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mardi 28 février 2017

Voyage à deux - Two for the road, Stanley Donen (1967)


Mark et Joanna se sont rencontrés sur les routes du Sud de la France. Lui, un jeune architecte anglais sans le sou traversant la France sac sur le dos et elle, une jeune américaine pétillante en vacances dans la région. Les années passent, flirt, euphorie, mariage, enfant, adultères, divorce… le couple traverse les vicissitudes de la vie en empruntant tous les deux ans les routes de leur première rencontre. Entre rires et larmes, les souvenirs se mélangent dans un kaléidoscope de vignettes douces-amères.

A la fin des années 50 et sentant venir le déclin du système studio, Stanley Donen fait sa révolution en quittant Hollywood pour s’installer à Londres. Assez injustement associé au seul genre de la comédie musicale (auquel il doit ses films les plus célèbres au sein de la MGM, Un jour à New York (1949), Chantons sous la pluie (1952) ou encore Drôle de frimousse (1957)), Donen se réinvente avec une série de films imprégné d’une sensibilité plus européenne, qu’il s’agisse de revisiter le suspense Hitchcockien dans Charade (1963) ou de s’approprier l’esthétique pop et l’atmosphère Swinging London dans le survolté Fantasmes (1967). Voyage à deux est la plus grande réussite de cette période, Donen renouvelant la comédie romantique par un croisement d’influence où l’on retrouve le désenchantement du Rossellini de Voyage en Italie (1954), les expérimentations narratives d’un Alain Resnais et les trouvailles formelles de la Nouvelle Vague.

Voyage à deux entremêle les expériences de couple à la fois tumultueuses de Stanley Donen (marié pas moins de cinq fois) et celle plus apaisé de son scénariste Frederic Raphael (qui coule des jours heureux avec son épouse et leurs trois enfants) qui lui soumet l’idée du film. Durant son séjour en Angleterre, Donen avait pris l’habitude de prendre ses vacances en France et après le Paris de Charade,  place aux routes provinciales du sud de la France où voyagera le couple à différentes étapes de sa relation. La structure complexe du film entremêle ainsi différentes temporalités où il s’agira d’explorer, de la passion à la plénitude des débuts de la relation aux tensions et à la rancœur de l’usure, toutes les étapes de la vie conjugale des personnages. 

Stanley Donen est d’une inventivité constante pour offrir un effet miroir qui oppose les tours à tour amoureux et ennemis Mark (Albert Finney remplaçant Paul Newman qui a refusé le rôle) et Joanna Wallace (Audrey Hepburn). Cela passe par la caractérisation notamment, où les charmants défauts des débuts deviennent les insupportables tares du futur telle la goujaterie maladroite de Mark et son égoïsme d’homme enfant. C’est un défi pour l’amoureuse transie puis un fardeau pour l’épouse lasse Joanna qui est également pétrie de contradictions, insatisfaite dans le dénuement initial et délaissée lors d’une réussite matérielle qui accapare Mark devenu un architecte renommé.

Donen joue également de l’ironie dans la répétitivité des situations. Alors jeunes amoureux fougueux, Joanna et Mark observe le tête à tête muets de couple mariés forcément devenus étrangers à cause de l’institution tandis que leurs propre silences servent les regards énamourés où les mots sont inutiles. Pourtant ces silences de plombs nourrissent bel et bien le quotidien sous tension qui les attend. Les effets de montage servent ces contradictions dans le mouvement en jouant du passage sur les mêmes lieux au fil des années, les époques se répondant avec le couple se croisant lui-même dans de brillantes transitions jouant sur le cadre, la météo où les véhicules utilisés. 

Au romantisme le plus délicat et suranné peut succéder brutalement un cynisme cinglant telle cette portion de plage devant rester le cocon des amoureux juvéniles qui est souillée par les travaux du premier grand chantier de Mark. La défiance des époux va avec un embourgeoisement et un ancrage plus traditionnel marqué par la naissance d’un enfant. Les problèmes se devinent dès le départ avec cette fougue amoureuse qui rapproche si vite nos héros tout en marquant leurs différences : Mark hostile au mariage et à la vie de famille y cède pour ne pas perdre Joanna, la magie de cet abandon de certitudes nourrissant la défiance mutuelle à venir. 

Visuellement les véhicules jouent leur rôle aussi, l’insouciance de l’auto-stop ou les avaries des voitures binquebalantes créant une complicité qui s’estompe lorsque le couple trace les routes de campagnes dans le dernier coupé sport en échangeant des paroles aigres. Dans cette même idée les auberges de fortunes ou les villégiatures encore hors de prix sont synonymes de rapprochement (merveilleux moment où Finney fait passer en douce un repas frugal pour éviter les menus exorbitant de l’hôtel) tandis que les villas et palaces luxueux marquent le fossé du couple avec là aussi de constantes idées formelles pour jouer sur les époques. 

Tout cela s’incarne en fait surtout dans la sophistication croissante du look d’Audrey Hepburn. Au départ elle retrouve l’image de jeune fille candide qui caractérise ses plus grands rôles avant d’arborer une allure plus recherchée, entre le glamour classique des années 50 qu’elle incarne en tant qu’égérie Givenchy et le saut de plain-pied dans la modernité plus tapageuse des tenues conçues par Paco Rabanne ou Mary Quant – sans parler de l'inventivité constante de ses coiffures.

La romance béate succède au drame sourd et à la comédie noire dans un ensemble virevoltant où le couple ne cesse pourtant de s’aimer tout en se déchirant, porté par le superbe score d'Henry Mancini. La leçon serait d’être capable de maintenir la passion malgré les soubresauts inéluctables de la vie, la fantaisie et la complicité semblant être les plus beaux facteurs de poursuite d’une relation épanouie. Ce n’est donc pas une grande déclaration qui fera craquer une énième fois Joanna pour son homme, mais plutôt de le voir se ridiculiser et de lui glisser ce fichu passeport une fois de plus, comme au premier jour. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta

 

2 commentaires:

  1. Ta chronique révèle bien toute la richesse de ce merveilleux film, vertigineux sur le fond comme sur la forme, tout en offrant un précieux écrin au talent de son duo d'acteurs. Et c'est clairement un de mes scores préférés de Mancini.

    E.

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  2. Bel hommage à ce film de très grande qualité. La découverte de Stanley Donen est pour moi très récente, et ce film ci est marquant. La lecture donne envie de le revoir.

    (Je découvre ce blog. Je risque d'y passer souvent.)

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