1938. En
Afrique-Occidentale française. Lucien Cordier (Philippe Noiret) est l'unique
policier d'une petite ville coloniale. Méprisé de tous pour sa lâcheté et sa
veulerie, il est l'objet de moqueries et de railleries. Lorsque son officier
supérieur (Guy Marchand) lui fait prendre conscience de sa médiocrité, il va
peu à peu se transformer en impitoyable assassin et se débarrasser de tous ses
tourmenteurs, femme et maîtresse comprises, par un jeu diabolique qui consiste
à faire accuser d'autres que lui avant de les éliminer jusqu'à ce qu'il reste
seul.
Avant la reconnaissance posthume des années 80 et quelques œuvres
cultes (Les Arnaqueurs de Stephen
Frears (1990), The Killer Inside Me
de Michael Winterbottom (2010)), c’est par la France que passèrent les plus
mémorables adaptations de Jim Thompson.
La collection littéraire Série Noire avait des années 50 aux années 70
avait assez largement publiée ses romans (et lui offrant même symboliquement
son numéro 1000 pour Pop, 1280) et
contribué à créer un nombre conséquent d’afficionados de Jim Thompson. Parmi
eux, Alain Corneau qui signe en 1979 une fabuleuse adaptation du roman Des cliques et des cloaques avec Série
Noire. Bertrand Tavernier, grand amateur de Pop,
1280, avait toujours caressé l’idée d’en faire un film mais avait toujours
échoué à trouver un contexte français équivalent au village sudiste raciste et
dégénéré du livre.
La relecture du Voyage
au bout de la nuit de Céline ainsi que Voyage
au Congo d’André Gide (paru en 1927), par leur ton et descriptions vont
déterminer le choix de Tavernier de transposer le roman dans le Congo Colonial
à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Dès lors il convoque Jean Aurenche
(Tavernier avait relancé le légendaire scénariste malmené par la Nouvelle Vague
en faisant appel à lui pour ses trois premiers films L'Horloger de Saint-Paul (1973). Que la fête commence (1974) et Le
Juge et l'Assassin (1975)) non seulement pour ses aptitudes littéraires
mais également par sa vraie connaissance de cette Afrique équatoriale qu’il
visita à l’époque.
Dès la scène d’éclipse qui ouvre le film, Tavernier nous
baigne dans une atmosphère hallucinée qui guidera les élans meurtriers et
mystique de Lucien Cordier (Philippe Noiret) unique policier d’un village
colonial. L’ambiance grouillante et chaleureuse de ce cadre dissimule en fait
un véritable théâtre du grotesque et de la monstruosité. Cela passe par le comportement
dégénéré reposant sur l’entourage de Lucien mais plus globalement de l’ensemble
de cette communauté où le plus faible est écrasé, et plus particulièrement le
peuple noir. Lucien qui a compris depuis bien longtemps qu’il ne pourrait
appliquer la loi dans ce contexte, laisse faire et accepte placidement les
propres humiliations dont il est victime. Tavernier à quelques modifications
près (l’institutrice jouée par Irène Skobline remplaçant l’autre caution morale
féminine du livre) reste très fidèle à Jim Thompson, notamment dans la
construction et le cheminement déroutant des personnages.
Pris pour un
souffre-douleur placide Lucien se rebiffe de manière constamment inattendue, s’imaginant
l’ange exterminateur venu purger les dérives de ses concitoyens. L’humour sert
ainsi une galerie de portrait extraordinaire : Stéphane Audran en affreuse
mégère, Eddy Mitchell en beau-frère obsédé, malveillant et demeuré ou encore
une Isabelle Huppert en magnifique contre-emploi dissimulant stupre et vulgarité
sous ses airs innocents ; Guy Marchand en beauf raciste bas du front. On
rit ainsi autant que l’on est glacé par des comportements où Tavernier francise
avec brio l’ironie de Thompson – notamment le langage absurde d’Eddy Mitchell.
Ce sentiment de fin du monde et de déliquescence joue sur ce contexte d’avant-guerre
sans être abusivement appuyé. La nature humaine fondamentalement mauvaise de
Jim Thomson trouve un écho dans cette société française réactionnaire et à bout
de souffle.
Les rebondissements et ruptures de ton vont dans ce sens,
absurde dans la logique du récit mais limpide dans la tortueuse imperfection de
l’esprit humain. Lucien ne fait ainsi que provoquer, anticiper et stimuler les
bas-instincts de ses interlocuteurs pour mieux les briser. Philippe Noiret
amène une forme de mélancolie supplémentaire à la truculence exaltée du
personnage du livre qui le rend étonnamment touchant. La mise en scène de
Tavernier, par son usage de la steadycam et ses nombreux plans-séquences
participe à ce sentiment flottant et halluciné, tant par la liberté qu’il donne
aux acteurs dans leurs attitudes aberrantes que dans la vie propre et le
personnage à part entière que constitue cet environnement. Dans cette idée, une
des plus belle inventions de Tavernier sera le double rôle de Jean-Pierre
Marielle qui en frère jumeau amène tout ce mélange d’absurde et d’étrangeté. Une
formidable réussite et un des plus grands succès de Bertrand Tavernier.
Sorti en dvd zone 2 français chez StudioCanal
Bonjour,
RépondreSupprimerMention pour la musique....