Les Compson ont été
l'une de ces riches familles du sud des États-Unis. De ces gens puissants, à la
fois orgueilleux et jouisseurs du temps de leur prospérité, et qui, avec la
misère, sombrent dans l'alcoolisme et l'abjection. C’est cet univers familial décadent
et austère que rêve de fuir la jeune Caddy Compson. Un soir de fugue, elle
rencontre un beau forain…
Le Bruit et la fureur
est la seconde adaptation de William Faulkner de Martin Ritt après Les Feux de l’été sorti l’année précédente. Le film est selon les
amateurs de Faulkner très éloigné de la trame du roman (dans la construction,
dans le traitement des personnages mis en avant ou en retrait par rapport au
livre et inversement) et finalement doit plus aux adaptations à succès de
Tennessee Williams (Baby Doll (1956) d’Elia
Kazan et La Chatte sur un toit brûlant
(1958) de Richard Brooks en particulier pour le cadre sudiste) mais aussi la
grande vague de mélodrames des années 50 allant de Douglas Sirk à Delmer Daves
et souvent produit par Ross Hunter.
Le
Bruit et la fureur s’en éloigne pourtant par son refus de l’emphase inhérente
au genre, que ce soit le côté soap opera friand de rebondissements improbables,
de la tension sexuelle sous-jacente ou palpable et plus globalement d’une exacerbation
du drame allant crescendo jusqu’à un baroque assumé. Ici tout s’exprimera en
creux pour illustrer les fêlures de la famille Compson, anciennement l’une des
plus riches de la région et déchue de sa grandeur passée. La plupart des
membres ne semblent pas s’être remis de cette chute, la scène d’ouverture étant
un véritable défilé de névroses avec alcoolisme, désordre mental ou délire
hypocondriaque. Oncle, frères, mères, tous vivent encore dans le souvenir d’une
arrogance et orgueil passés les empêchant de se raccrocher une nouvelle
existence.
L’avenir de la famille ne tient que sur le fil d’un socle et
d’une incertitude. Le socle c’est Jason Compson (Yul Brynner chevelu pour des
rares fois), fils adoptif du patriarche Compson qui fait vivre la famille à la
dure. C’est cette nature conjointe d’héritier et d’élément extérieur qui semble
le rendre plus solide et apte à affronter la vie, acceptant de s’abaisser à un
emploi dans une boutique de vêtement où son patron ne cesse de le narguer sur
ce patronyme prestigieux qui ne l’empêche pas d’être son employé. Cette force
face l’existence, Jason aimerait l’inculquer
à sa nièce Quentin (Joanne Woodward) livrée à elle-même depuis que sa mère l’a abandonnée
nourrisson. Tout le film fonctionnera donc sur cet enjeu, la faculté de Quentin
devenir aussi solide et équilibrée que son oncle ou sa faiblesse la destinant à
la décadence du reste de la famille. Comme dit précédemment, Martin Ritt
orchestre ces thèmes avec une vraie sobriété dramatique et visuelle, la tension
ne naissant que dans la caractérisation et les rapports entre les personnages.
L’autorité brutale de Jason destinée à endurcir sa nièce suscite en fait un
vrai rejet chez l’adolescente en quête d’affection, menacée par toutes les
tares qui ont perdues le reste de sa famille. La frivolité (Margaret Leighton) d’une
mère qui va ressurgir va la faire céder aux premiers bras musclés venus avec le
forain Charlie Busch (Stuart Whitman) qui va l’initier à d’autres tentations. Ritt
par son sens de la retenue désamorce chaque moment où l’intrigue est susceptible
de basculer dans un malaise trop prononcé, que ce soit par une mise en scène dépourvue
d’effets pouvant exacerber les moments troubles mais aussi par le montage (la
coupe nette alors que la tension sexuelle semble monter quand Quentin et le
forain sont seuls dans la caravane) mais finalement aussi par le scénario d’Irving
Ravetch et Harriet Frank Jr (déjà à l’œuvre sur Les Feux de l’été) faisant surgir Jason à chaque fois que Quentin s’apprête
à céder à ses démons.
Yul Brynner incarne ainsi brillamment un garant moral dont
le caractère droit, glacial et sarcastique offre un pendant rassurant mais
opaque à la dégénérescence du reste de la famille. Cela ne rendra que plus
touchant les moments où il daigne se dérider comme la glace partagée avec
Quentin ou ce thé chez une vieille commère cherchant à le marier. Face à lui
Joanne Woodward (29 ans mais qui fait parfaitement illusion en adolescente de
17 ans) symbolise toute l’inconséquence de la jeunesse cherchant à s’émanciper
et attirer l’attention. Martin Ritt l’oppose au miroir déformant de qu’elle
pourrait devenir avec cette mère indigne et toujours aussi narcissique, mais la
confronte aussi au monstres tapis dans les errements de la famille (le simplet
Ben pouvant céder à une violence inattendue).
Dès lors le personnage se
construit dans ses erreurs et distingue les piètres exemples d’humanité qui l’entoure
avec la dureté inflexible mais bienveillante de Jason, le film amorçant même un
semblant de romance incestueuse dans l’idée (les personnages n’ayant aucun lien
du sang en réalité). Cette approche patiemment construite pourra s’avérer
frustrante pour les amateurs de mélo hollywoodien too much mais est d’une grande justesse en s’affranchissant de
péripéties trop outrancière. Le dilemme final de Quentin et son choix relèvera
ainsi plus d’une logique et de sentiments subtilement amenés. Cette retenue n’empêche
pas une certaine audace où l'identité d’une famille
traditionnelle du sud repose sur une gouvernante noire en vraie mère de famille
(magnifique Ethel Waters, le présent sur « l’étranger » (Yul Brynner)
et le futur sur la fille illégitime (Joanne Woodward).
Sorti en dvd zone 2 français chez Rimini
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