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vendredi 8 janvier 2016

Nous ne vieillirons pas ensemble - Maurice Pialat (1972)

Jean, qui est réalisateur, vit avec sa femme Françoise, mais depuis plusieurs années, il réside le plus souvent chez sa maîtresse Catherine (Colette, dans le livre). Pour des raisons professionnelles (tournage d’un film), Jean propose à Catherine de l’accompagner en Camargue, afin qu’elle assure la prise de son. La conduite de Jean est odieuse et après une scène inqualifiable, ils se réconcilient cependant, avant de rentrer à Paris. Ainsi commence un cycle invivable de disputes suivies de réconciliations.

Il aura fallu près de six ans à Maurice Pialat pour signer ce second film après L'Enfance nue pour lequel il reçut pourtant le prix Jean-Vigo. Il réalisera uniquement entretemps pour l'ORTF la série La Maison des bois. Pialat devra son salut à l'ambition de Jean-Pierre Rassam, beau-frère de Claude Berri et aspirant producteur. Il pense pouvoir produire une œuvre majeure en mettant dans les meilleures conditions un cinéaste de talent et jette donc son dévolu sur Maurice Pialat qu'il rencontra via Claude Berri car compagnon de la sœur de ce dernier, Arlette Langmann. Rassam offrira à Pialat un budget conséquent et un casting de vedette avec Jean Yanne et Marlène Jobert pour cette tumultueuse romance où le réalisateur adapte son roman autobiographique où il narrait la fin douloureuse d'un amour vécut entre 1960 et 1966 avec une certaine Colette.

Nous ne vieillirons pas ensemble nous dépeint donc un amour destructeur qui se délite au bout de six ans de tumulte. Dans un premier temps, nous découvrons la manière dont les humeurs changeantes de Jean (Jean Yanne) mettent à rude épreuve la sensibilité de sa compagne Catherine (Marlène Jobert). Leur longue histoire repose sur un équilibre fragile puisqu'il forme un couple illégitime (Jean étant resté marié) mais c'est bien le caractère irascible et brutal de Jean qui est cause de cette instabilité. La carrure imposante et le ton bourru de Jean Yanne s'impose ainsi à la frêle Marlène Jobert au travers de divers scènes à la violence physique (l'altercation dans le marché), verbale (l'incroyable dépréciative dans la voiture) et psychologique où elle sera toujours plus bousculée et humiliée. En dépit de ce rapport conflictuel, ces deux-là semble pourtant incapable de se séparer. Jean repoussera et quittera Catherine pour toujours mieux la rattraper et celle-ci ne s'éloignera jamais suffisamment, pour mieux l'attendre quand viendra l'heure du repentir. L'ensemble du film reproduit ce schéma, dans des proportions toujours plus douloureuses qui finiront par signer l'éloignement définitif du couple.

Violemment chassée de la chambre d'hôtel qu'ils occupaient en Camargue, Catherine attend donc son homme en faisant mine d'avoir raté son train tandis qu'il revient la chercher sans un mot d'excuse. Jean Yanne (Prix d'interprétation masculin à Cannes en 1972) est extraordinaire pour exprimer la goujaterie et le caractère infantile de ce personnage (et donc double filmique de Pialat qui ne se ménage pas dans ce portrait), tout aussi maladroit, penaud et pathétique quand il cherchera à se faire pardonner sa brutalité initiale. Il forme une trajectoire inversée avec Marlène Jobert, passant de la soumission muette à la rancœur tenace et poursuivant ainsi cette romance sans issue.

L'actrice est tout aussi intense dans ce mélange d'amour éperdu et d'admiration qui lui fait tout supporter (l'intensité de son regard alors qu'elle est écrasée du mépris verbal de Jean dans la scène de la voiture) puis l'indifférence froide envers cet homme qu'elle ne peut totalement oublier durant la seconde partie. La précarité de la relation repose sur les environnements où évolue le couple jamais inscrit dans un réel quotidien, vadrouillant toujours en voiture et ne s'arrêtant que dans les moments creux du weekend, que dans les espaces éphémères vacanciers (plage, maison de campagne, chambre d'hôtel). Dès lors cette instabilité s'inscrit dans cette alternance de rares moments de bonheur apaisés et de terribles explosion de violence, une amorce d'intention bienveillante basculant dans une crudité inattendue (Jean venu rejoindre Catherine à la campagne et ayant un geste scandaleux pour vérifier qu'elle ne l'a pas trompé).

Le cycle rupture/réconciliation semble de plus en plus fragile et traduit par la mise en scène immersive de Pialat. Au départ les échanges les plus brutaux comme les plus doux sont filmé sur le vif souvent en plan-séquence et au fur et au fur et à mesure de la séparation effective le couple est séparé à l'image. L'agression verbale dans la voiture cadre Jean et Catherine dans le même plan mais quand plus tard Catherine lui rendra la pareille dans une autre scène de voiture, Pialat les filmera en champ contre champs pour signifier le fossé qui les sépare désormais. Autre idée subtile, la composition de plan lorsque Catherine semble quitter définitivement Jean en sortant de sa voiture. Par deux fois, Pialat cadre Jean Yanne dans la voiture tandis que l'on distingue la silhouette de Catherine à l'extérieur s'éloignant lentement, regardant derrière elle, attendant et espérant presque que son amant sortira du véhicule pour venir la chercher - ce qui arrivera dans les deux scènes.

Le réalisateur inverse le schéma lors de la dernière entrevue (où l'on ne distingue plus les visages des amants), filmant l'intérieur de la voiture depuis l'arrière où l'on distingue la silhouette de Jean tandis qu'à l'extérieur Catherine s'éloigne le pas rapide et lâche à peine un regard furtif. Elle n'attend plus rien de cet homme qui l'a tant déçue a décidé d'avancer (l'intrigue laissant deviner que même matériellement il n'était guère plus rassurant), une émancipation (sentimentale mais aussi intellectuelle comme le montre en filigrane l'évolution de ses lectures) signifiée par le superbe plan final où on la voit nager radieuse. Jamais sans toi ni avec toi, voilà qui résumerait bien ce grand film qui sera le premier succès public de Maurice Pialat.

Sorti en dvd zone 2 français chez Gaumont

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