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mardi 1 novembre 2016

The World of Us - U-ri-deul, YOON Ga-eun (2016)

Sun rencontre Jia la veille des vacances estivales. Elle qui est toujours laissée à l’écart par ses camarades va se lier d’amitié avec cette nouvelle au cours de l’été. Mais la rentrée des classes approche, et Sun craint qu’à l’école, leur amitié ne change…

Ce premier film de la réalisatrice YOON Ga-eun nous offre un regard singulier et délicat sur le monde de l’enfance, dont les soubresauts prennent un tour plus cruel à l’aune de la société coréenne. Cette cruauté ordinaire se ressent lors de la scène d’ouverture où un jeu innocent manifeste l’isolement et le rejet que vit la jeune Sun (CHOI Soo-in) auprès de ses camarades. La caméra s'arrête sur son visage maussade en plan fixe tandis que l’on entend les autres enfants constituer les équipes pour une partie de balle au prisonnier. Elle est choisie par défaut dans une des équipe sans que la caméra ne décroche d’elle, et un prétexte servira à l’exclure du jeu. Cet épisode synthétise une solitude que l’on percevra plus en détail dans les scènes de classe au quotidien, Sun observant toujours à la dérobée les conversations des autres élèves, là aussi le possible rapprochement menant à une cruelle désillusion avec une fausse invitation à un anniversaire. Lors du dernier jour de classe, Sun fait pourtant la rencontre de Jia (SEOL Hye-in) une nouvelle élève avec laquelle elle va se lier d’amitié durant ces vacances d’été.

YOON Ga-eun reste à hauteur d’enfant pour scruter les joies et les peines de cette enfance. Le bonheur de Sun de s’être enfin fait une amie, celui de Jia d’être si chaleureusement accueillie se ressentent avec une énergie palpable au fil des rires, des courses et des jeux divers des deux fillettes. Les fêlures et causes de la possible rupture se dessinent pourtant en filigrane. Sun souffre de venir d’un milieu modeste se manifestant notamment par le fait de ne pas posséder de téléphone portable. A l’inverse Jia vient d’un milieu nanti mais où elle est délaissée par ses parents, si ce n’est pour l’ambition précoce qu’ils lui imposent avec des cours particuliers d’anglais. Si Sun abuse timidement du portable de Jia, celle-ci va la rejeter insidieusement après avoir jalousé un moment de tendresse complice avec sa mère. La réconciliation semble cependant toujours possible dans ces rapports simples, les sentiments à fleur de peau de cet âge tendre basculant de la véhémence à la complicité comme un rien. Cependant la réalisatrice en imprégnant ces interactions des maux de la société coréenne va peu à peu rendre son récit plus oppressant. 

Cela se ressentira à travers le regard des autres, l’amitié de Jia et Sun n’ayant pas encore été confronté au statut de paria de cette dernière dans le milieu scolaire. Les différences qui avaient pu créer quelques frictions entre les deux amies vont donc s’amplifier sous l’influence néfaste de leurs camarades. Par des jeux de regards fuyant, des situations humiliantes et une violence verbale surprenante, Jia se détourne de Sun pour la plus populaire Bora (LEE Seo-yeon). L’ambition et la notion de statut social si importante en Corée se manifeste ainsi dès l’enfance et constitue déjà un élément de pouvoir. Pour Jia, tête de turc de son ancienne école mieux vaut s’associer aux forts dont elle partage le statut, exprimée à travers les fameux cours particulier témoignant de leurs moyens et de l’exigence de leurs parents. L’amitié est factice car fonctionnant sur cette notion de pouvoir notamment pour la cruelle Bora affirmant sa domination en s’appropriant l’attention de la nouvelle venue au détriment de la solitaire Sun. Pourtant dès lorsque Jia deviendra meilleure élève que Bora, ce lien superficiel se distendra pour en faire à son tour une âme délaissée dans l’école.

Le film constitue en quelque sorte un préquel en école primaire du remarquable Suneung (2012) de Shin Su-won qui dépeignait la concurrence violente régnant dans les lycées coréens afin d’obtenir le fameux Suneung (baccalauréat coréen) sésame indispensable pour les grandes universités. Cette rivalité latente, ce besoin d’être dans le bon wagon se ressent déjà avec les plus jeunes protagonistes de The World of us où sous les tourments ordinaires de ces tranches d’âges on devine ce contexte. Cela sera particulièrement vrai dans le lien entre les deux rejetées, Jia et Sun. Dans n’importe quelle fiction sur l’enfance ou l’adolescence et même dans la réalité scolaire, les solitudes se rencontrent et les parias finissent au moins par faire front et résister à la meute en se rapprochant. Les codes de la société coréenne semble interdire ce genre de faiblesse où il vaut mieux s’isoler dans sa prison solitaire plutôt qu’être associé à un inférieur. La jeune CHOI Soo-in qui joue Sun est particulièrement attachante, rejetant ces codes de domination pour constamment chercher à renouer avec Jia, en vain. Le seul moyen de s’affirmer sera d’être mesquine à son tour, comme si seule la démonstration de force et l’humiliation de l’autre pouvait permettre de s’imposer aux yeux des autres.

La réalisatrice répercute subtilement les maux des adultes sur leur progénitures, filmant de loin et toujours à hauteur d’enfants les situations dont ils sont témoin chez leur parents. Le refus du père de Sun d’aller voir son père malade et son refuge dans l’alcool en témoigne, tout comme la présence des parents et de la grand-mère de Jia ne se révélant que pour une pression sociale et scolaire de réussite. Le constat serait définitivement sombre sans la lueur d’espoir entraperçue dans la dernière partie. Les adultes peuvent se montrer vulnérable sans que cela soit honteux (le père de Sun en larmes et endeuillé) et la plus belle leçon viendra du petit frère de Sun dont les rapports avec un camarade bagarreur semblait rejouer en miniature ce jeu de domination. 

Son interprétation candide et innocente des luttes avec son ami qu’il abrège pour reprendre leurs jeux, sans vouloir à tout prix en sortir vainqueur, renverse un postulat qui semblait uniquement basé sur le rapport de force. La dernière scène reprend la métaphore d’ouverture avec cette scène de balle au prisonnier. Tout en jouant du même découpage et d’une même situation d’exclusion, la réalisatrice laisse un espoir de rapprochement entre Jia et Sun détachée du regard des autres et peut-être prêtes à renouer. La symbolique des mains aura également tissée ce mince espoir. L’état des mains de Sun (écorchures, ongles rongés) ayant traduit les soubresauts de ses émotions, la nostalgie et la renaissance de cette amitié se devine à travers les résidus de la couleur du vernis partagé avec Jia au début du récit. Un remarquable premier film qui traduit déjà une sensibilité proche des maîtres japonais d’hier et d’aujourd’hui sur ce monde de l’enfance, d’Ozu à Kore-eda. 

Vu au Festival du film Coréen à Paris, encore inédit mais espérons une sortie pour ce petit bijou !

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