Au cours de la Seconde Guerre mondiale,
le capitaine Freycinet (!) raconte l'histoire de Jean Matrac à un
correspondant de guerre intrigué par le comportement de cet homme
taciturne. Matrac, journaliste français opposant aux accords de Munich, a
été condamné au bagne et déporté à l'Île du Diable. Il s’évade avec
quatre autres prisonniers qui s'enfuient dans une barque et sont
recueillis en plein océan Atlantique par le navire du capitaine
Freycinet voguant vers Marseille. C’est à son bord qu’ils apprennent par
la radio que la France a capitulé et demandé l’armistice. Et la
création du Gouvernement de Vichy, ouvertement collaborationniste.
A première vue avec son dépaysement et son patriotisme exacerbé, Passage to Marseille semble être une tentative de redite du classique Casablanca dont on retrouve nombre de participants devant (Humphrey Bogart, Peter Lorre, Claude Rains) et derrière (Michael Curtiz of course !) la caméra. Même s'il ne retrouve pas tout à fait la puissance romanesque de Casablanca,
le film s'avère captivant et trouve sa propre identité. Cela se ressent
par sa narration alambiquée qu'on imagine plutôt dans un film noir avec
ces flashbacks s'emboitant dans d'autres flashbacks (un film comme Le Médaillon (1946) de John Brahm utilisera le procédé de manière
vertigineuse). Curtiz introduit cette idée d'enchâssement révélant une
vérité de manière visuelle au début du film. Un correspondant de guerre
((John Loder) vient réaliser un reportage dans une campagne anglaise
paisible qu'en apparence puisque de nuit elle se transforme en aérodrome
de l'aviation française de Résistance où les écuries deviennent hangar
d'avion et les meules de foin des tours de contrôle. Fasciné par la
détermination du taciturne mitrailleur Jean Matrac (Humphrey Bogart) le
journaliste va donc se faire conter son histoire, ce dernier
s'entremêlant à celle des compagnons de route.
Le film respecte ainsi la structure du roman Men Without Country de
Charles Nordhoff ici adapté. On passera ainsi d'une impressionnante
ouverture en pleine bataille aérienne à un haletant huis-clos en pleine
mer puis un oppressant passage dans l'humidité poisseuse de la prison à
ciel ouvert de l'île de Cayenne. Cette progression dramatique maintient
l'attention par ses révélations sur le background des personnages mais
aussi la thématique autour de l'essence de l'identité française et du
patriotisme. Les plus exaltés seront des parias condamnés qui voient
dans cet amour du drapeau une chance de rédemption. La caractérisation
des protagonistes par Curtiz est limpide, sommaire (la brute épaisse, le
bonimenteur roublard joué par Peter Lorre) mais s'appuyant plus sur le
contexte que l'exploration trop fouillée de chacun, ce qui fonctionne
parfaitement tout en dressant certaines personnalité attachantes comme
Grand-père (Vladimir Sokoloff ) le condamné tragique et héroïque de
Cayenne. Le personnage d'Humphrey Bogart effectue un parcours inverse,
passant du patriote exalté mais brisé par un régime français tournant
mal et désormais individualiste face à cette France qui l'a tant déçu.
Les aléas de tournages (Bogart qui faillit céder sa place à Jean Gabin à
cause d'un différend avec Jack Warner puis englué durant tout le
tournage par son divorce et son remariage avec Lauren Bacall) ne
permirent pas de suffisamment définir le revirement de son personnage, tout
comme sa relation avec son épouse jouée par Michelle Morgan (castée en
compensation justement du rôle manqué de Casablanca finalement
interprété par Ingrid Bergman). Néanmoins le patriotisme frontal
fonctionne très bien dans le huis-clos, les parias revanchards
s'opposant à une aristocratie militaire plus malléable et toute prête à
se ranger derrière les allemands et le Régime de Vichy. La narration
alambiquée compense les aspects qui aurait pu paraître simpliste avec
une progression linéaire et propose un haletant suspense qui culmine
dans un spectaculaire final où par un acte discutable Bogart ranime
l'ambiguïté qui manquait précédemment à son personnage. Le drapeau
tricolore dressé bien haut et la Marseillaise puissamment entonnée
parvient même à se mêler à une émotion plus intime dans la très belle
scène finale.
Un spectacle rondement mené par un Curtiz signant
un produit soigné et teinté de fulgurances visuelles dont il a le secret
(l'évasion dans les ténèbres du dortoir baigné dans la photo de James
Wong Howe est un modèle du genre), pas Casablanca certes mais une belle
réussite.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
trés bon film découvert au cinéma de Minuit de Patrick Brion dans les années 80.
RépondreSupprimer