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mercredi 29 juin 2016

Les Anges aux figures sales - Angels with Dirty Faces, Michael Curtiz (1939)

Rocky Sullivan et Jerry Connolly ont grandi ensemble dans Hell's Kitchen. Quand ils se retrouvent quelques années plus tard, le premier est devenu un gangster, le second un prêtre dont le but est de remettre dans le droit chemin des enfants défavorisés. Par amitié, Rocky va faire pression à sa manière sur les notables qui financent sans conviction les œuvres de Jerry dont l'idéalisme est peu en accord avec les codes et les tentations de ses jeunes apprentis délinquants.

Les films de gangsters avaient représentés un lucratif phénomène pour les studios au début des années 30 avec des classiques brutaux comme Le Petit César (1931) de Mervyn LeRoy, Scarface (1932) de Howard Hawks ou encore L’Ennemi public (1931) de William A. Wellman. Seulement avec l’application stricte du Code Hays à partir de 1934, ces odes amorales aux malfrats s’avèrent plus problématique à produire et son un temps délaissés par les studios. Tout en continuant à produire des polars, les firmes célèbrent désormais la police dans un revirement cynique voyant les ancien hors-la-loi vedettes de l’écran se muer en G-Men comme James Cagney dans Les Hors-la-loi (1934) de William Keighley. Les Anges aux figures sales va relancer la mouvance du film de gangsters en se parant de précautions morales qui le rendront plus acceptable aux yeux de la censure.  Le scénario de Rowland Brown (auteur de belles réussites du genre comme The Doorway to Hell (1930) d’Archie Mayo) va capturer l’attention de James Cagney, désormais sous contrat avec la compagnie indépendante Grand National Pictures (où il touche un pourcentage sur les recettes) après un énième départ de la Warner pour brouilles financières. Suite à quelques échecs au box-office, Cagney comprend que la Warner est bien sûr la plus apte à produire le film dans les meilleures conditions et moyennant une substantielle augmentation il retourne dans le giron du studio.

Les Anges aux figures sales tout en maintenant la férocité et des productions du début de décennies 30 inclut donc une dimension morale, rédemptrice et punitive pour le gangster. Le scénario brillant n’en fait pas une contrainte mais bel et bien l’enjeu du film, sans aucune lourdeur. La destinée joue d’emblée son rôle lorsque les jeune Rocky Sullivan (James Cagney) et Jerry Connolly (Pat O'Brien) suite à un larcin voir leur chemin prendre des directions très différentes. Jerry ayant de justesse échappé à la police s’en repend pour endosser la carrière de prêtre tandis que Rocky arrêté est perverti par les séjours en maison de correction puis prison pour devenir un gangster chevronné. Sorti d’une énième peine, Rocky retourne dans le quartier de son enfance où il va être déchiré entre cet attachement et un royaume à reprendre à son ancien complice Frazier (Humphrey Bogart). James Cagney est ici loin des brutes psychotiques de L’Ennemi Public ou plus tard L’Enfer est à lui (1949) et campe un personnage attachant mais incapable de renoncer à ses instincts criminels. 

Cela passe par l’amitié profonde le liant à Jerry mais aussi le modèle ambigu qu’il va représenter pour un groupe de jeunes délinquants - joués par le groupe d’enfants acteurs Dead End Kids révélés par le Dead End (1937) de William Wyler. La gloire du malfrat rend les adolescents admiratifs, celui-ci ancien enfant des rues sachant comment les prendre et les rudoyer pour marcher droit - dans une veine proche du Bataillon des sans-amours (1933) d'Archie Mayo. La partie de basket où à force d’invectives, coups de pieds aux fesses et gifles, il les contraint à jouer dans les règles en offre une illustration pleine d’énergie. Michael Curtiz par sa mise en scène exprime superbement la façon dont cette vie urbaine misérable semble amenée à répéter inlassablement la corruption de la jeunesse, un même panoramique arpentant le grouillement de ce quartier de Hell’s Kitchen étant repris dans les deux époques. Rocky est la clé pour interrompre ce cycle sans fin mais pris dans ses affaires il va entraîner ses jeunes acolytes sur le même chemin tragique. Les gamins avaient au départ malgré leur larcin gardé une certaine innocence qui se dilue progressivement au contact de Rocky. Le clou est atteint lorsque après une distribution d’argent facile par Rocky, Jerry les retrouve ces anges désormais aux figures sales arrogant et poseurs pariant dans un bar enfumé. Le sacerdoce de Jerry sera ainsi de sauver ces jeunes âmes en perdition, quitte à s’aliéner l’amitié de Rocky.

Le récit se partage donc entre ces préoccupations humanistes et un vrai film de gangster bien nerveux. Michael Curtiz orchestre avec son brio habituel de sacrés moments d’actions, que ce soit un guet-apens au découpage époustouflant ou un spectaculaire gunfight final. La finesse du script n’adoucit jamais artificiellement le personnage de Rocky, malfrat impitoyable (voir le final où il abat sans états d’âmes plusieurs policiers) mais pétri de principe et capable de compréhension. Pat O’Brien en prêtre féru de justice est plus uniforme mais solidement campé et on s’amusera de la prestation d’un Humphrey Bogart par encore star et en contre-emploi avec ce gangster couard et embourgeoisé. Malgré une bonne introduction Ann Sheridan semble malheureusement être une caution amoureuse un peu artificielle. 

Quelques années plus tôt certains montages du Scarface de Hawks s’ornaient d’un épilogue grossier humiliant le gangster pour atténuer le panache violent de sa vraie fin. Les Anges aux figures sales reprend cette idée avec plus de talent car cette « morale » est un vrai aboutissement du récit et du cheminement de Rocky. Le vrai courage ne sera plus de jouer les gros bras comme si souvent, mais de se renier volontairement pour sauver d’autres âmes. Curtiz n’ose filmer la « lâcheté » de Rocky qu’en faisant escamotant sa présence à l’écran, le visage fier de James Cagney demeure l’image qu’on a de lui tandis que sa supposée vulnérabilité passe par le son, les inserts sur ses mains crispée et des ombres chinoises. Le héros n’en a finalement que plus de force dans ce sacrifice intime, Curtiz étant brillamment parvenu à équilibrer la morale et la grandeur de son personnage. Une grande réussite.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

mardi 28 juin 2016

L'Avocat du diable - Guilty as Sin, Sidney Lumet (1993)

Une brillante avocate troublée par le charme d'un gigolo manipulateur accusé de meurtre, décide de le défendre malgré les preuves évidentes de sa culpabilité.

Guilty as sin est un Lumet très mineur mais pas désagréable, porté par le scénario d’un Larry Cohen toujours habile à tisser des pitch de thrillers roublards. Lumet y explore un environnement récurrent de sa filmographie, la cour d’un tribunal. Ces lieux et leurs alcôves sont pour le réalisateur vecteur de dilemmes moraux captivants dans des œuvres comme Douze hommes en colère (1957), Le Prince de New York (1981), Le Verdict (1982), Dans l’Ombre de Manhattan (1997) et de comédie humaine hilarante dans le plus tardif Jugez-moi coupable (2006). L’Avocat du diable est bien loin de la richesse thématique de ces films mais fait également du tribunal le cadre d’un affrontement intéressant. La brillante avocate Jennifer Haines (Rebecca De Mornay) y règne en maître, imposant son charme, bagout et autorité comme le montre la scène d’ouverture où elle fait acquitter un homme d’affaire véreux. Les plans d’ensemble de l’héroïne arpentant et dominant la cour, la silhouette séduisante ainsi que l’assurance déterminée qu’elle dégage affirment par l’image son charisme. Il en va de même dans sa vie privée avec une scène sensuelle la montrant après son procès se montrer une amante aussi entreprenante qu’elle ne l’est lors de ses plaidoiries. C’est une femme accomplie dont le vernis va progressivement se fissurer avec la rencontre de David Greenhill (Don Johnson).

Jennifer y voit un défi de plus avec ce gigolo accusé du meurtre de sa femme, mais ce client pas comme les autres va au contraire révéler sa fragilité. Don Johnson déploie dans un premier une bonhomie sympathique avec ce personne d’ineffable séducteur prenant tout à la légère. Cette désinvolture est pourtant un masque dissimulant une volonté de domination sur la gent féminine de pouvoir. Cela semble d’abord purement pécuniaire et motif de comédie avec les richissimes bienfaitrices qu’il soumet à sa volonté (notamment pour payer sa note d’avocat) mais on comprend que ce besoin de domination va plus loin. Il voit en Jennifer une adversaire plus coriace que ces victimes habituelles et va se faire un plaisir de la briser psychologiquement. 

Larry Cohen multiplie les situations ambigües plaçant l’avocate en porte à faux par le seul jeu manipulateur de Greenhill, et Don Johnson est diablement inquiétant avec cet éclat de folie dans le regard sous le brushing et les costumes impeccables. Sidney Lumet traduit ce rapport de force par une mise en scène subtile où Rebecca De Mornay semble de plus en plus écrasée par l’aura maléfique de Don Johnson. Le jeu de séduction initial la place immédiatement en situation de faiblesse alors qu’elle pense dominer. Le premier coup de folie de Don Johnson montre la silhouette de l’acteur en amorce au premier plan, surplombant Rebecca De Mornay pour la première interloquée par l’étrangeté de son client. Plus tard le réalisateur rallongera et rétrécira à sa guise des environnements vastes comme la salle de réunion du cabinet d’avocat où se rencontre les deux personnages. La distance puis le rapprochement, le jeu sur la profondeur de champs et la bascule sur les plans américains se font au gré du dialogue où Don Johnson déstabilise Rebecca De Mornay, faisant d’elle sa proie en finissant la scène tout proche d’elle dans une fausse posture d’amant et une vraie attitude de fauve.

Tout cela reste très intéressant tant que l’on reste dans le duel psychologique et les faux-semblants. Malheureusement quand vient l’heure des révélations le film tombe dans tous les clichés possibles du thriller du samedi soir. Les rebondissements grossiers s’enchaînent, emmenés par un Don Johnson omniscient et démoniaque qui perd grandement de son intérêt. L’argument féministe se perd complètement aussi, Rebecca De Mornay ne renversant pas la tendance en mettant à son tour à profit son intelligence pour se montrer l’égal de son adversaire. A la place on aura une bagarre ridicule qui conclut l’ensemble dans la précipitation brouillonne. C’est bien dommage, d’autant qu’en cette même année Rebecca De Mornay incarnera (dans un registre plus négatif certes) un personnage sacrément retors et charismatique dans le thriller La Main sur le berceau

Sorti en dvd zone 2 français Hollywood Pictures 

dimanche 26 juin 2016

Pink String and Sealing Wax - Robert Hamer (1945)

A Brighton, La femme d'un propriétaire de pub veut se débarrasser de son mari violent. Elle obtient l'aide d'un jeune homme qui travaille dans une pharmacie ...

Robert Hamer avait eu sa première expérience en tant que réalisateur au sein de la Ealing avec Dead of Night (1945), mémorable film à sketch dont il signa Le miroir hanté, l'un des segments les plus terrifiants. Fort de cette réussite, Hamer est prêt à passer au long-métrage avec Pink String and Sealing Wax. Le film adapte la pièce éponyme de Roland Pertwee sur un scénario de Diana Morgan et Robert Hamer. On y retrouve déjà tous les éléments qui feront la réussite des grands films à venir, que ce soit le cadre de l'Angleterre Victorienne de Noblesse Oblige (1949), la veine intimiste de Il pleut toujours le dimanche (1947) et bien sûr les préoccupations sociales qu'on trouvent dans les deux œuvres. La solution criminelle et/ou la résignation des films suivant à ce climat social oppressant trouvent déjà leurs expressions dans Pink String and Sealing Wax.

Edward Sutton (Mervyn Johns) campe ainsi un pharmacien bigot et tyrannique féru de droiture morale qui mène la vie dure à sa famille. Il étouffe les premiers amours épistolaires de son fils David (Gordon Jackson) et empêche les velléités artistiques de sa fille Victoria (Jean Ireland) rêvant d'une carrière à l'opéra. Par son masque impassible, sa raideur et son timbre glacial, Sutton incarne toute la rigueur implacable de cette Angleterre Victorienne où il ne faut surtout pas s'écarter de sa condition. Le film dépeint ainsi la manière dont les protagonistes vont malgré tout chercher à assouvir leurs passions, désirs et ambitions.

Hamer pas encore totalement soumis au cynisme de Noblesse oblige offre encore une certaine tendresse et innocence à l'intrigue sur l'aspirante chanteuse, la candeur de Jean Ireland et le charme simple de son ascension donnant de beaux moments tel cette scène où elle charmera une cantatrice en chantant dans la rue. C'est pourtant quand il plonge dans la fange et la noirceur que le film marque. Le jeune David soigne sa frustration en s'immergeant au sein de la populace d'une taverne et va tomber amoureux de Pearl (Googie Withers) la femme du tenancier. Même si tout reste sous-jacent, on devine bien le mélange douteux de prostituée et d'escrocs en tout genre qui fréquente les lieux, Hamer ne distinguant pas la fange.

Pearl femme adultère et jouée avec un vice séducteur par Googie Withers (qui donne une veine plus noire à la femme au foyer dépressive qu'elle jouera dans Il pleut toujours le dimanche) est aussi peu recommandable que son époux (Garry Marsh) alcoolique qui la bat pour punir ses aventures. La perte des repères moraux, la violence et finalement le crime seront ainsi les seules solutions pour aspirer à autre chose, Hamer tissant une tragédie progressive dans le cadre apaisé et étouffant de Brighton. La photo de Stanley Pavey oscille d'ailleurs entre le chatoiement victorien des scènes de jours où les douleurs sont étouffées et la stylisation sombre des scènes nocturnes laissant les vices s'exprimer.

Les moments de cruautés sont saisissants tant par leur approche inscrite dans le quotidien (Sutton tourmentant ses enfants de versets religieux à réciter) que de violence surprenante (le hors-champs lourd de sens où Googie empoisonne son mari) où se dessine une spirale implacable. Il semble cependant que la rigueur morale du producteur Michael Balcon ait pris le dessus cette fois tant le final semble punir les perdus du récit et offrir une issue inattendue aux opprimés. Le happy-end en forme de dépêche de presse fait preuve de suffisamment de désinvolture pour ne pas faire tiquer, l'ambiguïté et le désespoir des conclusions de Noblesse Oblige et Il pleut toujours le dimanche permettant à Hamer d'exprimer son vrai point de vue par la suite. En dépit de petites longueurs, un galop d'essai prometteur pour ce météore du cinéma anglais que fut Robert Hamer.

Sorti en dvd zone 2 anglais et bluray chez Studiocanal, doté de sous-titres anglais 

Extrait

jeudi 23 juin 2016

Le Dossier Rachel - The Rachel Papers, Damian Harris (1989)

Charles est un pragmatique, dont la logique et la vie amoureuse sont régies par ordinateur. Âgé de 19 ans, il termine le lycée et fait le point avant d'intégrer Oxford, sur ses conquêtes féminines ayant un dossier attitré sur son ordinateur programmé sur une méthode infaillible. Il déploie, avec son copain Geoffrey un luxe de stratégie pour conquérir ses petites amies et gérer ses liaisons avec décor adapté à chacune. C'est simple, chacune d'elles est sur disquette. Il décide alors son aventure la plus exquise, celle avec la belle et énigmatique Rachel, une américaine de la haute société, vivant à Londres...

The Rachel Papers est un beau récit de passage à l'âge adulte qui adapte le premier (et très autobiographique) roman de Martin Amis. On retrouve d'ailleurs de l'ironie et l'humour de l'auteur britannique à travers Charles (Dexter Fletcher), son jeune héros plein d'esprit. Tombé sous le charme de la belle et mystérieuse Rachel (Ione Skye), il va tout mettre en œuvre pour la séduire. Pour ce faire, il a une méthode séduction infaillible rédigée sur son ordinateur où le dossier Rachel trône précédé d’autres conquêtes moins ardues. La voix-off distanciée, la bonne bouille de Dexter Fletcher et la complicité entretenue avec le spectateur (regard face caméra amenant humour et décalage aux situations) confèrent un beau capital sympathique à Charles. La tonalité "british" donne une approche assez différent du teen movie standard, entre car tout le film ne repose pas que sur la réussite de l'entreprise amoureuse.

Ainsi Charles ne tombe jamais dans le cliché du loser puceau tel qu'un teen movie américain aurait pu le dépeindre, ses tentatives de séduction infructueuse amusent par leur ridicule sans non plus le faire tomber plus bas que terre. L'empathie fonctionne donc à plein lorsque Charles est snobé par les amis nantis de Rachel (dont un jeune James Spader en petit ami antipathique), tente tour à tour l'indifférence, l'hyper sensibilité ou la culture pour se montrer à son avantage. S'il ne parait jamais aussi séduisant qu'il le voudrait, c'est précisément cette maladresse et la vulnérabilité qu'elle évoque qui va progressivement émouvoir Rachel. On ressent le poids de la différence de classe dans les éléments qui éloignent Charles et Rachel à travers quelques scènes charmantes (la soirée mondaine chez la mère de Rachel) mais qui peuvent être dépassé à l'image du personnage loufoque de beau-frère incarné ar Jonathan Pryce.

Le plus grand ennemi de cette histoire d'amour ne sera cependant pas le contexte ou les rivaux amoureux, mais Charles lui-même. La candeur de la séduction maladroite cède ainsi à la passion charnelle adolescente étonnamment explicite (par rapport aux prudes teen movie actuel) que Damian Harris illustre en de superbes vignettes. L'abandon n'est pourtant pas total, nombres de gimmick du début du film demeurant et créant une distance. Nous restons dans le monde intérieur de Charles sans complètement plonger dans la romance, le personnage s'observe, se questionne et finalement commente toujours plus qu'il ne vit l'instant. Les schémas alambiqués, le pour et le contre qui guidait la séduction se maintient dans la romance à laquelle il va forcément commencer à trouver des défauts, en éternel insatisfait cynique.

Avec l'usage de l'informatique, cette approche calculée et sans spontanéité, le film anticipe grandement les maux plus modernes des réseaux sociaux (un montage au début amorce même un effet de speed-dating) où il faut cibler, assimiler et se conformer à l'autre, plus une proie potentielle qu'un compagnon amoureux. Ce virage malmène ainsi ce héros si attachant, d'autant que le charme fragile de Ione Skye (héroïne d'un autre teen movie culte la même année, le splendide Un monde pour nous de Cameron Crowe) opère autant en quête insaisissable qu'en amoureuse éperdue.

Les études de Charles qui prépare Oxford semblaient être en arrière-plan mais se révèlent un élément essentiel de l'intrigue lors d'une dernière scène où l'analogie avec le critique littéraire lui fait comprendre son erreur. En ne s'abandonnant pas entièrement aux charmes de l'amour/des classiques littéraire, Charles en devient le commentateur froid et n'y cherche que les défauts en oubliant d'en savourer les délices. La leçon aura été comprise, mais peut-être trop tard comme le laisse croire un beau final mélancolique. Joli film !

Sorti en dvd zone 1 chez MGM et dotés de sous-titres français 

mardi 21 juin 2016

The Neon Demon - Nicolas Winding Refn (2016)

Une jeune fille débarque à Los Angeles. Son rêve est de devenir mannequin. Son ascension fulgurante, sa beauté et sa pureté suscitent jalousies et convoitises. Certaines filles s'inclinent devant elle, d'autres sont prêtes à tout pour lui voler sa beauté.

De la rivalité féminine sur fond de milieu artistique concurrentiel, un argument qui a déjà donné de grands films avec le Eve (1950) de Joseph L. Mankiewicz ou son génial pendant vulgaire Showgirls (1995) de Paul Verhoeven. A chaque fois la forme rejoignait l'imagerie que l'on se faisait du cadre dépeint : verbeuse, romanesque et piquante dans Eve et son milieu du théâtre ; clinquante, tape à l'œil et hypersexuée chez les stripteaseuses de Las Vegas de Showgirls. Nicolas Winding Refn ne procède pas autrement avec ses tops model ambitieux de LA avec un visuel inventif, sophistiqué et papier glacé dont la froideur et la distance renvoie aux couvertures de magazine de mode à la Helmut Newton.

La plongée de l'oie blanche Jesse (Elle Fanning fascinante) dans cet univers fascine dans un premier temps, distillant malaise et mystère à travers avec quelques scènes somptueuses :   l’ouverture figeant une image macabre dans un magistral travelling arrière, une séance photo aussi voyeuriste que clinique avec son arrière-plan immaculé, l’apparition nocturne d’un cougar dans le motel... Le sommet est atteint avec l'extraordinaire scène de premier défilé de Jesse où tout le narcissisme naissant du personnage passe par l'expérimentation formelle, tout en couleurs,  lumières baroque et jeu de miroir. Malheureusement l’intérêt du film s’estompe à ce moment précis et on constatera qu'à part cette recherche plastique Refn n'a absolument rien à dire, ou en tout cas rien de neuf. La métaphore rivalité/cannibalisme/vampirisme est bien balourde et déjà vue, les éléments plus originaux (la dimension plus occulte du personnage de Jenna Malone) n’étant là que pour servir de la belle image lorgnant sur les court-métrages de Kenneth Anger sans le côté original et/ou outrageant. 

La dernière partie n'est plus qu'un océan de vacuité où le brio formel ne fait plus illusion sur l'aspect totalement creux de la chose. On ressentait déjà un peu cela dans Drive (là aussi passé la bagarre dans l'ascenseur le film n'avait plus rien à dire) ou Only God Forgive, et Refn s'est sans doute cru malin et à propos en servant ce vide au milieu superficiel de la mode mais il tombe dans ce qu'il semble vouloir dénoncer. Les rares bonnes idées (Jesse se montrant la plus vénéneuse précisément au moment où elle va se perdre) ne sauvent pas l'ensemble et le générique clippesque trahi définitivement le manque de substance de l'ensemble. L'émotion existait sous la férocité du trait de Eve et Showgirls, elle se dilue dans le trip son et lumière de Refn. 

En salle 

dimanche 19 juin 2016

Génération sacrifiée - Dead Presidents, Albert et Allen Hughes (1995)

1968 : Anthony Curtis, un jeune noir de 18 ans, décide de retarder son entrée au collège pour s'engager dans les Marines. Après quatre ans passés au Vietnam, marqué par les atrocités de la guerre, il a beaucoup changé...

Les frères Hughes poursuivent dans Dead Presidents les préoccupations sociales de Menace II Society (1993), tonitruant premier film sur les ghettos de Watts -marqué par l'affaire Rodney King - et qui fit sensation à sa sortie. Dead Presidents se tourne vers le passé pour un même constat désespéré sur l’horizon des communautés noires aux Etats-Unis. Pour ce faire les Hughes empruntent la construction du Voyage au bout de l’enfer (1978) et American Graffiti (1973), passant du Bronx à la Guerre du Vietnam puis à un retour au pays sans espoir. Anthony Curtis (Larenz Tate) avec ses amis Skip (Chris Tucker remarquable et à la tchatche as encore insupportable) et José (Freddy Rodriguez) terminent leurs années de lycée sans savoir quel avenir choisir. Anthony rêve d’un ailleurs que le ghetto où les études qui ne l’attirent guère ne peuvent lui offrir. Ce besoin d’évasion, il va le chercher dans ce que la plupart des jeunes de son âge cherchent à éviter, l’engagement dans la Guerre du Vietnam. Sans tomber dans le paradis perdu qu’illustre le prologue de Voyage au bout de l’enfer, la première partie du film témoigne d’une candeur et innocence dans le ton et l’image. 

La photo de Lisa Rinzler arbore des teintes nostalgiques sur fond de soul 60’s enjouée lorsque l’on voit Curtis traverser les rues du Bronx où tout le monde se connaît et se salue. La violence et le déterminisme social s’inscrivent en toile de fond (les virées avec le mentor joué par Keith David) sans atténuer cette insouciance, entre échanges potaches et premiers amours avec la belle Juanita (Rose Jackson). Cette tonalité détache Curtis de la réalité politique d’alors, il est en attente d’exaltation et d’aventures sans tenir compte de la nature du conflit où des messages qui le fustigent déjà – le leitmotiv d’un Mohamed Ali affirmant qu’il n’irait pas tuer des vietnamien qui ne lui ont rien fait revient à travers d’autres personnages dans une dimension plus communautariste que pacifiste. La transition vers le Vietnam se fait dans une scène remarquable signe d’une bascule du bonheur simple au chaos. Sortant de chez Juanita en panique après leur première nuit – sa mère étant rentrée plus tôt -, Curtis enjambe à toute allure les pâtés de maison tandis que la caméra le suit en travelling, le mouvement de sa course se poursuit tandis que le décor change pour laisser place à une jungle sous le feu des tirs ennemis.

La photo désature les couleurs de ce champ de guerre comme dans un cauchemar halluciné et les Hughes larde l’ensemble d’éclairs de violence insoutenable. Curtis survit en devenant un combattant hors-air et glacial mais voit la folie s’étendre autour de lui, Skip sombre dans la drogue pour tenir le coup quand d’autre se laissent aller à leurs penchant barbare comme Cléon (Bokeem Woodbine) traînant une tête pourrissante de Viêt-Cong dans son barda. Curtis se sera pourtant senti investi, compétent et promu officier, loin du noir anonyme perdu parmi tant d’autres au ghetto. Le retour n’en sera que plus rude, le déterminisme social s’ajoutant au mépris et désarroi rencontré par les vétérans du Vietnam. Ce retour semble encore plus ardu en tant que jeune noir et les Hughes capturent une vérité issue du livre Bloods: An Oral History of the Vietnam War by Black Veterans de Wallace Terry. Le livre transpose l’expérience tragique du vétéran noir Haywood T. Kirkland et sans faire une adaptation littérale les Hughes reprennent de nombreux éléments et personnages du livre. Tout vire à une réalité tragique dans ces retrouvailles avec le Bronx. 

Le futur ne s’annonce plus seulement monotone mais sinistre avec le chômage et les responsabilités familiales écrasantes. Pour surmonter la misère, l’injustice et le traumatisme du front, seule la radicalité sera une réponse viable. Par les drogues pour Skip devenus junkie, par l’extrémisme politique pour la jeune Delilah (N'Bushe Wright). Une nouvelle fois le changement d’époque passera par la photo désormais sombre et métallique à l’image de cette environnement urbain autrefois chaleureux, désormais oppressant. La déchéance morale, sociale et physique de Curtis l’amène donc avec ses camarades à un hold-up désespéré dont le déroulement catalyse toutes leurs frustrations dans une construction magistrale. La rue est un autre terrain de guerre, insidieux et dangereux formant un parallèle avec la jungle vietnamienne – et où les rôles s’inversent avec la belle idée narrative de Cléon désormais tétanisé tandis que Skip est dans son élément.

La bande son aussi contribue grandement à ce changement d’époque, avec un usage fabuleux du Walk on by d’Isaac Hayes (le titre fut d’ailleurs réédité à l’occasion de la sortie du film) dont la mélancolie étirée dessine la fatalité du destin de Curtis. Le générique de début montrait des billets brûlés tout exposant les images de présidents qui les ornait disparaitre dans les flammes. La quête, l’inaccessibilité et l’illusion du rêve américain pour ces noirs se révélaient par cette seule séquence dont les Hughes concrétisent la métaphore tout au long du film. La chute de Curtis, qui n’aura jamais eu sa chance, est complète. Les gangstas nihilistes de Menace II Society sont en quelque sorte ces enfants, l’espoir initial en moins et la violence exacerbée en plus.

Sorti en dvd zone 2 français chez Hollywood Pictures 

 

samedi 18 juin 2016

L'Ange pourpre - The Angel Wore Red, Nunnally Johnson (1960)

Pendant la guerre civile espagnole, Soledad, une entraîneuse de cabaret, et Arturo Carrera, un prêtre, à qui la vie a retiré la foi en toute valeur, vont se rencontrer et vivre un amour sur fond d'aventures.

L'Ange pourpre vient poursuivre l'histoire d'amour personnelle et cinématographique qu'Ava Gardner entretient avec l'Espagne puisque succédant à Pandora (1951) d'Albert Lewin, La Comtesse aux pieds nus (1954) de Mankiewicz, Le Soleil se lève aussi d'Henry King et La Maja nue d'Henry Koster (1958). C'est le film qui libérera l'actrice de son contraignant contrat à la MGM et semble aussi constituer un véhicule destiné à imposer Dirk Bogarde en jeune premier hollywoodien - étiquette qu'il endosse déjà au sein du cinéma anglais. Ce sera la dernière réalisation du célèbre scénariste et producteur Nunnally Johnson qui adapte ici le roman The Fair Bride de Bruce Marshall. L'histoire nous plonge en pleine Guerre d'Espagne dans un ensemble où se disputent le romanesque, les conflits moraux et une vision intéressante du conflit.

Le film s'ouvre sur la crise de foi du père Arturo Carrera (Dirk Bogarde) qui ne se reconnaît dans cette église inquisitrice et à la solde du pouvoir alors que le peuple demande réconfort et bienveillance dans un pays à feu et à sang. Il quitte donc ses habits de prêtre et retourne à la vie civile, le temps de rencontrer et rassurer lors d'un bombardement la belle Soledad (Ava Gardner) terrifiée. La romance qui va s'initier entre eux participe au questionnement d'Arturo, partagé entre ses sentiments et sa vocation à laquelle la détresse du peuple semble le rappeler. La première scène d'amour avortée est symptomatique. L'église est saccagée et les prêtres assassinés par une foule en furie, faisant d'Arturo un fugitif. Caché par Soledad, celle-ci s'offre à lui sans qu'il cède. Par sa profession d'entraîneuse de cabaret, Soledad y voit un mépris alors qu'Arturo est ambigu dans son refus, autant pour ne pas l'impliquer en cas d'arrestation que dans un mouvement de recul quant à son sacerdoce qu'il n'a pas totalement abandonné.

Ava Gardner dont le visage commençait à être un peu plus marqué par les excès alcoolisés divers (transformation déjà sensible Le Dernier Rivage de Stanley Kramer tourné l'année précédente) est très touchante par ce mélange de vécu et de candeur qu'elle dégage. L'excitation de la jeune fille amoureuse précède la déception de la femme bafouée lorsqu'elle entraîne Arturo dans sa chambre et Nunnally Johnson par son sens du détail (le bref insert où elle cache une photo d'elle en danseuse) et sa mise en scène fait bien passer ce sentiment. Le plan d'ensemble avec le visage vexé et honteux de Soledad plongé dans l'ombre à l'avant plan et Arturo à l'arrière exprime parfaitement les émotions confus et contradictoire qu'éprouvent les personnages. A travers leur romance, ils effectuent des parcours inversés : Arturo éprouve enfin une existence d'homme pour mieux retrouver l'habit et Soledad s'absout de son existence scandaleuse en devenant presque une sainte par la tournure tragique des évènements.

Le scénario intègre bien le contexte politique à la romance. Arturo va s'engager auprès des Républicains pour pouvoir même sans le statut ecclésiastique écouter et aider la population. Les politiques le manipule pourtant afin de mettre la main sur la relique de Saint Jean cachée par l'église mais dont la vision pour galvaniser les troupes avant l'ultime combat. Cet objet sacré s'opposera donc à celui amoureux et charnel que représente Soledad, le divin et la collectivité contre l'intime. C'est un déchirement qui se jouera jusque dans les dernières minutes du film où les personnages sont poussés dans leurs retranchements. Arturo pétrifié face aux massacres et mauvais traitement sait qu'il est le seul à même d'apaiser les âmes avant la fin, et Soledad voit son amant lui échapper. Là encore le regard désappointé d'Ava Gardner fait merveille, le seul amour qu’elle n’ait jamais ressenti lui étant arraché pour un autre plus spirituel.

Ce refuge du divin dans le chaos, Johnson le développe bien aussi dans la hargne d'un capitaine (Enrico Maria Salerno) adepte de la torture à retrouver la relique, y voyant tout autant un instrument de manipulation qu'un réel talisman. A l'inverse Vittorio De Sica dans un petit rôle de général incarne tout le pragmatisme, le cynisme et la lucidité des guerres modernes. Visuellement Johnson reconstitue superbement ce village espagnol en ruine à travers les décors impressionnants de Piero Filippone mais aussi la photo de Giuseppe Rotunno (collaborateur régulier de Visconti, Fellini ou Monicelli) qui imprègne l'ensemble d'un climat poétique et oppressant à la fois. Ce romanesque côtoie une vraie cruauté où massacre, torture et exécution sommaire ne nous sont pas épargnées et le personnage de simili Ernest Hemingway joué par Joseph Cotten apporte une certaine hauteur mêlée d'émotion à l'ensemble. Une œuvre intéressante et rare donc.

 Sorti en dvd all zone chez Warner dans la collection Warner Archives et sans sous-titres