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jeudi 8 décembre 2016

Un mari presque fidèle - The Constant Husband, Sidney Gilliat (1955)

Dans une chambre, un homme reprend conscience. Frappé d’amnésie, il entreprend, avec l’aide d’un spécialiste, d’exhumer son passé. Mais ce qu’il découvre n’est pas vraiment agréable. Marié à une ravissante et tendre femme, il comprend avec effroi que ce passé est bien trouble et que marié maintes fois, on le recherche activement...pour polygamie !

Les duettistes Sidney Gilliat et Frank Launder auront souvent questionné dans leur filmographie commune l’inconséquence féminine comme la perte de repères masculine. Dans Waterloo Road (1945), une épouse s’émancipe par l’adultère auprès d’un rustre (Stewart Granger) en l’absence de son époux (John Mills) mobilisé et ne reviendra à celui-ci qu’une fois qu’il aura su se montrer « un homme » en défiant son rival. L'Étrange Aventurière (1946) montre une activiste irlandaise (Deborah Kerr) se perdre dans sa haine de l’envahisseur anglais pour finalement tomber dans les bras de l’ennemi sous les traits de Trevor Howard. A l’inverse le diptyque Cette sacrée jeunesse (1950)/ Les Belles de St. Trinian (1954) montre les codes masculins déréglés par une présence envahissante du « sexe faible », que ce soit par la mixité (Cette sacrée jeunesse) ou la franche rébellion féminine (Les Belles de St. Trinian). Dans chacune de ces œuvres, Sidney Gilliat et Frank Launder ne cèdent jamais à un féminisme facile et évite de basculer dans un machisme douteux. Pour les femmes, les hommes sont des figures à bousculer mais où la libido conduit à des concessions contradictoires (L'Étrange Aventurière). Les hommes voient en elles des objets de séduction autant qu’un phénomène envahissant et incompréhensible (la métaphore étant explicite dans Cette sacrée jeunesse et Les Belles de St. Trinian).

Cette confusion mutuelle et signe de la complexité humaine sert à merveille Un mari presque fidèle dont le déroulement restera toujours inclassable entre un machisme possible et un moralisme bousculé. Rex Harrison incarne un amnésique se réveillant sans repères dans une chambre d’hôtel au Pays de Galles. Pris en main par un psychanalyste (Cecil Parker), l’homme remonte le fil de son passé pour se découvrir une agréable existence bourgeoise avec maison luxueuse, épouse photographe (Kay Kendall) et un emploi prestigieux au ministère. Toute cette façade va être mise à mal avec la découverte d’une autre vie conjugale, cette fois plus populaire auprès d’une tempétueuse émigrante italienne (Nicole Maurey) et de son envahissante famille. Les deux foyers relèvent du cliché dans leur style respectif, la sophistication aristocratique anglaise de l’un s’opposant à l’avalanche de poncifs « méditerranéens » de l’autre (grand frère protecteur et menaçant, famille qui tient forcément un restaurant…). 

Le point de rapprochement se fera par les épouses respectives se signalant chacune à leur manière par leur nature schizophrène. Monica l’épouse bourgeoise impose au départ une figure émancipée et indépendante mais devant la mémoire défaillante de Rex Harrison s’abandonne à une attitude capricieuse agaçante pour en définitive lui céder. Lola l’épouse « prolo » apparaît en artiste de cirque littéralement catapultée depuis un canon lors d’un numéro, là aussi comme une métaphore d’autonomie. Mais une fois de plus ce visage libéré s’estompe pour une pleurnicherie désolante face au décidément irrésistible Rex Harrison, mais cette fois par une colère « à l’italienne » avec jet d’objet et bagarre pour au final la même issue de l’étreinte auprès de son homme. Chacun de ces conflits s’apaise par l’image d’une porte, soit qui se ferme avec Monica, soit que l’on ne peut ouvrir avec la poignée défaillante de la chambre de Lola.

La femme symbolise autant la volupté que la prison dorée pour l’homme par ce motif et ainsi tout le dilemme de Rex Harrison. Inutile de répéter ce dispositif pour Sidney Gilliat lorsqu’on découvrira tous les autres mariages cachés du héros polygame, l’association d’idée et l’imagerie suffisant à dessiner les mêmes contradictions chez les autres épouses. Dans la dernière partie Rex Harrison se trouve ainsi autant oppressé par cette institution du mariage (le procès où il est jugé pour sa polygamie) que par la passion irraisonnée de ses épouses, le regard énamouré vers son banc d’accusé et comme le soulignera un dialogue, prête à lui revenir malgré ses actes.

Rex Harrison était le choix idéal pour exprimer les ambiguïtés de ce rôle. L’acteur aura su incarner l’icône romantique virile et tendre dans L’Aventure de Madame Muir (1947), le goujat intéressé dans The Rake’s Progress (1945, déjà pour Sidney Gilliat), l’homme dépassé dans l’excellent Infidèlement votre (1948, Preston Sturges) et plus tard le manipulateur dans Guêpier pour trois abeilles (1967, Joseph L. Mankiewicz). Tout cela correspond au vrai homme à femmes qu’était Rex Harrison, marié six fois et notamment mêlé à un sordide scandale hollywoodien. Alors qu’il était marié à Lilli Palmer, il eut une liaison avec l’actrice Carole Landis qui se suicida après une nuit en sa compagnie et où on le soupçonna d’avoir tardé à appeler les secours. 

Cet épisode mettra pour un temps un terme à sa carrière hollywoodienne mais Harrison saura jouer de cette image dans le choix de ses rôles, tant au cinéma avec les titres cités mais également au théâtre où Terrence Rattigan écrira en 1973 la pièce  In Praise of Love directement inspirée de son troisième mariage avec Kay Kendall – Harrison y jouant carrément son propre rôle. Ange séducteur et démon destructeur à la ville comme à l’écran, Harrison est capturé dans toute sa complexité par le scénario de Sidney Gilliat. Le héros est certes horrifié par ce qu’il découvre de lui-même, mais comme le démontrera la plaidoirie ses agissements sont ceux d’un autre homme puisqu’il ne retrouvera jamais la mémoire. 

Sous la repentance, Rex Harrison demeure ce bourreau des cœurs qui fera même craquer son avocate - nouvelle répétition du leitmotiv précédemment évoqué, le magistrat psychorigide (Margaret Leighton) cédant à la groupie en pamoison. La vraie morale de l’histoire réside dans la vision profondément pessimiste du lien conjugal, lieux de soumission pour les femmes et d’étouffement pour les hommes. Le machisme des uns et l’émancipation des autres n’y changeront rien, les contradictions entre les aspirations du corps de l’esprit et de la morale exprimant bien toute la complexité des affects humains.

Ressortie en salle le 14 décembr

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