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mardi 22 décembre 2015

Le Lys de Brooklyn - A Tree Grows in Brooklyn, Elia Kazan (1945)

La famille Nolan vit pauvrement à Brooklyn. Katie fait de nombreux travaux ménagers. Ses deux enfants, Neeley et Francie, vendent de vieux chiffons à la sortie de l'école pour aider un peu la famille. Johnny, le mari, travaille dans un restaurant lorsqu'il n'est pas ivre et sa sœur Sissy mène une vie trop agitée au goût de Katie.

Elia Kazan signe son premier film avec Le Lys de Brooklyn, fort de sa notoriété acquise dans le monde du théâtre et attisant les sirènes d'Hollywood. Intégrant comme acteur le Group Theatre au début des années 30, Kazan s'y révèle cependant en tant que metteur en scène qui lui vaudront dès la fin des années 30 les sollicitations d'Hollywood auxquels il tourne le dos si ce n'est comme acteur dans deux films d’Anatol Litvak Ville conquise (1940) et Blues in the Night (1941). C'est fort de cette renommée que Kazan choisit la Fox de Darryl Zanuck pour ses débuts, le réalisateur s'inscrivant dans veine sociale initiée par le studio avec notamment les deux classiques de John Ford Les raisins de la colère (1940) et Qu'elle était verte ma vallée (1941).

Le film adapte le best-seller de Betty Smith paru en 1943 et s'inscrit à la fois dans les préoccupations sociales d'alors et celles propres Kazan avec sa vision de la famille et des milieux modestes. Le film sort au moment de l'après-guerre où la structure familiale a appris se construire en l'absence de la figure du père mobilisé, où les femmes ont investies le champ des responsabilités pour subvenir au besoin du foyer. Bien que le film ne se déroule pas à cette période, il témoigne symboliquement de cette situation avec la figure de père incarné par James Dunn, ce Johnny Nolan doux rêveur alcoolique ayant du mal trouver un job fixe. La survie du foyer est ainsi assurée par Katie (Dorothy McGuire) au caractère rude et terre à terre qui se tue à la tâche au quotidien. Le turbulent fils cadet Neeley (Ted Donaldson) est le plus proche d'elle tandis que l'aînée Francie (Peggy Ann Garner) au caractère plus lunaire et assoiffé de savoir n'a d'yeux que pour son père.

Sans vraie trame narratrice, Kazan dépeint ainsi ces caractères en place au quotidien, le conflit naissant de l'enlisement de la situation matérielle du foyer. Katie est partagée entre un amour intact et un désabusement quant à la nature de son mari, cette dureté se prolongeant face à la nature frivole de sa sœur Sissy (Joan Blondell). L'émerveillement de l'enfance se conjugue donc toujours au dépit des adultes dans plusieurs séquences, notamment lorsque Johnny fait preuve d'une joie communicative de retour d'un mariage, faisant la joie de Francie avant d'être rabroué par son épouse qui en a vu d'autres pour cette enthousiasme forcé. Entre les deux caractères des parents, le récit ne choisit jamais complètement. Le sens des responsabilités de Katie étant nécessaire mais la nature rêveuse de Johnny autorise Francie à regarder au-delà de sa condition, à espérer s'élever par le savoir si elle croit en ses rêves. Cette différence s'exprime lors de la scène où ils apprennent le décès de leur jeune voisine malade : la mère pragmatique regrette que l'enfant ait été enterré en fosse commune quand le père se félicite que l'argent lui ait permis de porter de belles robes tant qu'elle vivait encore. Le sens pratique contre la joie éphémère et illusoire.

Kazan débutant instaure déjà certains de ses préceptes même si l'inexpérience ne lui permet pas de les pousser aussi loin que dans certains de ses classiques venir. Il est notamment contraint à un tournage en studio où est reconstitué ce quartier de Brooklyn, mais la mise en scène alerte et la caméra très mobile parvient à conférer une vraie vie aux extérieurs tandis que toutes les scènes d'intérieur évitent le piège du théâtre filmé bien aidé également par la photo de Leon Shamroy. Usant de la "Méthode", Kazan tire également d'extraordinaires de son casting, James Dunn tirant une saisissante vulnérabilité de son réel alcoolisme, Dorothy McGuire incarnant un véritable roc dissimulant ses sentiments avec ce qui inaugure les grandes figures de mère de la suite de sa carrière.

La plus touchante est cependant la jeune Peggy Ann Garner, bouleversante en jeune fille candide, curieuse et à l'amour si intense pour son père. Là encore Kazan aura su toucher juste, devinant au fil des conversations le dépit de la fillette souvent séparée de son père qui était pilote de ligne et retranscrivant cette fébrilité dans sa prestation, une des plus touchantes vue pour un enfant-acteur. Kazan distille une émotion intense sans tomber dans le mélo trop appuyé, certains drames étant illustré avec une grande sobriété, à la fois pour saluer le courage de cette famille qui ne peut s'autoriser de s'effondrer mais aussi pour signifier les non-dits et la rancœur qui n'autorise pas un épanchement et un abandon total.

Cela n'arrive que progressivement avec le regard changeant entre Francie et sa mère, la première comprenant la dureté de la seconde qui daigne enfin s'adoucir, confidente fragile lors d'une magnifique scène d'accouchement. Kazan aura retrouvé à travers le roman de Betty Smith des échos à sa propre expérience, lui aussi ayant connu les quartiers populaires, les petits boulot et la pauvreté à New York et s'étant également confronté à un père terre à terre le poussant à travailler tandis que sa mère l'encouragea son ambitions artistiques (soi le rapport inversé du film).

Pas aussi radical et personnel que les chefs d'œuvres à venir durant les années 50, le film n'était pas le plus apprécié du réalisateur au sein de sa filmographie mais s'avère une des belles réussites de ce Kazan première manière.

Sorti en dvd zone 2 français chez Opening 

Extrait

 

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