Juin 1940. Le jeune soldat Laforêt perd malencontreusement son
régiment au détour d’une route. Il tente de retrouver ses camarades, en
vain. Il se met alors à errer à travers les paysages de l’Aveyron. Son
vagabondage l’amène à croiser toute une galerie de personnages
singuliers…
Unique film de Guy Chavagnac, Le Soldat Laforêt
est une belle curiosité imprégnée de son époque. Ancien assistant de
Jean Renoir, Guy Chavagnac fonde en 1970 la société de production Unité 3
avec Paul Vecchiali et Liliane de Kermadec. De cette structure destinée
à lancer des projets plus libres sortiront donc L'Étrangleur de Paul Vecchiali (1972), Le Soldat Laforêt, Home Sweet Home (1972) et Aloïse (1975) de Liliane de Kermadec ainsi que Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman (1975). Les premières années seront difficiles puisque L'Étrangleur et Le Soldat Laforêt
ne sortiront en salle que respectivement 2 et 4 ans après la création
de Unité 3, mal distribués et passant un peu inaperçus. Un destin assez
injuste notamment pour le film de Guy Chavagnac.
Le réalisateur
paie formellement son tribut au mentor Jean Renoir (nous ne sommes
d'ailleurs pas si loin des soldats sans but du Caporal épinglé (1962)
tout en inscrivant le film dans l'idéologie pacifiste des 70's. Le
scénario se déleste pourtant de tout message politique puisque ce n'est
pas la désertion mais plutôt son penchant à la rêverie qui sépare
Laforêt (Roger Van Hool) de son régiment dans la campagne de l'Aveyron.
Après de vaines tentatives pour le retrouver, Laforêt va alors
s'abandonner à la flânerie (avec ce moment symbolique où il troque son
casque de soldat pour un chapeau de promeneur pris sur un épouvantail),
se perdre et faire de singulières rencontres. Le contexte de la débâcle
de Juin 1940 où les familles avaient fuient leurs domiciles dans la
précipitation participent à l'atmosphère étrange où notre héros traverse
des villages désertiques, séjourne dans des maisons, églises et
châteaux abandonnés. Dès lors chaque rencontre est le reflet de cette
ère agitée et la manière dont chacun l'accepte. Laforêt croise ainsi la
route d'un adjudant (Bernard Haller) vivant nettement moins bien la
perte de son régiment et ayant sombré dans la paranoïa et la folie
douce.
L'émotion gagne avec cette touchante entrevue avec cet homme
(Jacques Rispal) mortifié par la solitude dans sa ferme, vivant dans le
souvenir de sa femme qui l'a quitté. Pourtant pas plus que cette épouse
disparue que l'arrivée imminente des allemands ne sauraient lui faire
quitter ces lieux auxquels il est temps attaché. C'est d'ailleurs là que
réside la plus belle réussite du film, les cadrages majestueux de Guy
Cavagnac et la photo aux teintes automnales/sépia de Georges Strouvé
donnant des allures de tableaux impressionniste à chaque image. Les
rayons du soleil traversent la pinède des forêts avec poésie et nuances
et les grands espaces ruraux s'offrent de façon absolument grandiose
dans les plans d'ensemble où se perd la silhouette de Laforêt. Cavagnac
réussit même le temps d'une scène le mariage parfait entre l'inspiration
picturale, cinématographique (on pense au Déjeuner sur l'herbe
de Manet tout comme au film de Renoir) et l'idéologie hippie du film
quand Laforêt va croiser des jeunes filles se prélassant nues et jouant
de la guitare pour leurs hommes en pleine nature.
Aucune
continuité narrative ni dramatisation concrète ne vient perturber le
rythme d'un récit fonctionnant sur le bonheur de l'instant, furtif et
éphémère. Dès que les choses pourraient prendre une tournure plus grave,
une ellipse ou un rire viendra désamorcer la possible tension. Tout
doit servir ce charme du moment, à l'image du triangle amoureux (avec
Francisco Rabal et une délicieuse Catherine Rouvel) où la rivalité
s'estompe vite. Dès que l'instinct de possession et d'exclusivité propre
au monde réel ressurgit, il sera temps de voguer vers d'autres
horizons. Le contexte historique semblerait presque s'oublier dans cette
ballade célébrant l'innocence et l'imagerie pastorale mais se rappelle à
notre souvenir dans un final abrupt. La gravité se dessinant sur le
visage si constamment insouciant de Laforêt jusque-là suffira à
comprendre que le rêve est fini et que la réalité reprend ses droits.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta
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