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mercredi 5 octobre 2016

Hannah et ses sœurs - Hannah and Her Sisters, Woody Allen (1986)

Elliott et Hannah forment apparemment un couple sans histoires et vivant dans l'aisance, avec les deux enfants du premier mariage d'Hannah avec Mickey, producteur de télévision hypocondriaque. Mais Elliott est secrètement amoureux de la sœur de Hannah, Lee, qui vit de son côté une relation pesante avec Frederick, un homme plus âgé qu'elle, qui s'avère être un artiste peintre résolument misanthrope. La troisième sœur, Holly est un peu la « ratée » de la famille, en raison de son instabilité amoureuse et professionnelle.

Hannah et ses sœurs est une œuvre charnière pour Woody Allen, son plus gros succès commercial (avant le récent Minuit à Paris (2011)) et surtout une synthèse autant qu’une annonce de ses orientations futures. Depuis la reconnaissance rencontrée avec Annie Hall (1978), la filmographie de Woody Allen avait suivie des voies multiples : poursuite de cette veine romantico-comique et existentielle avec Manhattan (1979) et Broadway Danny Rose (1984), œuvre profondément personnelle masquée sous l’argument potache (Zelig (1983)) ou la référence marquée (Stardust Memories (1980) et son influence fellinienne) et une influence bergmanienne assumée dans son versant le plus dramatique (Intérieurs (1978)) comme le plus léger (le délicieux Comédie érotique d’une nuit d’été (1982)). Toutes ces tentatives suivaient néanmoins une ligne claire, guidée par Woody Allen lui-même et tout le bagage véhiculé par son personnage cinématographique, par la narration tendant vers une même direction même dans le récit choral (Intérieurs et son atmosphère de malaise psychologique pesante, la fantaisie, l'unité de temps et de lieu de Comédie érotique d’une nuit d’été).

Avec Hannah et ses sœurs, Allen éclate à travers les divers personnages tous les questionnements vus dans les précédents films. La référence se fait plus subtile (la construction du film reprend celle de Fanny et Alexandre de Bergman la comédie, le drame et l’apaisement se nouant à chaque retrouvailles de Thanksgiving) mêlée à une inspiration intime convoquant la personnalité d’Allen (à travers Mickey l’hypocondriaque dépressif qu’il interprète et Elliot le mari insatisfait, irrésolu et volage qu’incarne Michael Caine) mais aussi un miroir déformant de sa compagne d’alors, Mia Farrow dont il interroge la perfection apaisée de façade. 

Entrecroiser les intrigues représentait le grand défi narratif de Woody Allen qui ancre et annonce ainsi chaque bascule dans le moment chaleureux de Thanksgiving. C’est la voix-off chargée de désir d’Elliot pour sa belle-sœur Lee (Barbara Hershey) qui sort la réunion familiale de son anonymat chaleureux et annonce l’inconséquence de la cadette Holly (Dianne Wiest) opposée à la force de tranquille de l’aînée Hannah (Mia Farrow). Par sa direction d’acteur remarquable, Allen tisse les liens contradictoires de chacun dans cette ouverture subtile. Le débit maladroit et l’attitude gauche d’Elliott le trahi, l’affection inconsciemment chargée d’attente de Lee rend possible le rapprochement à venir. La caméra capture le mouvement perpétuel et le phrasé anxieux de Holly dans la cuisine alors qu’à l’inverse par ses réponses calmes et (trop) compréhensive, par sa position et posture fixe dans le plan Hannah constitue un totem, un modèle impossible à égaler – ce que confirme le dialogue quant à l’état de leurs carrières respective. 

Le personnage de Mickey semble comme extérieur à la trame mais apporte par son cheminement la hauteur existentielle et spirituelle que ne peuvent capturer les autres protagonistes engoncés dans leurs problèmes intimes. Woody Allen confronte sa figure de juif binoclard pince sans rire à un doute, à une peur que ne peuvent apaiser les bons mots et les moments loufoques comme dans les films précédents. Ce malaise se confronte à une la crainte concrète de la mort pour Mickey, puis lorsque le diagnostic d’une tumeur au cerveau s’avère négatif c’est face au grand vide (celui dans lequel a failli l’attirer la mort, celui de son existence solitaire vouée à son travail) que se réveillent ses angoisses, délestée de leur sympathique excentricité.

Mickey a aperçu ce vide et ne parvient pas à l’oublier et erre dans ses souvenirs dont les flashbacks développe également les autre personnages. Moins lucide les autres échappent à leurs peurs par un charivari amoureux qui les ramènent pourtant au point de départ. Elliot voit dans le désir qu’il a de Lee la solution à ces problèmes, cette dernière voit dans des hommes mûrs et protecteurs la sérénité qu’elle recherche. Hannah croit échapper au malheur en se montrant la plus droite, la plus fiable quand bien même son propre couple vacille. Mia Farrow, loin d’avoir le matériel dramatique de ses partenaires fait pourtant passer une gamme d’émotions subtiles qui prouve qu’Allen avait visé juste, au point de se montrer impudique. Une des dernières scènes où Hannah est choquée de se retrouver autant dans le scénario de Holly pourrait refléter le sentiment de Mia Farrow interprétant un personnage où Allen a inséré nombre d’éléments biographique. Mia Farrow, mère (naturelle ou adoptive) d’une nombreuse maisonnée et ayant grandie dans une fratrie de sept enfants constitue ainsi le modèle avoué pour Hannah et Allen met en scène son sentiment d’infériorité face à cette femme mature et responsable en toute circonstance. 

Hannah est d’ailleurs la seule à rester longuement opaque et réduite à sa seule bienveillance, ne voyant pas ses doutes exprimés dans une voix-off qui la fragilise et l’humanise - alors que Dianne Wiest bouleverse le temps d’une séduction avortée en taxi -, n’étant jamais ridiculisée par une attitude stupide - à laquelle se plie aisément Michael Caine et Woody Allen. On comprend alors bien mieux le titre du film, semblant placer Hannah en avant en tant qu’héroïne (alors qu’elle est la moins concernée dans les péripéties) mais qui en fait la met à part de ses sœurs et de son entourage. Le retour à l’apaisement final ne sera possible qu’en la plaçant aussi face à ses doutes, la rendant enfin vulnérable, accessible et dans l’attente de l’autre : l’écoute de ses sœurs, l’affection et la protection de son époux. Une œuvre passionnante et prémonitoire, autant des tumultes personnels du couple Mia Farrow/Woody Allen - ce dernier se reconstruisant avec une parente de son ex-femme déjà dans le film - que de la complexité et richesse thématique de classiques à venir, notamment l’extraordinaire Crimes et délits (1989). 

Sortie en dvd zone 2 français chez MGM

2 commentaires:

  1. Un des chefs-d'oeuvre de Woody !
    Strum

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  2. Un film dense et complexe, mais aussi très drôle, avec la quête spirituelle du personnage joué par Woody Allen qui le mène de religion en religion, au grand désespoir de ses parents juifs pratiquants.

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