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mardi 24 mai 2016

L'Enfer est à lui - White Heat, Raoul Walsh (1949)


Cody est un petit criminel psychopathe. Arrêté pour un délit mineur, il est enfermé avec un codétenu, qui est en réalité un policier, Vic chargé de le mettre en confiance pour ensuite infiltrer la bande de Cody. Ils arrivent à s'échapper et commencent leurs forfaits. La police prévenue par Vic parvient à arrêter le gang. Cody est poursuivi jusque dans une usine et meurt en provoquant une explosion.

En dépit d’un bagage artistique complet (dont des talents de chanteur et danseur qu’il exploita dans les comédies musicales), l’image de James Cagney est définitivement associée à la figure du gangster. S’il put en donner une interprétation plus nuancée avec le malfrat au grand cœur du Bataillon des sans amours (1933), c’est surtout dans le registre le plus menaçant, brutal et torturé qu’il associa son image à celle du hors-la-loi. L'Ennemi public (1931), son premier vrai grand rôle, l’impose avec ces éclairs de sadisme tel ce moment où il écrase une orange sur le visage de Jean Harlow et la Warner exploitera cette image tout au long des années 30 avec d’autres grandes réussites comme Les Anges aux figures sales (1938) de Michael Curtiz ou encore Les Fantastiques Années 20 (1939) de Raoul Walsh. Là de cet emploi et en conflit avec le studio, James Cagney quitte un temps la Warner pour fonder sa propre société de production et produire des œuvres plus intellectuelles. Ce sera Le Bar aux illusions (1948), adaptation prestigieuse de la pièce éponyme de William Saroyan (1939) récompensée par le Prix Pulitzer. C’est un échec retentissant qui l’amène à revenir dans le giron de la Warner, fort d’un contrat lucratif qui lui laisse désormais un grand pouvoir sur les films qu’il tournera.  Pour marquer le coup et signer ce retour au sommet, Cagney tournera donc pour la première fois depuis huit ans un nouveau film de gangster, L’Enfer est à lui. Retrouvant Raoul Walsh, Cagney ne cède cependant pas à la facilité et son interprétation ne sera pas une redite de ses autres rôles de gangster.

Le scénario d’Ivan Goff, Ben Roberts et Virginia Kellogg s’inspire notamment de Francis Crowley, truand de 18 ans dont l’arrestation fut épique et avant son exécution sur la chaise électrique envoya ses ultimes vœux à sa mère. Cette image maternelle fut également malmenée durant les années 30 avec Ma Barker, matriarche criminelle qui sema la terreur avec son gang et dont Robert Aldrich s’inspirera grandement dans son mémorable Pas d’orchidées pour Miss Blandish (1971). Fort de cette base, James Cagney puise également dans son propre passé avec la terreur que lui inspirait son père alcoolique ou la visite qu’il fit enfant d’un asile d’aliéné. La différence avec ses autres rôles de gangster sera donc la nature authentiquement psychotique de ce terrifiant Cody Jarrett. Cagney reprend bien sûr certains éléments des autres films du genre qu’il a popularisé mais la folie, l’outrance grotesque et la nature imprévisible de Cody Jarrett doit tout autant à son expérience dans des comédies comme The Strawberry Blonde (1941) de Raoul Walsh mais de l'excentricit des personnages haut en couleurs et survoltés de ses comédies musicales façon Prologue (1933) ou La Glorieuse Parade (1942) qui lui valut un Oscar. 

Tout cela donnera un spectacle d’une efficacité redoutable et constamment déséquilibré par la présence inquiétante et maladive de Cody Jarrett. L’attaque de train en ouverture donne à voir le génie criminel du personnage dans son déroulement, mais aussi son impitoyable détermination et le réel plaisir qu’il éprouve à faire le mal – voir le meurtre des deux conducteurs de train dans un rictus de satisfaction. C’est paradoxalement quand il se montre le plus humain et vulnérable que Cody Jarrett s’avère le plus terrifiant, cloué par de violentes migraines qu’il apaise en se réfugiant dans les bras protecteur de sa maman (Margaret Wycherly). Tout l’entourage est caractérisé à l’aune de ce héros agité, poussant les clichés dans leurs derniers retranchements. Virginia Mayo est parfaite de vulgarité en traînée cupide se raccrochant au plus fort, tout comme Steve Cochran (qui interprètera à son tour un mémorable truand psychopathe l’année suivant dans  Témoin de la dernière heure) en acolyte ambitieux.

Le scénario varie avec brio les situations et environnements pour servir au mieux la folie de Cody Jarrett avec un habile récit d’infiltration. La crise de démence de Jarrett en prison quand il apprend la mort de sa mère est un moment sacrément dérangeant où James Cagney s’abandonne totalement, la stupéfaction des figurants pas prévenu du déroulement de la scène n’étant pas feinte. A cette outrance face à ses repères menacés s’oppose la froide assurance lors qu’il s’agit de tuer avec une mort mémorable de Steve Cochran. James Cagney parvient pourtant à rendre le personnage pathétique par ces instincts criminels ne s’épanouissant que dans un épanouissement affectif, d’abord par sa mère puis par le frère de substitution que semble constituer le flic infiltré incarné par Edmond O'Brien. 

Troublant dans sa terrible solitude – la scène où il avoue parler seul à sa mère disparue –, son équilibre mental ne tient qu’à un fil prêt à se rompre fasse à la perte de ce lien affectif. Cagney exprime un stupéfiant mélange de rage et de déception au bord des larmes lorsqu’il saura la véritable identité d’Edmond O’Brien. Les derniers liens à la réalité sont rompus et nous mènent à un final apocalyptique où la folie de Cody Jarrett déchaîne tout simplement l’enfer. Un très grand film dont la démesure ne se retrouvera sans doute que dans l’Al Pacino de Scarface (1984).

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

 

1 commentaire:

  1. Un très grand film qui marque grâce à l'extraordinaire prestation de James Cagney. Pas revu depuis trente ans mais un souvenir encore fort.

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