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lundi 7 mars 2016

La Guerre de Murphy - Murphy's War, Peter Yates (1971)

Dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, le Mount Kyle, un cargo britannique est torpillé par un U-Boot dans le delta de l'Orénoque, un fleuve du Venezuela, et l'équipage est massacré. Murphy, simple cuistot irlandais, est l'un des deux seuls survivants avec un pilote aviateur, le lieutenant Ellis qui est grièvement blessé. Ils trouvent refuge dans une mission dirigée par le Docteur Hayden, une femme médecin quaker; auprès de laquelle est abandonné depuis le début de la guerre Louis Brezon, un ingénieur français travaillant pour une compagnie pétrolière.

La Guerre de Murphy est une œuvre curieuse, à mi-chemin entre le film de guerre patriotique "à l'ancienne" et un ton pacifiste et libertaire plus en vogue à travers des œuvres comme MASH ou Catch 22. Cette dichotomie s'exprime par le fossé ressenti entre l'attitude du personnage principal et le contexte du récit. Seul survivant d'un cargo britannique torpillé par un U-Boot allemand, le cuisinier d'équipage Murphy est sauvé et accueilli dans une mission bordant l'Orénoque au Venezuela. En ces derniers jours de la Deuxième Guerre Mondiale, Murphy pourrait se la couler douce dans ces paisibles terres exotiques mais une rage guerrière l'anime toujours, la présence alentour du sous-marin allemand l'incitant à se venger. Peter O'Toole (se délectant de jouer un anti Lawrence d'Arabie) confère au personnage une exubérance irlandaise savoureuse et attachante qui fait oublier sa nature de fou de guerre.

Le scénario joue constamment d'une certaine ambiguïté pour dépeindre son attitude comme de l'héroïsme ou de la folie. Sa haine lui donne une énergie et lui fait réaliser des prouesses auxquelles Peter Yates confère un vrai souffle épique comme lors de la longue scène où Murphy s'improvise pilote d'hydravion, luttant, râlant et piétinant jusqu'à maîtriser l'appareil. Cette fougue amène une bienveillance et une empathie du spectateur qu'on ressent à travers les deux autres personnages, suivant sans hésiter Murphy dans sa folle entreprise comme le français Louis Brezon (Philippe Noiret) ou lui pardonnant tout comme le Docteur Hayden (Siân Phillips, épouse de Peter O'Toole à l'époque).

Pourtant peu à peu la témérité va révéler un esprit perturbé, obsessionnel et individualiste. Peter Yates oppose l'exaltation de Murphy au froid pragmatisme des allemands dont chacun des actes de guerre aussi révoltant soient-ils (le meurtre du pilote) obéissent à une froide logique stratégique et collective quand notre héros poursuit un but égoïste. Ses provocations envers les allemands mettent en danger la paisible communauté sans qu'il s'en soucie et la dernière partie étouffante évoque une sorte de Moby Dick où le sous-marin allemand fait office de baleine. Le conflit pourtant terminé n'a plus d'importance, seul compte ce duel, cette quête mystique et finalement vaine.

Il demeure néanmoins un léger problème de ton, le jeu outrancier de Peter O'Toole atténuant l'aura inquiétante de Murphy, ce qui s'explique par l'hésitation de Peter Yates qui faillit donner au film une issue héroïque malvenue et regretta de ne pas l'avoir fait pour des raisons commerciales. La confrontation finale hésite ainsi entre souffle épique et tension psychologique sans que l'on ressente cette ambiguïté comme totalement volontaire. Reste néanmoins un beau film d'aventures, visuellement éblouissant par instants notamment une photo superbe du regretté Douglas Slocombe qui magnifie les décors naturels de toute beauté.

Sorti en dvd zone 2 français chez Opening

 

5 commentaires:

  1. Bonsoir et merci pour cette critique juste. J'aime beaucoup ce film hors normes. Je voulais juste vous faire part d'une petite erreur dans votre description de Murphy: c'est à priori le mécanicien chargé d'entretenir l'hydravion car lui et le lieutenant semblent fort bien se connaître. D'autre part, un insigne savec une hélice figure sur la manche de sa combinaison. Il répare aussi aisément le Grumman avec l'aide de Brezon.
    Ce film tiré le spectateur vers des positions contradictoires. En effet, au début on ne peut qu'être en sympathie avec Ce survivant qui a vécu l'enfer de voir tous ses camarades massacrés arbitrairement par les allemand. Mais même si ce sentiment persiste jusqu'au bout , vers la fin quand la guerre est finie, sa vengeance devient de plus en plus absurde tout comme l'action inhumaine des allemands au départ de l'histoire. Ceux-ci pourraient même passer pour les victimes d'un fou furieux dans les dernières minutes. D'ailleurs tous le long du film on les voit agir avec une méthode toute militaire et froidement mécanique allant jusqu'à tenter de justifier l'impardonnable. face à eux Murphy oppose une improvisation et une ténacité à toute épreuve. C'est je pense à la morr du lieutenant aviateur exécuté par le capitaine du sous marin que Murphy bascule définitivement dans la folie. Sa réaction à ce moment-là est clair : il pert un ami et le dernier camarade de l'équipage décimé du Mount Kyle. À partir de là son action sera sans concession. Pour clore provisoirement ma contribution, j'ajouterai que ce film m'aura marqué sur un autre point: les allemands tout comme Murphy. Auront porté une guerre dans un monde exotique totalement hors dû champs habituel de la seconde guerre. Et surtout à part les indiens , la doctoresse et Brezon , il ne subsistera rien de ceux qui auront joué un bref instant à la guerre sur l'Orenoque. Un peu comme si le fleuve leur avait donné un sursis avant de les engloutir et de clore l'histoire.

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    1. Bonjour, vous avez probablement raison pour la fonction de Murphy le texte à 5 ans j'avoue ne plus me souvenir de ce détail là du film. Vous décrivz très bien l'ambivalence du portrait de Murphy en tout cas c'est vraiment un film injustement méconnu et un des grands roles de Peter O'Toole. Sur un postulat un peu voisin avez vous vu Anatahan de Josef von Sterneberg ? Très intéressant et avec la même idée versant japonais. J'en parlai ici https://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2018/08/anatahan-saga-of-anatahan-josef-von.html

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  2. Bonjour, je vous remercie pour les références de ce film Anatahan. Je ne connais pas. Je vais regarder.
    Pour continuer sur notre film, Je pense que ce qui fait aussi l'étrange intérêt de la Guerre de Murphy c'est effectivement son ton décalé à tous les niveaux : le contexte géographique exotique, l'équipe improvisée d' "alliés" de circonstance Franco-anglo-américaine, Louis Brezon semble enfin sortir d'une léthargie pour s'amuser à aider son nouvel ami à jouer à une gué-guerre mondiale au bout du monde face à des allemands qui semblent bien loin de leur théâtre des opérations. Le docteur Hayden semble enfin trouver un homme à sa hauteur et paraît éprouver des sentiments pour un Murphy rustre avec les femmes. Murphy matin irlandais, fanfaronne constamment en cachant ses sentiments et dévoile peu à peu son but ultime: couler les assassins du Mount Kyle. Et puis en effet l'étrange comportement des allemands au début: pourquoi ce massacre? Il est inexplicable et le demeure de plus en plus sur la durée du film. Quand l'officier allemand exécuté le pilote il s'excuse littéralement auprès de lui. Veut-il se racheter d'un ordre supérieur qui lui pèse encore (il semblait donner des ordres sans enthousiasme lors du combat) ou est-ce un sursaut d'humanité avant le pire inéluctable ? il est vrai que L'amiral Doenitz avait ordonné aux unités de UBoot de ne pas recueillir de naufragés après l'affaire du "Laconia"(authentique histoire de sauvetage par plusieurs Uboot allemands de naufragés anglais et italiens) mais ce qui se passe au début de la Guerre de Murphy est contre les lois de la Guerre et des règles d'entraide entre marins. On constate juste un massacre méthodique et zélé de l'equipage anglais comme s'il ne devait rien rester du navire. Un prélude pourrait d'ailleurs être intéressant à imaginer pour expliquer ce crime de guerre. Est-ce l'aboutissement d'une traque infernale ? Est ce que le Mount Kyle était un torpilleur agressif plutôt qu'un cargo? Le navire chassait -il le Uboot et les rôles se seraient inversés? Est ce que le Uboot se servait du fleuve comme planque pour surprendre tout navire alliés croisant dans ses parages? Beaucoup de suppositions pour un scénario riche en ouvertures et en interprètations. En tout cas je ne me lasse jamais de revoir ce film. Merci encore d'en avoir fait une excellente critique.

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    1. Pour Anatahan je viens de voir qu'il est actuelement visible gratuitement sur le site d'Arte ici https://www.arte.tv/fr/videos/095675-000-A/fievre-sur-anatahan/

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