La Cité Interdite - Wicked City/Yôjû toshi, Yoshiaki Kawajiri (1987)
A la fin du XXème
siècle, la cohabitation est fragile entre le monde des humains et celui des
démons. Afin de prévenir tout conflit, deux gardes du corps d’élite (un humain,
Taki, et une femme démon, Maeki) sont chargés de protéger un émissaire devant
signer un traité de paix. C’est du moins la mission officielle, le réel but
sera bien différent…
L’art singulier de Yoshiaki Kawajiri se révéla au monde avec ce
détonant La Cité Interdite. S’il
s’agit du premier film de Kawajiri, celui-ci n’était pas un nouveau venu dans
le monde de la japanimation. Après des débuts en tant qu’intervalliste au sein
du studio Mushi Production, il fait la rencontre de Osamu Dezaki (grand nom de
l’animation japonaise, réalisateur notamment des série Cobra ou encore Lady Oscar)
qui le débauche pour fonder le mythique studio Madhouse où il occupera le poste d’animateur-clé
puis directeur de l’animation pur diverses série télévisée. Lorsque la
politique du studio se réoriente vers le long-métrage d’animation au début des
80’s, le rôle de Kawajiri se développe et lui permet de passer à la réalisation
notamment dans le film à sketch SF (où officient également Katsuhiro Otomo et
Rintaro) Manie Manie : Les Histoires
du labyrinthe (1987) dont il signe un mémorable segment avec Le Coureur.
Ces expériences lui auront permis de définir son style qui se révèle donc avec La Cité Interdite
où il adapte un livre du romancier d’horreur japonais Hideyuki Kikuchi.
Le film est produit à une vraie période d’essor et de créativité pour
la japanimation, notamment par une veine adulte et excessive. Hideyuki Kikuchi
est considéré comme une sorte d’équivalent japonais à Stephen King et Lovecraft
et on retrouve effectivement de cela dans le postulat évoquant la porosité
entre le monde des humains et un autre parallèle peuplé de démons et autres
créatures infernales. Les deux univers vivent dans une coexistence fragile qui
s’apprête à être renouvelé par un traité de paix mais certains démons espèrent
faire échouer le projet pour envahir la terre. Un garde du corps des deux races
est donc dépêché pour protéger le garant du traité avec l’humain Taki et la
femme démon Maeki. La scène d’ouverture est emblématique du style Kawajiri et
montre la brutale collusion entre humains et démons. L’environnement nocturne
et urbain va dépeindre une situation anodine virant au cauchemar, la conquête d’un
soir de Taki devenant un monstre arachnide en plein acte. Le suggestif (les
ébats explicites étant néanmoins masqués par divers objets, cadrages et jeux d’ombres)
et le démonstratif cauchemardesque se confondent avec l’allure aberrante de la
créature dont l’entrejambe révèlent une dentition castratrice.
Plus le film avance plus le récit s’enfonce dans les ténèbres et
favorisent ce type d’apparition extravagantes. L’inspiration tient du film noir
à travers la voix-off désabusée de Taki, typique du professionnel sans attache
qui voit dans sa mission un job comme un autre. La méfiance envers le monde des
ténèbres est donc de mise malgré la complicité croissante avec Maeki. Avec ce
héros à la fois attiré et rebuté par ce qu’il pourchasse se dessine une
influence inattendue, le Blade Runner
(1982) de Ridley Scott. Maeki par son courage et son sens du sacrifice
manifeste une dévotion que Taki pensait absente du monde des démons et fait
évoluer ses préjugés. Le « job » endosse un enjeu plus personnel désormais, celui de ramener en
vie cette partenaire à laquelle il s’est attaché. Kawajiri oscille ainsi entre
une veine romantique sincère et baignée de moments charnels surannés et un
véritable cirque des monstruosités.
L’aspect perpétuellement mutant des démons lorgne vers l’horreur
occidentale façon The Thing
(1982) avec des corps devenant difformes d’où surgissent des tentacules,
naissent des orifices, griffes et crocs contribuant à leurs allures
innommables. Outre cette interprétation explicite d’un Lovecraft, Kawajiri convoque l’imaginaire
des contes traditionnels japonais avec des créatures revisitées mais que l’on
reconnaît tel le Rokurokubi (femme à tête volante et suçeuse de sang), le Noppera
(pour toutes les transformations abstraite et sans forme tangible) ou encore le
Nurre-Onna (là aussi pour les démons féminin anthropomorphes ici sous forme de
serpent). Le réalisateur accentue leur facette sexuelle et organique avec une
fascination pour émanations corporelles diverses forcément connotées et ose un
côté racoleur où les femmes seront toujours celles à subir les derniers
outrages de ses êtres maléfiques.
Le film tient ainsi en haleine par son récit
en forme de course-poursuite tout en fascinant et ébranlant son spectateur par
ses excès graphique. Le réel s’estompe pour nous plonger dans des abimes infernaux
où absolument tout est possible, baignant dans des éclairages baroques qui
contrastent avec les teintes douces et bleutées accompagnant la romance. La
mise en scène de Kawajiri joue à la fois d’un sens du mouvement virtuose, de
cadrages toujours dynamiques mais aussi de compositions de plans laissant se
déployer l’insoutenable dans toute son horreur avec ce bestiaire chargé. Le
film arrête le design que l’on retrouvera dans tous ses films, le héros musclé
et imposant, l’héroïne au visage fin et tragique et au corps longiligne laissant deviner
des formes généreuse et le petit être fourbe et rachitique en sachant plus que
tout le monde.
On retrouvera exactement les mêmes types de protagonistes et
cette veine romantico-horrifique dans Ninja
Scroll
(1993), le chef d’œuvre de Kawajiri où il endosse pleinement monstruosité et
mythologie en revisitant le chambarra par l’incursion du fantastique. La Cité
Interdite fera sensation à sa sortie au Japon et deviendra une œuvre culte en
Occident aussi, générant des avatars n’ayant retenus que son côté racoleur et
sexuel comme Urotsukidodji
et ses suites. Quant à Yoshiaki Kawajiri, il retrouvera l’univers de Hideyuki
Kikuchi pour une autre adaptation mémorable, le gothique Vampire Hunter D : Bloodlust
(2000).
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