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lundi 19 septembre 2016

Stardust Memories - Woody Allen (1980)

Cinéaste reconnu et admiré, Sandy Bates traverse une véritable crise existentielle. Lassé de n'être considéré que pour son humour, il ne supporte plus les exigences de ses admiratrices et les critiques de l'intelligentsia new-yorkaise. Il profite d'un festival organisant une rétrospective de son œuvre pour faire le point sur sa vie de créateur et ses relations amoureuses.

Woody Allen signe une de ses œuvres les plus personnelles et complexes avec Stardust Memories. Bien qu’il s’en soit largement défendu, les questionnements du film correspondent grandement à ceux qu’on imagine ayant agité l’artiste lors de sa mue à partir de Annie Hall (1977) où il passa d’amuseur potache à peintre angoissé des tourments amoureux et existentiels. Ce besoin de dépasser le simple statut de comique se ressentirait avec plus de force encore avec Intérieurs (1978), drame pesant, psychanalytique et première manifestation de sa veine Bergmanienne. Cette possible schizophrénie entre sa facette comique et ses aspirations plus vaste, Woody Allen l’exprime donc à travers son héros Sandy Bates qui traverse cette crise.

Sandy s’oppose à ces producteurs quant à la finalité de son prochain film, sa nature intellectuelle et complexe ne répondant pas à leurs attentes de grosse comédie. Woody Allen semble s’inspirer du Fellini de Huit et demi (1963) avec une image en noir et blanc ainsi qu’une narration flottante, voguant entre les souvenirs, extraits de films et rêveries de Sandy. Le début du film est déroutant avant que l’on adopte le dispositif, chaque bascule constituant une atmosphère et un genre en soi. La réalité semble d’abord plus clinique et dépouillée à travers l’appartement tout de blanc et espacé de Sandy, reflétant son vide émotionnel et créatif. Lorsque notre héros se rend à un festival lui rendant hommage, le maelstrom d’image se fait encore plus confus. 

On adopte notamment le point de vue de Sandy et ainsi les affres de la célébrité où l’environnement est une agression permanente. Même si Allen tire cela vers l’humour grotesque, les nuées de visages harcelant en permanence Sandy pour les sollicitations les plus diverses, farfelues ou intéressées ajoutent à l’angoisse du personnage. Le réalisateur alterne les idées visuelles et narratives pour exprimer ce sentiment : vue subjective en légère contre-plongée traduisant une certaine claustrophobie, à l’inverse Sandy seul à l’image avec un cadre constamment envahit par la silhouette d’un admirateur sollicitant un autographe et globalement une sensation de solitude impossible où chaque regard, traversée de décor et tentative de discussion « normale » se voit altérée par une notoriété indélébile.

La fuite dans le rêve n’est pas une échappatoire mais un rappel des névroses diverses qui agitent Sandy. Woody Allen cède à l’absurde psychanalytique en explorant l’imaginaire de Sandy dans les extraits de ses films, comme celui mémorable où sa haine devenue autonome s’échappe de son subconscient pour décimer son entourage. L’ombre de Fellini plane à nouveau dans la théâtralité grotesque de certains personnages filmés en gros plans agressif et inquiétants, dans le refuge vers l’enfance à travers certaines séquences de music-hall où Sandy se remémore son attrait pour les spectacles de magie. Ce n’est pas la première fois que Woody Allen use d’artifices visuels détonants pour traduire les états d’âmes de ses personnages (se souvenir entre autre de la séquence en dessin animé de Annie Hall) mais il finissait toujours par nous ramener au réel.

Cette fois la confusion est permanente, l’anxiété se traduisant de façon toujours différente quel que soit le degré de réalité et de perception. La famille, les amis et les rencontres de Sandy rivalisent d’excentricités, symboles de sa perte de pied avec le réel à la fois concrète et délirante. La photo de Gordon Willis baigne l’ensemble dans un onirisme oppressant autant, dans les jeux d’ombres stylisés que la pâleur immaculée et maladive. Sandy n’est plus maître de rien et vogue au gré des évènements et des méandres tortueux de son esprit où tout est possible, y compris une rencontre désopilante avec des extraterrestres.

Le fil rouge de ce maelstrom de lieux, de pensées et divagation se révèlera cependant à travers les amours contrariées de Sandy. Il n’a jamais vraiment oublié la romance avortée avec la jeune, élégante et si torturée Dorrie (Charlotte Rampling) dont le mal de vivre empêchera toute relation durable. D’un autre côté la stabilité possible avec son amante Isobel (Marie-Christine Barrault) qui a quitté son époux annonce une vie de famille effrayante pour cet éternel immature. Mal dans son corps et sa tête, Dorrie est d’une inconsistance usante mais d’un charme vénéneux dans cette dimension tragique, Isobel par sa normalité apaisante tranquillise mais ôte toute flamme au quotidien en plus d’exiger de nouvelles responsabilités avec ses enfants. 

Ce triangle amoureux entre l’amante mature et complice et la plus jeune et fougueuse était déjà présent dans Manhattan (1979) et cette hésitation se retrouvera par la suite de manière plus poétique dans l'insatisfaction du héros de Minuit à Paris (2011). La très vulnérable et charmante Daisy (Jessica Harper) appelle à ce goût des amours complexes et Woody Allen orchestre de charmantes scènes intimiste avec elle, les seules où le tumulte s’arrête pour un partage de névroses communes touchant. Le réalisateur ne se montre jamais manichéen dans sa vision de ces trois romances, celle passée douloureuse mais si intense avec Dorrie, présente et compréhensive pour Isobel, possible future et aussi chargée de promesses que de heurts avec Daisy.

L’accomplissement artistique ne pourra se faire qu’avec l’équilibre du cœur semble-nous dire Woody Allen - l'homme étant autant interrogé que l'artiste, ce ne sont pas comme il le dit les souffrances du monde mais bien les siennes qui empêche Sandy de refaire des comédies -, une conclusion astucieuse résolvant l’ensemble tout en créant la distance nécessaire par une belle mise en abyme. Un des meilleurs films du réalisateur même s’il sera incompris à sa sortie – sans doute à cause du rapprochement personnel inévitable que l’on fera de la trame.

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM 

7 commentaires:

  1. Quand je l'ai revu récemment, j'ai réalisé - à ma grande confusion - que lors de sa sortie en salles, je n'y avais littéralement rien compris, ayant eu du mal à faire le tri entre les séquences qui appartiennent au présent de Sandy Bates, à ses souvenirs, aux films qu'il a tournés et à celui qu'il a en projet... et, pire: étant passé à côté du caractère central de la relation de Sandy avec Dorrie, en qui je n'avais vu qu'une figure caricaturale parmi d'autres, au milieu d'une galerie de personnages bouffons dans laquelle on se perdait. Il est vrai que c'était il y a trente-cinq ans, et je suppose que je devais être plus jeune alors. Il a fallu ce nouveau visionnage (qui a été suivi de plusieurs autres: cette fois, j'étais accroché!) pour que je le range, comme il se doit, parmi les meilleurs Woody Allen.

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    1. C'est vrai que le film pouvait surprendre à l'époque et ce mode de narration alambiqué était sans doute assez inédit dans le cinéma grand public américain (de tête je vois le Catch 22 de Mike Nichols ou Abattoir 5 de George Roy Hill qui opèrent par une même narration flottante avant le Woody Allen) alors que c'était plus courant en Europe avec Alain Resnais, Fellini justement ou un Nicolas Roeg.

      Et c'est drôle comme certains éléments frappent après l'actualité de moeurs mouvementé d'Allen par la suite, je pense à ce passage où Charlotte Rampling névrosée l'accuse de regarder d'un peu trop près sa cousine de 14 ans.

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    2. Pour autant qu'il m'en souvienne, le film à sa sortie avait été reçu, tant par la critique que par le public, comme une simple tentative de Woody Allen - et encore, une tentative seulement moyennement réussie! - pour renouer avec la comédie, après ses premiers films "sérieux". Sans doute la dimension autobiographique, il est vrai moins clairement affirmée que pour Annie Hall, n'avait-elle pas sauté aux yeux de tout le monde; et surtout, sans doute l'éducation de notre regard de spectateurs avait-elle encore besoin d'être affinée!

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  2. Hello Justin. Personnellement, je n'aime pas trop ce Woody Allen, que je trouve un peu inégal et complaisant. Surtout, l'influence du Huit et demi de Fellini y est marquée et quand on compare les deux films, il n'y a pas photo : Fellini l'emporte haut la main.
    Strum

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    1. Salut Strum. Bizarrement ça m'a moins gêné que l'imagerie Bergmanienne forcée de "Intérieurs" par exemple, là même si l'ombre de Fellini plane je trouve que Woody Allen parvient quand même à apposer sa touche loufoque.

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  3. Malgré l'ombre de Bergman, je trouve qu'Intérieurs tient la route en tant que film autonome et finit par émouvoir (en tout cas m'avait touché) - d'ailleurs, plusieurs des idées d'Intérieurs (les monologues, l'action en huis clos) ont été reprises par Woody dans d'autres films (Maris et femmes, September...) ce qui prouve que Woody a pu faire sien plusieurs traits caractéristiques du film. Dans Stardust Memories, au contraire, la copie des idées de Huit et demi de Fellini est tellement prononcée (jusqu'à inclure la scène du train que Fellini avait filmé mais qu'il n'avait finalement pas monté dans son film), qu'il s'agit pour moi d'un film-hommage qui a du mal à exister indépendamment de son modèle et donne surtout envie de revoir Huit et demi.
    Strum

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  4. Après malgré le bémol sur Intérieurs j'aime quand même beaucoup le film (vraiment bouleversant dans sa dernière partie) mais je trouve qu'Allen sera plus subtil dans ses oeuves Bergmanienne suivantes. Pour Stardust Memories malgré les emprunts je trouve aussi que l'émotion fonctionne quand même, les thèmes abordés s'inscrivent aussi complètement dans l'oeuvre et la vie personnelle de Woody Allen. Tout ce qui a trait à la relation amour/haine avec Charlotte Rampling est très intense.

    Après je n'ai pas revu Huit et demi depuis des lustres (j'ai le bluray qui traîne)donc je vais me rafraîchir la mémoire aussi même si j'avoue que Fellini est un cinéastes qui me touche moins que Woody Allen dans l'ensemble.

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