Le corps d'un riche collectionneur
d'objets d'art chinois est retrouvé dans sa propre chambre, une balle
dans la tête. La police conclut à un suicide. La présence de l'arme dans
sa main confirme cette thèse. Le détective Philo Vance est persuadé que
le collectionneur a été victime d'un assassinat. Avec l'aide d'un
policier et du procureur, il décide de mener l'enquête. Peu à peu, il
reconstitue les faits.
Michael Curtiz signe un captivant whodunitavec The Kennel Murder Case qui s'inscrit dans une riche année 1933 où on lui doit également Masques de cire et Female.
Le film adapte le roman éponyme de S.S. Van Dine, spécialiste du roman
policier à mystère où son héros récurrent Philo Vance résout les crimes
les plus insolubles au sein de la haute société. Il semble (si l'on en
croit le spécialiste du polar Stéphane Bourgoin en bonus du dvd) que
Curtiz ait transcendé la médiocrité du matériau original assez statique
et aux relents de racisme (dont il reste des traces dans le film avec un
personnage asiatique) par l'énergie qu'il apporte à son adaptation.
L'histoire reprend un motif classique du roman policier à savoir la
résolution d'un crime insoluble en lieu clos maquillé en suicide. Il s'agit du riche
collectionneur Archer Coe (Robert Barrat) dont la première partie du
film s'applique à démontrer comment, de sa nièce à son frère en passant
par son cuisinier chinois, tout son entourage éprouve de sérieux motifs
d'en finir avec celui qui se comporte en odieux tyran.
Pour qui
s'étonnera de l'introduction décontractée de du détective Philo Vance à
l'enquête (la police le laisse tranquillement s'introduire sur la scène
de crime et interroger tout le monde), il faut savoir que c'est la
quatrième fois que William Powell interprète le personnage après The Canary Murder Case (1929) The Greene Murder Case (1929) et The Benson Murder Case
(1930). Nous sommes donc dans une logique de série où même sans avoir
vu les films précédents la complicité se ressent aisément entre les
personnages (le sidekick truculent joué par Eugene Pallette) tout comme
certains running gag qui sentent la redite amusée (le médecin légiste
interrompu à chaque repas par la découverte d'un nouveau cadavre). Cet
aspect évite toute introduction fastidieuse et nous amène immédiatement
dans le vif du sujet. Michael Curtiz se repose à la fois sur la vivacité
et le flegme de William Powell et sur une mise en scène inventive. Tout
ce qui concerne l'enquête en elle-même sera l'affaire de William
Powell, sourire en coin, regard perçant et adepte du bon mot qui sait
déstabiliser ses interlocuteurs, repérer l'élément dissonant dans le
décor et tirer les conclusions les plus improbables. Curtiz déploie sa
maîtrise dans les différentes situations criminelles.
Un mouvement de
grue nous fait arpenter l'extérieur de l'impressionnant décor de la
maison se rapprochant d'une fenêtre pour nous faire voir puis entendre
le bruit et les éclats du coup de feu meurtrier. Plus tard Philo Vance
reconstituera le déroulement du crime que Curtiz film en caméra
subjective inquiétante et en rendant d'autant plus brutale l'exécution,
le tout remarquablement éclairé par William Rees qui traduit bien la
bascule du point de vue. La direction artistique de Jack Okey contribue
aussi à l'atmosphère avec ces deux maisons avoisinante que des
panoramiques nous font observer de l'extérieur et certains décors
ajoutant à la tonalité mystérieuse comme la salle d'objets d'arts
chinois du disparu. Le scénario nous mène sacrément en bateau, donnant
assez vite les clés pour mieux nous perdre dans les circonvolutions dues
à la nature plus tordue qu'il n'y parait du meurtre mais aussi les
états d'âmes des différents suspects caractérisés avec un brio narratif
rare. Détendu et inquiétant à la fois, un divertissement rondement mené.
Sorti en dvd zone 2 françaix chez Bach films et aussi chez Wild side sous le titree "Meurtre au chenil"
Pages
▼
mardi 31 mai 2016
lundi 30 mai 2016
Capitaine de Castille - Captain from Castile, Henry King (1947)
Au début du XVIème
siècle, le jeune Pedro de Vargas, après avoir provoqué les foudres de
l’Inquisition, est enfermé en prison avec sa famille. Il s’évade et part pour
le Nouveau Monde, en compagnie de son ami Juan Garcia et de la belle paysanne
Catana Perez. Sous les ordres d’Hernando Cortez, la conquête de ce qui
deviendra l’Amérique du Sud commence...
Capitaine de Castille
est une des productions hollywoodiennes les plus fastueuses des années 40,
porté par le duo Henry King / Tyrone Power. Le réalisateur et sa star furent associés
à certains des projets les plus spectaculaires, nantis et Technicolor de la Fox
les années précédentes avec entre autres les succès du Brigand bien-aimé (1939) ou Le Cygne noir (1942). Capitaine de
Castille est un projet plus ambitieux encore, la Fox allouant un budget
pharaonique pour illustrer la conquête du Nouveau Monde par Cortez avec la
volonté d’un tournage essentiellement en extérieurs au Mexique, sur les lieux
même de ces hauts faits.
La première partie du film est ce qui se rapproche le plus
de l’attente qu’on a d’un film d’aventure du duo. Elle représente la
description de la vieille Europe, de ses conflits idéologiques, ses inégalités
sociales et sa justice arbitraire. Nous découvrons ce contexte à travers le
regard du jeune Pedro de Vargas (Tyrone Power) dont la bonté et le bon sens
vont faire tout perdre. Ayant osé défier l’autorité de Diego De Silva (John
Sutton), de Vargas subit les foudres de l’Inquisition dont il est le chef. La religion
s’avère être un instrument de pouvoir pour le sournois De Silva, qualifiant d’hérétique,
enfermant et torturant quiconque lui déplait. Nous aurons précédemment
découvert l’attrait pour l’ailleurs de de Vargas, la rencontre avec l’aventurier
Juan Garcia (Lee J. Cobb) offrant un horizon plus palpitant que sa vie noble et
l’attrait de la paysanne Catana (Jean Peters) des promesses plus sensuelle que
la cour rigide qu’il fait à Luisa De Carvajal (Barbara Lawrence) de son statut.
Les évènements dramatiques vont lui faire perdre rang, honneur et être cher, le
laissant libre de tout reconstruire et trouver fortune dans ce Nouveau Monde
qui l’attire tant. Riches en rebondissements et actions (cavalcades à cheval,
féroce duel à l’épée) cette première partie est trompeuse quant à la suite du
film.
L’odyssée au sein du Nouveau Monde sera avant tout intimiste
pour notre héros. Cet ailleurs est un moyen de trouver sa place pour Catana
libérée des entraves sociales de l’Europe, d’apaiser ses démons pour Juan
Garcia dont le terrible drame se révélera et d’oublier la violence à laquelle
il s’est rabaissé par vengeance pour Pedro de Vargas. Le faste et le
spectaculaire du film réside plus dans l’illustration que la pure action. L’imagerie
se faire tour à tour exotique avec les populations bariolées rencontrées,
grandiose avec les vues majestueuses sur les extérieurs impressionnants – photo
magnifique de Arthur E. Arling et Charles G. Clarke, King faisant des
infidélités à Leon Shamroy - mais aussi minutieuses avec le soin apportés aux
décors de temple, à la reconstruction des armadas et des armures rutilantes des
conquistadors. Cette approche évite de tomber dans le film bassement colonial,
respectant d’ailleurs ainsi les circonstances de la véritable avancée de
Cortez. Cette volonté des conquistadors de soumettre les autochtones à leurs
religions, de s’approprier les trésors de ces contrées éloignées est
questionnée mais ne passe pas systématiquement par la violence.
Henry King
dépeint ainsi dans le détail la diplomatie se jouant entre Cuba qui souhaite
avoir sa part du butin des conquistadors mais aussi les autochtones dont le
respect ne sera gagné qu’en traversant les îles jusqu’à parvenir aux portes du
royaume de l’empereur aztèque Moctezuma. Le rituel fait de cadeaux visant à
satisfaire les étrangers et les inciter
à ne pas pousser plus loin leur périple se répète donc à plusieurs
reprises, ne lassant jamais grâce au charisme et à la truculence de Cesar
Romero qui trouve le rôle de sa vie en Cortez. Le scénario ne joue guère des
difficultés météorologiques pour créer des péripéties ralentissant le parcours,
la marche semble constamment triomphale dans sa vision grandiloquente et les
difficultés naîtront toujours de l’humain. Ce sera soit dans le cercle
disparate des conquistadors (le vol du butin par des mutins) soit de manière
plus intime chez nos personnages. La romance entre Tyrone Power et Jean Peters
est aussi sensuelle qu’attachante, l’actrice pour son premier rôle au cinéma
(bénéficiant du refus de David O’Selznick de prêter sa femme Jennifer Jones à
la Fox, et d’une Linda Darnell – qui fit des étincelles avec Tyrone Power dans Le Signe de Zorro (1940) – coincée sur
le tournage de Ambre (1947) d’Otto
Preminger) imposant une présence lascive envoutante. King les unit au rythme d’une
magnifique scène de danse où le rapprochement et la complicité des mouvements
suffit à définir leur lien.
Fort des épreuves et de la sagesse acquis lors de l’épopée,
un ultime rebondissement confronte de Vargas à son passé dans une mise à l’épreuve
amenant des sentiments contrastés. L’amitié entre l’européen et l’aztèque est
rendu possible le temps d’un beau sacrifice, mais symbolise finalement le
triomphe futur de l’envahisseur plus maître de ses émotions et calculateur.
Cette idée s’exprime dans l’extraordinaire séquence finale, montrant Cortez et
ses troupes parcourir l’immensité du passage menant au palais de Moctezuma. Ils
se fondent fièrement dans le panorama monumental (King profitant d’une réelle
éruption de volcan qu’on distingue en arrière-plan pour accentuer la puissance
de ses images), comme en terrain déjà conquis. Par la diplomatie ou les
combats, ces terres seront à eux. Si l’on ne s’y essaie pas dans une attente d’aventures
pétaradantes et qu’on se laisse porter, une œuvre passionnante.
Sorti en dvd zone 2 français chez Fox
samedi 28 mai 2016
Elle - Paul Verhoeven (2016)
Michèle Leblanc est
agressée et violée dans sa grande maison de banlieue parisienne où elle vit
seule. Elle ne porte pas plainte par la suite et reprend sa vie entre sa
société de jeux vidéo qu'elle dirige avec son amie Anna, sa liaison avec Robert
le compagnon de celle-ci, son fils Vincent, son ex-mari Richard, ses voisins
Patrick et Rebecca.
Nous avions laissé Paul Verhoeven sur l’époustouflant Black Book (2006) et depuis la nouvelle
provocation du « hollandais violent » se faisait attendre. Il adapte
ici le roman de Philippe Dijan Oh et
faute de financement aux Etats-Unis se plie à un tournage en France avec le
langage et casting idoine. Ce changement de contexte n’empêche pas de signer
une œuvre singulière typique de son cinéma. La nature dominant/dominés des
relations hommes/femmes a toujours constitués une notion subversive chez
Verhoeven qui en donne un versant clinique et déroutant ici. La femme d’affaire
Michèle Leblanc (Isabelle Huppert) est violée par un inconnu vêtu de noir et
cagoulé dans le pavillon de banlieue où elle vit seule. Le film s’ouvre sur ce
traumatisant moment dont la brutalité se révèle d’abord par le son des cris et
du mobilier brisé sur fond d’écran noir, avant de se le laisser voir crument
par l’image. Ce choix amorce l’idée du déni de l’héroïne de cette agression - dont
les circonstances se dévoileront de manière fragmentée -, ou du moins d’une
acceptation placide de ce qui constitue le pire des abus pour une femme.
Isabelle Huppert excelle à exprimer cela par un détachement qui relève du
maladif, rangeant machinalement l’appartement dévasté, commandant chinois et
prenant un bain. La tâche de sang
apparaissant dans le blanc immaculé du bain moussant exprime pourtant
subtilement la brisure mentale et physique indélébile sous la normalité de
façade.
Chez Verhoeven la sexualité féminine est tout à la fois un
instrument de pouvoir et de souffrance. Les personnages les moins subtils en
font une simple arme de manipulation de la gent masculine telle la Sharon Stone
de Total Recall (1990) et Basic Instinct (1991). Souffrance et
pouvoir se conjuguent chez les figures les plus fascinantes comme l’innocente
Jennifer Jason Leigh abusée dans La Chair et le Sang (1985), le passif douloureux que l’on devine chez l’héroïne
white trash et ambitieuse de Showgirls
(1995) et bien sûr la résistante juive infiltrée de Black Book. Dans chacune de ces œuvres, Verhoeven dilue habilement
les repères moraux, les héroïnes s’avérant insaisissables et ambiguës dans leur
rapport à ceux dont elles voulaient se venger. Jennifer Jason Leigh hésite
entre trahison et amour qui ne s’avoue pas envers le brutal Rutger Hauer,
Elizabeth Berkeley se confronte aux contradictions de son ambition dans Showgirls, et le mal prend un visage plus
trouble que le seul nazisme pour Carice Van Houten dans Black Book.
Le sens de la provocation de
ses œuvres hollandaise explorant les mêmes questions (Business is Business (1971), Katie
Tippel (1975) ou Le Quatrième Homme
(1983)) trouvaient leur équivalent dans l’outrance et la démesure de sa période
américaine, dessinant des sociétés corrompues où les femmes devaient
s’astreindre de toute vertus morales ou physiques pour s’imposer. Paul
Verhoeven y agissait comme un véritable agent du chaos bousculant la bienséance
de la société hollandaise ou l’hypocrisie de la société américaine. Le problème
de Elle est de vouloir reprendre ces
motifs avec une sorte de retenue, de subtilité. Ce n’est pas le registre de
Verhoeven qui n’est jamais aussi bon que dans l’outrance, le portrait au
vitriol et la violence (physique, sexuelle, psychologique) exacerbée jusqu’à
l’absurde qui fait tout s’annuler. Une démarche qui fonctionne parfaitement
dans les contextes hauts en couleurs de ses films américains, le Moyen Age
paillard et bigot de La Chair et le sang,
Las Vegas terre de tous les vices dans Showgirl,
le néo noir hypersexué de Basic instinct
sans parler des futurs cauchemardesques de Robocop
(1987) et Starship Troopers (1997).
La banalité du cadre franchouillard de Elle
ne s’y prête pas et ne fait jamais décoller le propos de Verhoeven.
Cette retenue se justifie dans un premier temps par la
nature froide et « sous contrôle » d’Isabelle Huppert dont la dureté d’apparence
est mise à mal en sous-texte par son rapport aux hommes – les raisons de la
séparation avec l’ex époux joué par Charles Berling, la défiance de ses
employés et le passif douloureux avec son père. Le traumatisme ressurgit au gré d’une construction habile (le montage
révélant le rôle malheureux du chat dans l’agression), d’un décalage comique
réjouissant et inattendu - la désinvolture avec laquelle l’héroïne révèle les
faits à ses amis – avant de tenter de refaire naître la tension lorsque le
violeur nargue Isabelle Huppert, lui faisant comprendre qu’il l’observe et est
prêt à récidiver. La banlieue pavillonnaire terne, le milieu du jeu vidéo vu de
façon très superficielle et la galerie de personnage grossièrement dessinée
(mention spéciale à l’amant queutard joué avec de gros sabots par Christian
Berkel) tisse un environnement trop quelconque pour faire basculer le film dans
cet ailleurs monstrueux et immoral que sait si bien éveiller Paul Verhoeven.
Il
se repose avant tout sur une extraordinaire Isabelle Huppert perdue entre
attente et crainte de son agresseur dont l’identité peut aisément s’anticiper.
En poussant jusqu’à l’absurde vulgaire et violent ces autres films, Verhoeven
balayait d’un revers tout jugement moral des pourfendeurs de ses films (Basic Instinct provoquant les foudres du
milieu gay, Starship Troopers accusé
de nazisme) tandis que Elle par une
approche plus subtile et/ou timorée (selon les gouts) provoque des réactions
certes injustifiée des féministes y voyant une apologie du viol, mais que la
froide bienséance du film ne contredit pas avec suffisamment de conviction. La
force des autres films de Verhoeven était d’interroger par la satire sa
Hollande d’origine ou ses Etats-Unis d’accueil, difficile de voir un vrai
regard sur une France résumée à des banlieues pavillonnaires et adultères
bourgeois qu’on trouverait partout ailleurs. Les quelques pistes lancées avec
le personnage du fils sont trop grossières (et desservie par l’interprétation
de Jonas Bloquet et Alice Isaaz en jeune fiancée) pour rétablir cette faille.
Le cadre qui oppresse/brise l'héroïne n'existe pas assez pour rendre son redressement aussi spectaculaire et puissant que dans les autres films du réalisateur. Paul Verhoeven pèche par une retenue qui ne lui sied guère et facilite les interprétations hasardeuses pour les moins familiers à son cinéma
dans ce qui est son film le plus faible avec Hollow Man (2000).
En salle
vendredi 27 mai 2016
La Reine de la prairie - Cattle Queen of Montana, Allan Dwan (1954)
Sierra Nevada Jones
(Barbara Stanwyck) et son père arrivent enfin avec leur troupeau d’un millier
de têtes dans les plaines riantes et verdoyantes du Montana où ils souhaitent
désormais s’installer. Mais ils sont attaqués le soir même par un groupe
d’Indiens qui massacrent les cow-boys et font fuir les bovins. Quasi seule
survivante, Sierra Nevada est emmenée et soignée par la tribu indienne
Blackfoot dont font pourtant partie ses agresseurs. En fait, Colorados, le fils
du chef, les a recueillis ne sachant rien des exactions de Natchakoa qui s’est
acoquiné avec McCord, un Rancher local souhaitant rester seul propriétaire de
la vallée.
La Reine de la prairie
ne constitue pas le meilleur opus de la grande série de westerns de série B que
signa Allan Dwan durant les années 50 à la RKO. Le scénario comporte pourtant
les éléments thématiques de grands classiques de l’époque, que ce soit la veine
pro-indienne ou encore cette évocation de la tyrannie des grands propriétaires
terriens. La volonté de Dwan sera pourtant surtout de délivrer le spectacle le
plus trépidant possible ce qui rendra ces questionnements assez superficiels
dans une œuvre assez fantaisiste.
Le brio de Barbara Stanwyck dans le western n’est plus à
prouver et son rôle ici annonce la propriétaire impitoyable de Quarante Tueurs (1957) de Samuel Fuller.
On retrouve cette détermination mais ici avec un personnage plus vulnérable et
attachant, bien décidé à reconquérir les terres volées par l’infâme McCord
(Gene Evans) avec l’aide de l’indien Natchakoa (Anthony Caruso). Tout est ici
affaire de duo interracial, celui maléfique formé par McCord et Natchakoa
trouvant son pendant positif à travers Sierra Nevada Jones (Barbara Stanwyck)
et Colorado (Lance). Lorsque les desseins criminels dominent, ce sont les
travers de l’homme blanc qui semblent prendre le pas sur la nature indienne,
Natchakoa cédant à la cupidité mais aussi aux vices du whisky. A l’inverse la
sagesse indienne de Colorado apaise et guide Sierra Nevada qui surmontera ses
préjugés dans sa quête de vengeance.
L’intrigue va des uns aux autres dans une
suite de rebondissement mouvementés où le gunfighter Farrell (Ronald Reagan)
est plus difficile à situer, employé par McCord mais aidant régulièrement
Sierra Nevada. La véritable identité du personnage s’inscrira avec cohérence
dans la mécanique narrative du récit mais pas forcément dans l’émotionnelle.
Toute la construction tend vers une romance interraciale entre Sierra Nevada et
Colorado, subtilement esquissée dans leur interaction mais aussi leur rapport
aux autres (chacun fustigé dans son camp pour s’être lié à l’autre race) et
comme effrayé de son audace le film estompe complètement cet aspect dans sa
dernière partie pour amener lourdement un rapprochement de Barbara Stanwyck et
Ronald Reagan.
Le scénario manque de rigueur et de profondeur dans son
déroulement riche en facilités. Les indiens fantaisistes, l’enchaînement
ininterrompu d’action et les enjeux simplistes amène une naïveté qui ramène à la
dimension la plus désuète du western alors en pleine mue durant ces années 50.
On ne serait pas loin de parler de serial de luxe si ce n’était le brio formel
d’Allan Dwan. Tombé amoureux des paysages du Montana, Dwan filme avec une égale
inspiration l’immensité verdoyante de cette plaine, les guet-apens dans l’ombre
des sous-bois. L’aspect contemplatif (magnifique plongée et profondeur de
champs quand Barbara Stanwyck observe les voyageurs de la plaine depuis les
hauteurs de la forêt) alterne avec une nervosité idéale dans les nombreux
gunfights et combats à mains nues.
Barbara Stanwyck illustre bien ce mélange d’élégance
et l‘action, tour à tour masculine, bravache et en remontrant aux hommes puis
délicate et féminine dans une volonté sincère (les liens naissant avec
Colorado) ou calculée (lors de la seule fois où on la verra en robe pour
amadouer McCord). Dwan croit tellement peu à la romance entre celle-ci et
Ronald Reagan qu’il l’expédie avec une rare désinvolture, l’énergie de l’ensemble
primant sur le reste. Même si loin de la richesse de Quatre étranges cavaliers (1954) et de l’émotion du Mariage est pour demain (1955), La Reine de la prairie reste un agréable
divertissement.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta et Sidonis
jeudi 26 mai 2016
Northern Soul - Elaine Constantine (2014)
Northern Soul c'est l'histoire de la jeunesse britannique des années
1970 et d'un mouvement underground qui a bouleversé toute une
génération. Deux jeunes provinciaux refusent de se soumettre à leur
avenir tout tracé, d'un travail à la chaine à l'usine et ne pensent qu'à
partir aux USA. Ils rêvent de dénicher des disques vinyles rares, qui
leur permettraient de devenir les meilleurs DJ. Ce périple va leur faire
découvrir violence, rivalité, abus de drogue et mettra en péril leur
amitié.
Au début des années 60, l'Angleterre connait un engouement
musical sans précédent pour la soul. Les tubes de la Motown, Atlantic ou Stax
cartonnent et inspirent les groupes locaux (notamment ceux du courant mods) qui
vampirisent la soul pour l'emmener ailleurs avec des formations plus rock comme
les Small Faces ou les Who. Avec l'arrivée du hard rock, du rock psyché, du
glam et du rock progressif, la soul devient rapidement passée de mode auprès du
grand public anglais. C'est sans compter sur une horde d'irréductibles dans le
nord de l'Angleterre, réfractaires au changement et qui vont s'improviser DJ en
organisant des soirées où ils diffusent les plus grands tubes soul de l'époque.
Devant le succès considérable de ces soirées, les DJ se retrouvent rapidement à
court de disques à diffuser et décident de se rendre aux USA d'où ils vont
ramener un flot de perles méconnues, mais qui n'ont rien à envier aux
classiques Motown.
Le succès est tel que des titres ayant fait un bide
plusieurs années auparavant aux Etats -Unis (surtout faute de distribution
correcte) se retrouvent soudainement n°1 dans les charts anglais participe à
créer le courant de la Northern soul. La Northern Soul se caractérise par ses
tempos ultra soutenu ravivant le son Motown, un four on the floor éreintant taillé pour les pistes de danses dont
le slow est totalement exclu. La drogue aidant, les rythmes se feront de plus
en plus rapides, annonçant le virage vers le disco. Le mouvement connaîtra son
apogée du milieu des 60's à la fin des 70's avec des soirées prétexte à des marathons
de danses au sein de clubs mythiques du nord de l’Angleterre : Le Twisted Wheel
à Manchester, le Golden Torch à Stoke -On -Trent, le Mecca à Blackpool et le
Casino de Wigan. Le genre aura perduré à travers les reprises – le célèbre Tainted Love de Soft Cell est repris d’un
tube northern de Gloria Jones -, groupe hommage tel les Dexy’s Midnight Runner
et leur Come on Eileen et artiste récent s’en réclamant comme la regrettée Amy
Winehouse.
Le film d’Elaine Constantine se penche donc avec brio sur le
phénomène. Comme souvent la passion naît de l’ennui et la musique va constituer
une échappatoire au quotidien morne et à l’avenir sinistre promis par le cadre
d’une cité industrielle du nord de l’Angleterre. John (Elliot James Langridge),
adolescent brimé et solitaire est subjugué durant une soirée par l’aplomb de
Matt (Josh Whitehouse). Ce dernier réussit à imposer un titre soul au DJ et ne
va pas se démonter face au public amorphe pour se lancer dans une danse
survoltée et haranguer l’assistance. C’est le départ d’une belle amitié et c’est
à travers le regard novice de John que l’on va découvrir la culture Northern
Soul. Le mouvement est la fois vestimentaire avec ces sweat collant, pantalons
ample et grosses chaussures permettant d’exécuter les pas de danse les plus
spectaculaires et bien sûr musical. Le film rend parfaitement l’aura mythique
du DJ et de sa setlist. Les « nouveautés » northern soul reposant sur
des titres anciens restés obscurs, la trouvaille de la rareté qui subjuguera la
piste de danse devient une quête mythique et obsessionnelle.
On voit ainsi John
et Matt écumer les disquaires d’occasions, s’immiscer dans une économie
parallèle où l’on achète une cargaison de disques à la dérobée de parking de
boite de nuit ou en faisant des commandes à des soldats de passage mais basés
en Amérique, le tout en rêvant de trouver « la » perle. Le rêve
ultime serait d’ailleurs d’aller chercher des disques aux Etats-Unis pour nos
héros, admiratifs de l’aura de DJ cachant jalousement la source des meilleurs
titres qu’il diffuse. Cela donne une délicieuse touche rétro et un côté plus
précieux à la musique à l’heure où tout se retrouve en un téléchargement, une
des plus belles scènes du film étant celle où Matt et John en écoutant leurs
derniers achat tombe sur le titre caché du DJ star local, la révélation leur
attirant une audience inattendue lors de leur set.
Elaine Maine s’était fait connaître par son travail dans la
photo où son thème récurrent était la culture adolescente anglaise. On retrouve
de cela dans le film, le cadre rétro ne jouant jamais sur la nostalgie mais
capturant l’engouement Northern Soul dans une immédiateté reposant à la fois sur
le montage percutant - où l’on saisit le virus Nothern Soul happer toute la
jeunesse de la ville - , l’énergie des scènes de soirée et surtout un art tout
photographique justement de figer dans une grâce suspendue l’extase des
danseurs s’oubliant sur la piste. La première scène au Wigan Casino offre un
moment d’une force rare, le malingre John devenant un stomper véloce et habité
capable de se relever d’une overdose.
Des nouveaux pas de danses répétés
frénétiquement toute la semaine au travail d’usine où l’on ronge son frein en
attendant le samedi, la passion irrationnelle est saisie avec une grande justesse
par la réalisatrice parfaitement documentée, le projet ayant mis 15 ans à
trouver un financement. La vie intime des deux héros est un peu plus convenue
mais conserve charme et énergie, notamment les premiers amours de John pour une
belle infirmière. L’envers du décor revêt aussi un aspect connu avec les
amphétamines circulant dans les soirées, avec quelques situations et
personnages outranciers à la Trainspotting
mais c’est en liant toujours cela à la musique qu’Elaine Maine évite le cliché
notamment avec la déchéance de Matt. Bref, une œuvre bondissante et attachante
qui donnera au novice l’envie de s’y mettre et aux connaisseurs de ressortir
leurs vieilles compilation Northern Soul – la bande originale du film entra d’ailleurs
dans le top 10 des charts britanniques.
Sorti en dvd zone 2 français chez Universal
mardi 24 mai 2016
L'Enfer est à lui - White Heat, Raoul Walsh (1949)
Cody est un petit
criminel psychopathe. Arrêté pour un délit mineur, il est enfermé avec un
codétenu, qui est en réalité un policier, Vic chargé de le mettre en confiance
pour ensuite infiltrer la bande de Cody. Ils arrivent à s'échapper et
commencent leurs forfaits. La police prévenue par Vic parvient à arrêter le
gang. Cody est poursuivi jusque dans une usine et meurt en provoquant une
explosion.
En dépit d’un bagage artistique complet (dont des talents de
chanteur et danseur qu’il exploita dans les comédies musicales), l’image de
James Cagney est définitivement associée à la figure du gangster. S’il put en
donner une interprétation plus nuancée avec le malfrat au grand cœur du Bataillon des sans amours (1933), c’est
surtout dans le registre le plus menaçant, brutal et torturé qu’il associa son
image à celle du hors-la-loi. L'Ennemi
public (1931), son premier vrai grand rôle, l’impose avec ces éclairs de
sadisme tel ce moment où il écrase une orange sur le visage de Jean Harlow et
la Warner exploitera cette image tout au long des années 30 avec d’autres
grandes réussites comme Les Anges aux
figures sales (1938) de Michael Curtiz ou encore Les Fantastiques Années 20 (1939) de Raoul Walsh. Là de cet emploi
et en conflit avec le studio, James Cagney quitte un temps la Warner pour
fonder sa propre société de production et produire des œuvres plus intellectuelles.
Ce sera Le Bar aux illusions (1948),
adaptation prestigieuse de la pièce éponyme de William Saroyan (1939)
récompensée par le Prix Pulitzer. C’est un échec retentissant qui l’amène à
revenir dans le giron de la Warner, fort d’un contrat lucratif qui lui laisse
désormais un grand pouvoir sur les films qu’il tournera. Pour marquer le coup et signer ce retour au
sommet, Cagney tournera donc pour la première fois depuis huit ans un nouveau
film de gangster, L’Enfer est à lui.
Retrouvant Raoul Walsh, Cagney ne cède cependant pas à la facilité et son
interprétation ne sera pas une redite de ses autres rôles de gangster.
Le scénario d’Ivan Goff, Ben Roberts et Virginia Kellogg s’inspire
notamment de Francis Crowley, truand de 18 ans dont l’arrestation fut épique et
avant son exécution sur la chaise électrique envoya ses ultimes vœux à sa mère.
Cette image maternelle fut également malmenée durant les années 30 avec Ma
Barker, matriarche criminelle qui sema la terreur avec son gang et dont Robert
Aldrich s’inspirera grandement dans son mémorable Pas d’orchidées pour Miss Blandish (1971). Fort de cette base, James
Cagney puise également dans son propre passé avec la terreur que lui inspirait
son père alcoolique ou la visite qu’il fit enfant d’un asile d’aliéné. La
différence avec ses autres rôles de gangster sera donc la nature
authentiquement psychotique de ce terrifiant Cody Jarrett. Cagney reprend bien
sûr certains éléments des autres films du genre qu’il a popularisé mais la
folie, l’outrance grotesque et la nature imprévisible de Cody Jarrett doit tout
autant à son expérience dans des comédies comme The Strawberry Blonde (1941) de Raoul Walsh mais de l'excentricit des
personnages haut en couleurs et survoltés de ses comédies musicales façon Prologue (1933) ou La Glorieuse Parade (1942) qui lui valut un Oscar.
Tout cela
donnera un spectacle d’une efficacité redoutable et constamment déséquilibré
par la présence inquiétante et maladive de Cody Jarrett. L’attaque de train en
ouverture donne à voir le génie criminel du personnage dans son déroulement,
mais aussi son impitoyable détermination et le réel plaisir qu’il éprouve à
faire le mal – voir le meurtre des deux conducteurs de train dans un rictus de
satisfaction. C’est paradoxalement quand il se montre le plus humain et
vulnérable que Cody Jarrett s’avère le plus terrifiant, cloué par de violentes
migraines qu’il apaise en se réfugiant dans les bras protecteur de sa maman (Margaret
Wycherly). Tout l’entourage est caractérisé à l’aune de ce héros agité,
poussant les clichés dans leurs derniers retranchements. Virginia Mayo est
parfaite de vulgarité en traînée cupide se raccrochant au plus fort, tout comme
Steve Cochran (qui interprètera à son tour un mémorable truand psychopathe l’année
suivant dans Témoin de la dernière heure) en acolyte ambitieux.
Le scénario varie avec brio les situations et environnements
pour servir au mieux la folie de Cody Jarrett avec un habile récit d’infiltration.
La crise de démence de Jarrett en prison quand il apprend la mort de sa mère
est un moment sacrément dérangeant où James Cagney s’abandonne totalement, la
stupéfaction des figurants pas prévenu du déroulement de la scène n’étant pas
feinte. A cette outrance face à ses repères menacés s’oppose la froide
assurance lors qu’il s’agit de tuer avec une mort mémorable de Steve Cochran.
James Cagney parvient pourtant à rendre le personnage pathétique par ces
instincts criminels ne s’épanouissant que dans un épanouissement affectif, d’abord
par sa mère puis par le frère de substitution que semble constituer le flic
infiltré incarné par Edmond O'Brien.
Troublant dans sa terrible solitude – la scène
où il avoue parler seul à sa mère disparue –, son équilibre mental ne tient qu’à
un fil prêt à se rompre fasse à la perte de ce lien affectif. Cagney exprime un
stupéfiant mélange de rage et de déception au bord des larmes lorsqu’il saura
la véritable identité d’Edmond O’Brien. Les derniers liens à la réalité sont
rompus et nous mènent à un final apocalyptique où la folie de Cody Jarrett
déchaîne tout simplement l’enfer. Un très grand film dont la démesure ne se
retrouvera sans doute que dans l’Al Pacino de Scarface (1984).
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner