais se perd un peu dans le style précieux du réalisateur (ne trouvant jamais l'équilibre entre la nudité crue et frontale et la stylisation du cadre), n’atteignant pas les hauteurs du chef d’œuvre de la comédie érotique italienne qu’est Ma femme est un violon (1971) moins bloqué sur l'attirail fétichiste et surtout plus ludique quand on se sentira toujours un peu extérieur au évènements chez Tinto Brass. La conclusion semble sonner le glas de ces désirs individuels, enterrant symboliquement et concrètement l’aventure avec l’entrée en guerre de l’Italie et l’avènement définitif du pouvoir fasciste.

Sorti en  dvd zone 2 français chez Bach Film et en bluray chez Arrow

5 commentaires:

  1. Peut-être le meilleur film de son auteur, dont la filmographie reste à redécouvrir, célébré ici par nos soins, tel un complément à votre éloge plus mesuré, en deux images spéculaires ; viva Stefania !
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/12/la-femme-de-ma-vie.html?view=magazine

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    1. Ah j'ai une petite préférence pour Caligula en dépit (ou grâce) à l'outrage du montage qui contribue à en faire un vrai film monstre. Là je n'ai pu m'empêcher de trouver ça un peu désincarné hormis la présence envoutante de Stefania Sandrelli. Nous serons d'accord là dessus viva Stefania ! Je vais lire votre éloge de ce pas !

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    2. Trouver un film de Tinto Brass "désincarné" ? Quel comble ! Plus sérieusement, j'avoue apprécier aussi Caligula : Prokofiev sur une partouze, il fallait oser, Guccione le fit et cela, finalement et malgré le compréhensible déni du réalisateur, qui livrait là sa propre version du Satyricon (Salon Kitty relisait Les Damnés), s'avère réussi (jolie scène saphique, itou) ; par ailleurs, La Clef - ou La Clé, pour suivre l'orthographe de l'affiche française - nous semble une brillante réponse aux questions essentielles posées par la pornographie, et l'on s'en explique ici :
      http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/lempire-de-la-tristesse-notes-sur-les_8.html?view=magazine

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  2. D'où ma comparaison avec "Ma femme est un violon" film aux thèmes voisins mais bien plus ludique, drôle et fin pour montrer le versant amusant comme inquiétant du fantasme (et la regrettée Laura Antonelli mélange à merveille proximité et in accessibilité) Là hormis Stefania Sandrelli parfaite le reste est soigné mais me laisse à distance.

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    1. Où Pasquale Festa Campanile relisait un célèbre cliché de Man Ray (et Laura for ever !) ; excellent choix de "lecture en cours"... Vous nous direz !

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