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vendredi 1 janvier 2016

Une étoile est née - A Star is Born, George Cukor (1954)

Norman Maine est un acteur vedette sur le déclin qui a sombré dans l'alcoolisme et joue les pique-assiette dans les réceptions d'Hollywood. Lors d'un gala de charité, il découvre une jeune chanteuse, Esther Blodgett, et la fait engager par le directeur du studio. Sous le nom de Vicki Lester, elle connaît une ascension triomphale. Elle épouse son mentor, qui promet de ne plus boire.

George Cukor signe un des plus bouleversants témoignages sur Hollywood avec ce superbe Une étoile est née. Même si le film est crédité en tant que remake du titre éponyme réalisé par William Wellman en 1937, cette première version était pourtant une variation d’un film antérieur déjà signé George Cukor (les deux produits par  David O. Selznick) sur le même sujet, What Price Hollywood ? (1932). Le projet fut longtemps caressé par Judy Garland et sa concrétisation confirme le retour au premier de la star. Renvoyée par la MGM en 1950 à cause de ses troubles mentaux et différentes addictions et divorçant de Vincente Minnelli en 1951, Judy Garland se refait une spectaculaire santé sur scène en triomphant au Palladium puis au Palace Theatre de New York où elle joue dix-neuf semaines. 

De nouveau courtisée par les studios, Judy Garland impose donc cette nouvelle version d’Une étoile est née où elle s’entourera de son ami George Cukor (rencontrée lors de la préparation du Magicien d’Oz (1939) où il fut d’un grand conseil pour la jeune actrice quand il devait encore réaliser le film) mais aussi de ses compositeurs emblématiques du Magicien d’Oz Harold Arlen et Yip Harburg (qui victime de la liste noire sera remplacé par Ira Gershwin). Tout est donc en place pour un puissant mélodrame musical.

Une étoile est née trouve sa voie au sein de ces années 50 où Hollywood se plaît à observer sa face obscure dans des œuvres comme Sunset Boulevard (1950) de Billy Wilder ou Les Ensorcelés (1952) de Vincente Minnelli. Le récit alterne ainsi constamment ombre et lumière dans sa description de l’usine à rêve. L’ombre ce sera pour le caractère torturé et autodestructeur de Norman Maine (James Mason) dont nous assistons au méfait en ouverture où il sème le chaos dans une cérémonie de remise de prix. Sauvé de l’humiliation par celle dont il a failli ruiner la prestation, Norman Maine poursuit de ses assiduités alcoolisées Esther Blodgett (Judy Garland) avant d’être subjugué par sa voix et décider de lui mettre le pied à l’étrier. C’est de sa découverte émerveillée que se dessine la lumière et à travers son héroïne, Cukor nous introduit dans le tourbillon du fonctionnement des Majors de l’époque.

La novice Esther y est scrutée sous toutes les coutures pour gommer ses éventuelles imperfections,  ballotée d’un département à l’autre pour être totalement ignorée et au final dépossédée de son identité pour être rebaptisée Vicki Lester. Ces aspects peu reluisants sur le papier (chirurgie esthétique, biographie factice et mépris des novices) s’oublient pourtant par l’éclat suscité par le bouillonnement d’activité du studio, ses figurants, costumes et décors à perte de vue. Car si Hollywood est oppressant et impitoyable, il suffit qu’un mentor bienveillant croit en vous pour que tous soit possible. C’est cette foi que transmet Norman à Esther lors de la magnifique scène de l’entrevue nocturne où il lui fait croire en son réel talent et la pousse à prendre des risques. Guidée par cet ange gardien, Esther va gravir les échelons et bénéficier du coup de pouce qui change tout. 

Les scènes musicales sont celles qui font régulièrement basculer les évènements, qu’elles s’inscrivent dans le monde réel (Norman sous le charme d’Esther dans un pur moment intimiste où elle interprète un puissant The man that got away) où celui de la fiction tel ce film dans le film où l’ascension vers la gloire d’Esther se dévoile dans le numéro exécuté mais aussi par les réactions des spectateurs dans la salle. Cukor effectue un tour de force virtuose s’exprime émotion, proximité (le parcours du personnage du film dans le film ayant de grandes similitudes avec celui de Judy Garland notamment les débuts scéniques précoces en famille) et stylisation splendide comme l’effet d’à-plat des décors et bureaux des managers qui refoulent Esther. Plus notre héroïne s’impose, plus les afféteries s’estompent pour la laisser occuper le centre de la scène dans une robe sobre où elle interprète avec une vulnérabilité troublante Lose that long face. Judy Garland est époustouflante dans ce numéro dansé et chanté où elle alterne humour et émotion et lorsque la séquence s’achève, toutes les réalités du récit convergent sur un même point : elle est une star.

 L’amour sera aussi définit à travers un moment musical (craquante scène de demande en mariage), Esther et Norman brillants pour un bref instant d’un même éclat de passion et de talent. Cependant si Hollywood est capable de vous élever au firmament lorsqu’il vous a élu, il peut vous faire descendre plus bas que terre quand il a décidé de vous rejeter. Le cocon du studio (superbe interprétation de Charles Bickford en nabab paternel et bienveillant) aura transformé Norman en homme-enfant ingérable qui laissera place à un être démuni et brisé lorsqu’il en sera exclu. James Mason offre une de ses prestations les plus poignantes, exprimant avec force le désespoir de cet homme dont l’assurance se désagrège au gré d’humiliations de plus en plus pathétiques. L’euphorie initiale n’a plus lieu d’être puisque le couple ne fait plus partie du même monde et la lumière (Etourdissante Judy Garland entonnant pleine d’énergie Someone at last au foyer pour son homme) ne fait que raviver l’ombre (ce joyeux moment rappelant sa désormais inutilité à Norman) et les démons de Norman. 

Le film tire sans doute un peu en longueur pour dépeindre cette longue et douloureuse déchéance cela n’en rendra que plus puissante encore la dramatique issue. Dans toutes les grandes œuvres évoquant l’industrie hollywoodienne à l’époque, « the show must go on » quel que soit l’amour propre bafoué (les héros des Ensorcelés prêt à remettre le couvert durant la conclusion) ou la folie générée par la notoriété (le légendaire All right, Mr. DeMille, I'm ready for my close-up de Norma Desmond à la fin de Sunset Boulevard). 

Norman ne le sait que trop bien et c’est au prix d’un bouleversant sacrifice qu’il libère Esther du fardeau qu’il est devenu. Le motif musical dégagera à nouveau une émotion intense, Judy Garland chantant It’s a new world alors que James Mason avance vers sa fin dans un pur moment crépusculaire (Norman faisant déjà figure d spectre lorsqu’on voit son reflet à travers la vitre avant le moment fatidique). Son amour désormais réduit à un beau et douloureux souvenir, Esther appartient totalement à son public au terme d’un somptueux final. 

 Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Warner

 

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