Wes McQueen, un hors-la-loi, s'évade de prison et s'enfuit en
direction du Territoire du Colorado. En chemin, il s'arrête dans la
ferme familiale, où il découvre que ceux qui lui sont chers sont, soit
morts, soit partis. Il prend place dans une diligence, où il rencontre
Fred Winslow et sa fille Julie Ann. Lorsque des bandits les attaquent,
les deux conducteurs sont tués, mais Wes les repousse et conduit la
diligence en ville. Wes veut en fait aller à Todos Santos, une ville
fantôme, où Duke Harris et Reno Blake l'attendent pour organiser une
attaque de train. Wes est troublé par la présence inattendue d'une
métisse, Colorado Carson.
En 1941 Raoul Walsh signe un classique du film noir avec La Grande évasion
qui contribua à installer Humphrey Bogart en premier rôle et renforça
la crédibilité d'un John Huston encore scénariste mais qui devait passer
à la mise en scène cette même année pour Le Faucon Maltais.
Huit ans plus tard Walsh s'attaque au remake de son propre film cette
fois transposé dans le western. L'histoire est identique, le souffle du
western se mêlant harmonieusement à la fatalité du film noir. Le ton du
film alterne constamment entre les deux, l'audace et la nature ludique
de l'évasion d'ouverture relève du polar, tout comme le leitmotiv du
"dernier coup" et de l'aspiration impossible du malfrat à une autre
existence à travers Wes McQueen (Joel McCrea). La manière tortueuse de
retrouver le monde criminel évoque ainsi toujours le genre policier dans
son déroulement tout en convoquant une imagerie de western avec cette
ville déserte servant de planque.
C'est aussi une manière d'introduire
les deux personnages féminins pour lesquels le cœur de notre héros
balance : la fille perdue Colorado (Virginia Mayo remarquable dans un
personnage voisin de la Jennifer Jones de Duel au soleil) apparaît comme une sorte de femme fatale (Walsh la fait tourner cette même année dans le fameux L'Enfer est à lui)
revisitée à l'aune du western tandis que l'innocente Julie Ann (Dorothy
Malone) fait figure de demoiselle en détresse lors d'un mémorable
sauvetage durant une attaque de diligence. La dualité est même poussée
plus loin puisque la blonde et sensuelle Colorado se cache isolée du
monde dans les hauteurs fantômes et désolées alors que la pure et brune
Julie Ann vit modestement en bas des travaux de la ferme avec son père. La blonde ne le ramène que trop à ce qu'il est, la brune ce à quoi il aspirait et qu'il a perdu.
Walsh
trouble pourtant peu à peu ces repères trop attendus, notamment en
dépeignant la lassitude d'un excellent Joel McCrea. Il aspire tellement à
autre chose qu'il se berce d'illusions face à une Juliet Ann dont les
yeux brillent un peu trop au moindre de ses cadeaux tandis que Colorado
partage sa mélancolie, elle aussi enfermée par la vie dans une existence
de fange qu'elle ne peut quitter. L'environnement n'éveille pas
obligatoirement les mauvais penchants semble nous suggérer Walsh, la
douceur de Colorado contrastant avec les deux sinistres acolytes Reno
(John Archer) et Duke (James Mitchell) alors qu'à l'inverse la bonhomie
attachante de Winslow (Henry Hull) ne saura endiguer les travers de sa
fille Julie Ann.
Cette idée s'instaure subtilement et tout comme Wes
McQueen, le regard du spectateur devra voir les traits aimants et
sincères de Colorado au-delà sa silhouette lascive et à l'inverse
deviner le regard avide de Julie Ann sous la modestie de façade. Si le
cadre de western autorise cette évolution des sentiments, la structure
de film noir marque le parcours des personnages courant à leur perte par
une destinée capricieuse. Walsh fait passer tout cela avec un sens du
rythme exemplaire et notamment de faramineuse scènes d'actions.
L'évasion et l'attaque de diligence déjà remarquables n'étaient que des
mises en bouche face au hold-up du train ou avec une économie narrative
idéale Walsh nous fait comprendre la duplicité de l'informateur, la
réorganisation improvisée du plan d'assaut et l'intelligence de McQueen
désarçonnant le guet-apens qui l'attendait. La fluidité du découpage
lorsque McQueen traverse les toits du train fait merveille, le style sec
du réalisateur donnant le ton percutant adéquat à la séquence.
Le
lyrisme se déploie définitivement durant la dernière partie dans un tour à la fois
chaotique et apaisée. La photo de Sidney Hickox donne une douceur
crépusculaire au décor de l'église déserte et aux nuits désertiques
traversés par Wes et Colorado fugitifs mais enfin aimant. Ce même
environnement désertique en plein jour est brûlé par le soleil et agités
par la course poursuite et le siège qui conclut le film. La douceur et
l'incandescence des sentiments s'expriment ainsi d'une même force,
saluant les liens du couple mais aussi l'inéluctabilité que tout ceci se
termine dans la violence. La tragédie et la furie du final - auxquel s'ajoute une dimension mystique inattendue avec l'étrangeté du décor - annonce tout
simplement le Bonnie and Clyde (1967) d'Arthur Penn presque vingt ans plus tôt. Un grand western, tout aussi bon si ce n'est meilleur que l'original.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
Remarquable western de Walsh en effet. En régle générale, j'aime beaucoup Joel Mc Crea comme acteur. l'attaque du train est un modèle du genre.Supérieur à la Grande évasion, suis assez d'accord. Vu la semaine dernière sur TCM (intégrale Walsh).Dans le cycle,je vous conseille Saboteur sans gloire, film grave avec un Errol Flynn trés surprenant.
RépondreSupprimerOui j'aime beaucoup aussi Saboteur sans gloire que j'avais chroniqué ici sur le blog
Supprimerhttp://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2011/05/saboteur-sans-gloire-uncertain-glory.html
Sinon Joel McCrea est aussi un de mes acteurs hollywoodien favoris, à l'aise dans tous les registres, comique, sensible et viril avec toujours un sacré charisme.
Bon texte Justin. J'adore Colorado Territory, un des meilleurs Walsh, et comme tu le dis, la rencontre idéale entre film noir et western.
RépondreSupprimerStrum