Pages

vendredi 28 octobre 2016

Les Caprices de Marie - Philippe de Broca (1970)

Marie, la ravissante fille de Léopold Panneton, patron du café et maire du village, doit se présenter à un concours de beauté local. Son père ne veut rien entendre. Sa mère, soutenue par d'autres habitants d'Angevine, prend sa défense. Marie hésite au moment de partir car elle aime Gabriel, l'instituteur, un garçon timide qui n'ose pas se déclarer. Elle est élue «Reine de la Mer», dans un petit port normand. Au même moment, un milliardaire installé sur son yacht apprend que sa quatrième femme l'a quitté et se met sur le champ en quête d'une nouvelle fiancée...

Les Caprices de Marie poursuit l'illustration truculente de la France rurale abordée par de Broca dans son trépidant Le Diable par la queue (1968). Dans ce dernier la ville s'invitait à la campagne avec le malfrat incarné par Yves Montand bientôt gagné par le charme rural et l'excentricité des autochtones. Les Caprices de Marie inverse le postulat avec la ravissante Marie (Marthe Keller) rêvant de quitter le village et d'explorer le monde, l'occasion se présentant peut être en participant à un concours de beauté local. De Broca va d'abord nous enchanter avec la langueur de cette vie où chaque plaisir du quotidien (une partie de pêche, un verre au soleil...) se fait au rythme des pérégrinations de Marie dont tous les villageois masculins sont amoureux. On s'amuse des personnalités hautes en couleurs, du père aux penchants gauchistes incarné par Jean-Pierre Marielle, François Périer en chef d'orchestre lunaire, Fernand Gravey en militaire retraité. La truculence des acteurs rend les personnages très attachant et donne un penchant plus naïf que libidineux à leur attachement pour Marie dont la jeunesse et la beauté avive leur tendresse plutôt que leurs sens.

Il n'y a que le seul célibataire du village, l'instituteur Gabriel (Philippe Noiret) qui semble résister aux charmes de Marie, où du moins ne pas l'afficher alors que c'est finalement celui dont l'attention compte le plus pour la jeune femme. La photo ensoleillée de Jean Penzer magnifie le superbe environnement rural dont en lui conférant une certaine facticité dans le choix des couleurs vives ornant l'architecture des demeures et créant ainsi un effet "maison de poupée". Philippe de Broca use de belles idées formelles pour signifier l'attirance des personnages, notamment cette magnifique scène où l'orchestre disparait pour ne plus laisser voir que Gabriel et son violoncelle aux yeux aimant de Marie lors du concert nocturne dans le kiosque du village.

Marthe Keller déjà si charmante dans Le Diable par la queue (premier film avec de Broca dont elle tombera amoureuse) allie ici séduction, désinvolture craquante et inconséquence féminine attachante. Philippe Noiret incarne un personnage au croisement de ses interprétations de La Vie de Château (1965, Jean-Paul Rappeneau) et Alexandre le bienheureux (1967, Yves Robert), tout en mollesse paisible imprégné de ce cadre campagnard. Seulement si Rappeneau force l'endormi à se démener et Yves Robert à se complaire dans sa paresse, Philippe de Broca reste dans l'entre-deux où l'on sent bien Gabriel amoureux, empoté mais aussi résigné face aux rêve d'ailleurs de marie qu'il ne veut pas contredire. Chez de Broca c'est toujours au rêveur de faire le chemin vers ceux qu'il aime (Les Jeux de l'amour et Le Farceur notamment) ou au contraire choisir de se perdre dans sa fantaisie perpétuelle (L'Amant de cinq jours (1961), Le Roi de cœur (1968), Un monsieur de compagnie (1964)...).

Le rythme du film avance ainsi en trois temps. D'abord celui du milliardaire américain Mac Power (Bert Convy), éreintant et tapageur. Il ne voit au départ en Marie qu'un objet destiné à en remplacer un autre (une nouvelle épouse destinée à éteindre les feux de la presse sur un ex volage) avant d'en tomber sincèrement amoureux en croisant enfin une femme non vénale qui lui résiste. Mac Power est un pendant des personnages extravagants incarnés par Jean-Pierre Cassel chez de Broca, le charme à la française étant remplacé par un sens du spectacle "à l'américaine" où il déploie son immense fortune pour impressionner et séduire Marie. Le deuxième temps est celui de Marie, charmée d'avoir enfin un prétendant aussi spectaculairement entreprenant mais l'héroïne sera constamment en attente, même dans l'imminence d'une cérémonie de mariage toujours retardée, espérant que Gabriel osera franchir le pas. C'est ce dernier qui donne le troisième temps, à la traîne au propre (la catastrophique course de vélo) comme au figuré quand il rate toute les occasions de se déclarer à Marie, le rythme propre à de Broca semblant toujours trop rapide pour la placidité du personnage.

On s'amuse beaucoup du choc des cultures, notamment un Marielle plus fier et franchouillard que jamais qui résiste tant bien que mal à l'outrance de Mac Power. L'erreur de ce dernier sera de vouloir par ses moyens s'approprier Marie et son environnement, source d'une folle comme seul de Broca est capable avec la rencontre physique entre le village français et l'urbanité new yorkaise. Les soirées mondaines, les boites de nuit hippie et les salles de boxe bruyante ne peuvent rivaliser avec les tranches de vie réjouissantes du début de film. De Broca reprend cependant le leitmotiv des deux films jumeaux que sont Le Roi de Cœur et Le Diable par la queue, le charme des excentriques finissant par opérer ici avec notre américain cessant soudain de s'agiter pour comprendre la vraie place de celle qu'il désire.

C'est au rêveur de prendre conscience et choisir, de Broca parvenant à délester "l'étranger" de son caractère caricatural (l'américain parlant fort, achetant tout et se croyant partout chez lui) pour le rendre plus attachant lors du beau final où Marie dépasse également ses aspirations superficielles. La principale qualité mais aussi le seul vrai défaut du film repose sur son rythme effréné (une ellipse en hélicoptère nous emmène du village à New York en un clin d'œil) inscrit les élans des personnages dans le mouvement perpétuel sans lourdeur psychologique mais qui empêche aussi de s'installer la mélancolie suspendue qui fait toute la force émotionnelle des grands films de de Broca. Cela n'en reste pas moins un opus enlevé, très original et injustement méconnu dans la filmographie du réalisateur.

 Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Gaumont

jeudi 27 octobre 2016

Maciste en enfer - Maciste all’inferno, Riccardo Freda (1962)


Loch Lake est un village écossais où, vers le milieu du XVIIe siècle, le juge Parris a condamné au bûcher Martha Gunt, vieille sorcière qu’il avait désirée en vain lorsqu’elle était jeune et belle. En mourant, la magicienne maudit le juge et tous ses descendants, ainsi que tous ceux qui ont assisté à son supplice. Un siècle environ s’est écoulé; très loin de Loch Lake, une jeune femme nommée Martha Gunt décide d’acheter le château qui domine le village maudit, pour y passer sa lune de miel. Inévitablement, lorsque la jeune Martha arrive à Loch Lake, les plus exaltés croient à une réincarnation de la sorcière. Arrachée par la populace des bras de son époux, elle est conduite au bûcher. C’est ici qu’intervient Maciste, un berger fort et généreux, qui sauve la jeune femme de la mort, mais non de la justice.

Durant son âge d’or des années 50,60 et 70, le cinéma bis italien su toujours s’approprier des grands genres (western, péplum, film gothique, polar) pour leur donner une touche latine, déviante et inventive qui les différenciait de leur équivalent italien. Lorsque l’exploitation de ces genres arrivait en bout de course commercialement comme artistiquement, cela pouvait donner des œuvres allant de la pantalonnade franchement ridicule au mélange le plus inattendu et inventif. Au sein du péplum certains films de la saga Hercule donnèrent ainsi d’inoubliables ovnis. Hercule contre les vampires (1961) croise ainsi le péplum et le film d’épouvante avec notre musculeux de l’Olympe affrontant Christopher Lee en personne (certes pas dans le rôle de Dracula mais l’association était volontaire) dans une véritable orgie formelle par un Mario Bava expert pour tirer n’importe quel matériau vers le gothique (la ressortie cet été de La Planète des Vampires où il invente la SF d’épouvante avant son descendant Alien l’a encore prouvé. 

Mieux encore, Hercule à la Conquête de l’Atlantide (1961) est un spectacle stupéfiant où cette fois le péplum rencontre la SF dans un récit croisant rien moins que L’Atlantide de Pierre Benoit, la parabole sur le nazisme et la fantasy. Si la saga des Hercule donna de grandes réussites tant dans le classicisme que dans les déviances précitées, la série de films consacrés à Maciste, l’autre surhomme du péplum italien, donnèrent le plus souvent des nanars oubliable. Néanmoins la curiosité domine avant de découvrir ce Maciste en enfer et son concept aussi génial qu’aberrant.

Cela débute comme un pur récit gothique fantastique façon Le Masque du Démon (1960, Mario Bava) sur la malédiction lancée par une sorcière avant d’être immolée sur le bûcher. Un siècle plus tard sa descendante et homonyme Martha Gunt (Vira Silenti) s’apprête à subir le même sort face à des villageois haineux et arriérés voyant en elle une réincarnation maléfique. Riccardo déploie un décorum stylisé et une atmosphère oppressante dans ce village écossais reculé avant de basculer dans le grotesque le plus total lorsque Maciste qui surgit pour en plein 17e siècle pour sauver la jeune femme en détresse. Aucun semblant d’explication pour justifier sa présence alors qu’il arbore toujours son look péplum, torse nu musclé et uniquement vêtu d’un pagne.

Hercule contre les vampires était un peu plus cohérent dans son mélange des genres, mais surtout beaucoup plus impressionnant et prenant. A aucun moment on ne se sent oppressé ici comme dans le film de Bava. L'inventivité de certaines épreuve de Maciste dans les enfers sauve un peu par leurs caractère bien outrancier, surtout que Freda sait parfaitement mettre le tout en valeur en dépit d’un budget qu’on devine minime (mais là aussi Bava avait réussi en faire quelques chose de mieux avec les même contraintes), aidé par les éclairages baroques de Riccardo Pallotini.

Parmi les meilleurs moments, Maciste traversant un décor infernal peuplé de figurants subissant moult supplices, le passage d'un immense portail en flamme et surtout Maciste résistant à lui seul à la charge d'un troupeau de vache. Mais ces instants sont trop épars et on s'ennuie ferme la plupart du temps. Il faut dire que Kirk Morris (qui décoche son 1er mot au bout de 40 minutes de film et qui n'en dira guère plus) n'aide pas à l'implication, aussi expressif qu’un parpaing – là où un Steve Reeves ou Reg Park imposait un charisme ou une certaine bonhomie sous les muscles. 

Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 vidéo 

 

mercredi 26 octobre 2016

La Fille du désert - Colorado Territory, Raoul Walsh (1949)

Wes McQueen, un hors-la-loi, s'évade de prison et s'enfuit en direction du Territoire du Colorado. En chemin, il s'arrête dans la ferme familiale, où il découvre que ceux qui lui sont chers sont, soit morts, soit partis. Il prend place dans une diligence, où il rencontre Fred Winslow et sa fille Julie Ann. Lorsque des bandits les attaquent, les deux conducteurs sont tués, mais Wes les repousse et conduit la diligence en ville. Wes veut en fait aller à Todos Santos, une ville fantôme, où Duke Harris et Reno Blake l'attendent pour organiser une attaque de train. Wes est troublé par la présence inattendue d'une métisse, Colorado Carson.

En 1941 Raoul Walsh signe un classique du film noir avec La Grande évasion qui contribua à installer Humphrey Bogart en premier rôle et renforça la crédibilité d'un John Huston encore scénariste mais qui devait passer à la mise en scène cette même année pour Le Faucon Maltais. Huit ans plus tard Walsh s'attaque au remake de son propre film cette fois transposé dans le western. L'histoire est identique, le souffle du western se mêlant harmonieusement à la fatalité du film noir. Le ton du film alterne constamment entre les deux, l'audace et la nature ludique de l'évasion d'ouverture relève du polar, tout comme le leitmotiv du "dernier coup" et de l'aspiration impossible du malfrat à une autre existence à travers Wes McQueen (Joel McCrea). La manière tortueuse de retrouver le monde criminel évoque ainsi toujours le genre policier dans son déroulement tout en convoquant une imagerie de western avec cette ville déserte servant de planque.

C'est aussi une manière d'introduire les deux personnages féminins pour lesquels le cœur de notre héros balance : la fille perdue Colorado (Virginia Mayo remarquable dans un personnage voisin de la Jennifer Jones de Duel au soleil) apparaît comme une sorte de femme fatale (Walsh la fait tourner cette même année dans le fameux L'Enfer est à lui) revisitée à l'aune du western tandis que l'innocente Julie Ann (Dorothy Malone) fait figure de demoiselle en détresse lors d'un mémorable sauvetage durant une attaque de diligence. La dualité est même poussée plus loin puisque la blonde et sensuelle Colorado se cache isolée du monde dans les hauteurs fantômes et désolées alors que la pure et brune Julie Ann vit modestement en bas des travaux de la ferme avec son père. La blonde ne le ramène que trop à ce qu'il est, la brune ce à quoi il aspirait et qu'il a perdu.

Walsh trouble pourtant peu à peu ces repères trop attendus, notamment en dépeignant la lassitude d'un excellent Joel McCrea. Il aspire tellement à autre chose qu'il se berce d'illusions face à une Juliet Ann dont les yeux brillent un peu trop au moindre de ses cadeaux tandis que Colorado partage sa mélancolie, elle aussi enfermée par la vie dans une existence de fange qu'elle ne peut quitter. L'environnement n'éveille pas obligatoirement les mauvais penchants semble nous suggérer Walsh, la douceur de Colorado contrastant avec les deux sinistres acolytes Reno (John Archer) et Duke (James Mitchell) alors qu'à l'inverse la bonhomie attachante de Winslow (Henry Hull) ne saura endiguer les travers de sa fille Julie Ann.

Cette idée s'instaure subtilement et tout comme Wes McQueen, le regard du spectateur devra voir les traits aimants et sincères de Colorado au-delà sa silhouette lascive et à l'inverse deviner le regard avide de Julie Ann sous la modestie de façade. Si le cadre de western autorise cette évolution des sentiments, la structure de film noir marque le parcours des personnages courant à leur perte par une destinée capricieuse. Walsh fait passer tout cela avec un sens du rythme exemplaire et notamment de faramineuse scènes d'actions. L'évasion et l'attaque de diligence déjà remarquables n'étaient que des mises en bouche face au hold-up du train ou avec une économie narrative idéale Walsh nous fait comprendre la duplicité de l'informateur, la réorganisation improvisée du plan d'assaut et l'intelligence de McQueen désarçonnant le guet-apens qui l'attendait. La fluidité du découpage lorsque McQueen traverse les toits du train fait merveille, le style sec du réalisateur donnant le ton percutant adéquat à la séquence.

Le lyrisme se déploie définitivement durant la dernière partie dans un tour à la fois chaotique et apaisée. La photo de Sidney Hickox donne une douceur crépusculaire au décor de l'église déserte et aux nuits désertiques traversés par Wes et Colorado fugitifs mais enfin aimant. Ce même environnement désertique en plein jour est brûlé par le soleil et agités par la course poursuite et le siège qui conclut le film. La douceur et l'incandescence des sentiments s'expriment ainsi d'une même force, saluant les liens du couple mais aussi l'inéluctabilité que tout ceci se termine dans la violence. La tragédie et la furie du final - auxquel s'ajoute une dimension mystique inattendue avec l'étrangeté du décor - annonce tout simplement le Bonnie and Clyde (1967) d'Arthur Penn presque vingt ans plus tôt. Un grand western, tout aussi bon si ce n'est meilleur que l'original.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

mardi 25 octobre 2016

Le Fil du rasoir - The Razor’s Edge, Edmund Goulding (1946)

Le Fil du rasoir met en scène les amours et la destinée de deux jeunes riches américains, Larry et Isabel, à partir de 1919. Bien qu'épris l'un de l'autre, et fiancés, ils se séparent en raison des aspirations métaphysiques insatiables de Larry, qui a été profondément marqué par la Première Guerre mondiale, à laquelle il a participé comme pilote de chasse.

The Razor's Edge est une grande curiosité de l'âge d'or Hollywoodien de par ses thématiques baignées de mysticisme et anticipant les questionnements des mouvements hippies. Adapté d'un des derniers romans Somerset Maugham (paru en 1944), le film doit essentiellement son existence à la volonté d'un Darryl Zanuck obsédé à l'idée de le porter à l'écran. On le verra dans les nombreuses embûches surmontées la production. Ayant acheté les droits du roman pour la coquette somme de 50 000 dollars en mars 1945, Zanuck s'engage à verser à nouveau ce montant à l'auteur si le tournage n'a pas débuté d'ici à février 1946. Les atermoiements de producteur vont pourtant dangereusement le rapprocher de la date fatidique. George Cukor initialement envisagé est remplacé par Edmund Goulding et Zanuck ne voyant que Tyrone Power dans le rôle principal va attendre la démobilisation militaire de celui-ci qui n'interviendra qu'en janvier 1946. Somerset Maughan (auteur d'une première version du scénario qui sera rejetée, le dégoutant d'Hollywood) recommande son amie Gene Tierney pour le premier rôle féminin mais Zanuck choisit Maureen O'Hara tout en lui enjoignant de garder le silence pour ne pas s'attirer les foudres de l'auteur. Celle-ci s'étant confiée à Linda Darnell et Zanuck l'ayant appris il la punit en confiant finalement bien le rôle à Gene Tierney. Dernière péripétie, alors que le réalisateur et le casting ne sont pas arrêtés, Zanuck filme lui-même les scènes de seconde équipe en aout 1945 pour le passage supposé se dérouler en Himalaya mais tourné dans les montagnes du Colorado avec une doublure figurant Tyrone Power.

Le récit s'interroge sur la quête qui anima nombre de jeune gens au lendemain de la Première Guerre Mondiale. La "Génération Perdue" se noya dans un tourbillon de fêtes et de plaisir divers en Europe durant les années 20 dont certains parvinrent à tirer une vraie matière artistique à l'instar des Ernest Hemingway ou F. Scott Fitzgerald. D'autres retournèrent aux Etats-Unis pour s'y construire une fortune balayée par le krach de 1929. Face à ces questionnements "concrets", Larry Darrell (Tyrone Power) est indifférent et semble attendre autre chose que la frivolité ou la richesse matérielle. Tout son environnement l'invite pourtant à céder à cette conformité. La scène d'ouverture retarde d'ailleurs son arrivée dans une tonitruante soirée mondaine dont on a tous le loisir de contempler le faste et l'hypocrisie avant de le laisser apparaître, visage pur et étranger à ce monde. Sa fiancée Isabel (Gene Tierney) le pousse à endosser une lucrative carrière tout comme Elliott Templeton (Clifton Webb), l'oncle snob de celle-ci. Seul le personnage et narrateur Somerset Maughan (Herbert Marshall) - le Madame Bovary (1949) de Vincente Minnelli poursuivra cette tendance à mettre en scène l'écrivain dans sa propre adaptation - semble saisir le souffle romanesque de Larry et le comprendre.

Le récit suit donc en parallèle la destinée de Larry et celles d’Isabel et ses amis dont il s'est détourné pour poursuivre sa quête. Edmund Goulding le fait d'abord de manière ludique avec les manœuvres de l'oncle Elliott en voix-off pour faire entre Larry "dans le monde" contredites par l'existence janséniste à laquelle s'astreint ce dernier expérimentant les métiers les plus rudes (marin, mineur...) et fréquentant la population la plus modeste. Peu à peu, plus l'existence des amis laissés à la civilisation se fait dramatique (faillites, deuils...) plus celle de Larry prend un tour mystique avec comme sommet l'apprentissage spirituel en Inde et la véritable épiphanie vécue dans l'Himalaya.

Edmund Goulding parvient à façonner un vrai spectacle étrange et mystique qui captive tout en conservant son caractère intangible à la quête de Larry. Au début du film lorsqu'il est frustré par le monde moderne, on comprend le manque qu'il ressent sans pouvoir définir ce qu'il recherche. L'assurance et la maturité du héros traduisent l'accumulation de savoir et d'expérience sans que l'on ait assisté à de vraies péripéties et enfin l'expérience mystique de l'Himalaya reste en ellipse et seul le visage transfiguré et apaisé de Larry expriment sa mue. Ces choix judicieux évitent au film de sombrer dans le ridicule kitsch qui lui tendait les bras, l'exotisme et l'onirisme de l'épisode indien restant sobre.

Le film perd pourtant de son bel élan et originalité avec le retour à la civilisation de Larry. Quand il voudra concrétiser ce savoir pour aider les siens, cela se résumera à une ridicule scène d'hypnose. Par la suite il se montrera impuissant à guérir les maux de ses amis tous punis là où ils ont péchés, le matérialisme pour Isabel, le snobisme et le poids des apparences pour l'oncle Elliott (très bon Clifton Webb pince sans rire et maniéré). Seul le personnage sacrificiel et marqué par la vie de Sophie (Anne Baxter) semble sortir des stéréotypes mais son destin ne sera guère plus enviable. Alors sans forcément faire de Larry une sorte de messie, il y avait matière à rendre plus profitable son expérience et savoir à son entourage mais tout cela reste très flou et tire en longueur.

Il y néanmoins quelques belles fulgurances comme cette très touchante scène d'agonie paisible (on en attendait pas moins de Goulding avec la poignante scène de mort de son chef d'œuvre Victoire sur la nuit (1939)), la sexualité étonnement explicite et une reconstitution d'un Paris des bas-fonds dénués de toutes l'imagerie "Année Folle" - en plus d'oser de nombreuses scène en français (l'accent méridional alterne avec ceux des titis parisiens) pour plus de réalisme. Malheureusement malgré l'ambition du propos et l'interprétation habitée de Tyrone Power le film est plus original que réussi et passe un peu à côté de son sujet.

Sorti en dvd zone 2 français chez Fox

Extrait
 

dimanche 23 octobre 2016

Sens unique - No Way Out, Roger Donaldson (1987)


Susan, la maîtresse du major Farell, est tuée accidentellement par Brice, le ministre de la Défense. Pour détourner les soupçons, Brice monte de toutes pièces une histoire rocambolesque d'espion russe infiltré au Pentagone.

Sens unique est la seconde adaptation du roman The Big Clock de Kenneth Fearing après le classique La Grande horloge (1948) de John Farrow plus contemporain du livre. La Grande Horloge était très fidèle au livre et empruntait tous les codes du film noir dans un suspense rondement mené et ludique grâce au charme de Ray Milland, le mémorable méchant incarné par Charles Laughton et la mise en scène virtuose de John Farrow. Le film de Roger Donaldson troque le milieu du journalisme de l’original pour celui de l’espionnage sur fond de Guerre Froide. Si cette refonte pouvait sembler novatrice à la sortie, elle vieillisse aujourd’hui grandement le film tant les chemins empruntés par l’intrigue incarnent désormais des clichés éculés du thriller des années 80/90.

La première partie du film met en parallèle le réalisme des enjeux et les rapports de force de ce monde politico-militaire avec la romance torride que vit le major Farell (Kevin Costner) avec Susan (Sean Young), maîtresse de Brice (Gene Hackman) qui est ministre de la défense et donc son patron. Le triangle amoureux entre femme, un jeune homme et son mentor sera traitée avec autrement plus d’intensité et originalité quelques années plus tard avec Revenge (1990) de Tony Scott de nouveau avec Kevin Costner. Là, Roger Donaldson ne laisse pas le drame réellement s’installer et faisant avancer l’intrigue au service du seul suspense sans éveiller l’émotion. 

La romance sert uniquement à composer de jolies cartes postales ou titiller le spectateur avec des séquences vaguement érotiques, et si Kevin Costner est charismatique et impliqué (très belle scène où il s’éclipse pour souffrir en silence de la nouvelle de la mort de Susan) on n’en dira pas tant d’une Sean Young sexy mais très superficielle. Le film souffre involontairement d’une lassitude provoquée par un déroulé largement copié par la suite dans ce type de récit. La paranoïa, la course-poursuite technologique et les barbouzes taciturnes sont autrement plus excitants dans un Ennemi d’état (1998, Tony Scott) et Gene Hackman en politicien véreux et psychotique plus convaincant et intimidant dans Les Pleins Pouvoirs (1997, Clint Eastwood). 

Les prémisses semblaient au moins conférer une vraie crédibilité à ce monde du renseignement militaire mais cela sombrera dans le grotesque quand la trame criminelle sera lancée et la réflexion possible sur l’idéalisme et la vertu politique balayée par le drame humain perd toute saveur quand l’éminence grise incarnée par Will Patton devient un psychotique grotesque. Le huis-clos final si intense dans l’original est ici artificiellement gonflé d’action (une longue poursuite urbaine totalement inutile) et de rebondissement éculé où il faut toute l’intensité de Kevin Costner pour maintenir l’attention. C’est vraiment un gâchis car l’intrigue poussive est au service d’un twist pour le coup vraiment mémorable et qui aurait mérité d’être bien mieux amené par ce qui précède. Malgré l’avis global assez sévère, Sens Unique s’avère néanmoins un petit suspense standard qui se laisse tout de même regarder mais qui s’oublie très vite.

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM