Si l’histoire riche et mouvementée des Cahiers du cinéma a suscitée moult ouvrages rétrospectifs, c’est
nettement moins le cas pour son grand rival Positif.
C’est l’immense tâche à laquelle s’attelle Edouard Sivière par une démarche
singulière. Son analyse sur l’histoire de la revue s’appuiera donc sur la
connaissance encyclopédique de la revue dont il possède toute la
collection et sur l’avis purement subjectif qu’il retire de son évolution. L’auteur
alterne ainsi histoire de la revue à travers sa fondation et son rythme de
publication, l’évolution de sa rédaction pour déboucher ainsi sur la
construction d’un ton, d’un choix de cinéastes défendus et finalement d’un
style Positif largement mis en valeur dans les nombreux extraits d’analyse.
Edouard Sivière divise l’odyssée de Positif en quatre grandes périodes. La première va de 1952 à 1965
et voit donc la fondation de la revue par Bernard Chardère. L’ancrage lyonnais
distingue déjà Positif loin de l’agitation
parisienne ainsi que ces membres emblématiques issus du surréalisme parmi
lesquels on trouve quelques personnalités comme Robert Benayoun et Ado Kyrou. C’est
une première ère instable tant par une parution chaotique (le rythme mensuel ne
sera vraiment tenu qu’à partir du début des années 60) que par un ton qui se
cherche. L’orientation à gauche de la rédaction rend ainsi parfois le point de
vue problématique sur certains films et le côté « en réaction » aux
aînés des Cahiers du Cinéma amorce là des dénigrements qui ne se verront
rattrapés que bien plus tard (Alfred Hitchcock ne retrouvant grâce qu’à partir
des années 70). Néanmoins Positif se détache par ses plûmes iconoclastes et une
excentricité qui ira en s’estompant (un numéro des 60’s consacré à l’érotisme
où les photos suggestives entrecoupent des textes imagés et fantasmés en ode
aux actrices), un intérêt déjà manifeste pour la cinématographie mondiale (les
cinémas tchèques, japonais, brésilien, indien ou russes étant déjà ardemment
défendus dans de riches contre-rendus de festival qui deviendront une des
spécialités de Positif) et de
passionnants retours vers le passé. Une plume d’importance signe son premier
texte en 1963 en la personne de Michel Ciment qui va bientôt marquer Positif de son empreinte.
C’est durant la seconde période qu’Edouard Sivère situe l’âge
d’or de Positif. C’est là que se
développe une identité forte et désormais détachée de la tutelle des Cahiers du
cinéma, non sans lancer quelques querelles mordantes par rédactions et textes
interposés. La revue se détache ainsi par sa défense du cinéma de genre alors
dénigré par l’intelligentsia (les textes enflammés que Robert Benayoun consacre
à la Hammer, les entretiens qu’il mène entre autre avec Roger Corman, Positif s’avérant un complément à la
plus spécialisée et légendaire Midi-Minuit Fantastique), accompagne toutes les
Nouvelles Vagues mondiales et bien que fustigeant l’intransigeance de la
politique des auteurs développe une relation privilégiée avec des réalisateurs
désormais estampillés Positif. L’art
du long dossier thématique, des entretiens fouillés et des textes analytiques
croisés se façonnera ainsi dans de grands numéros spéciaux mettant grandement
en valeur un Francesco Rosi, John Boorman, John Huston et bien évidemment
Stanley Kubrick. Le non rejet du classicisme et de la beauté formelle, l’expérimentation
au service du récit et une curiosité intacte permet ainsi déjà de détacher une
ligne Positif. Cela passera du coup
par une mise au ban d’un cinéma plus à la marge ou supposé faussement
moderniste dont la Nouvelle Vague Française fera les frais et plus
particulièrement Jean-Luc Godard - Claude Chabrol, Jacques Rivette ou Éric
Rohmer recevant un intérêt inégal au fil de la qualité de leurs productions ou
des réajustements bienvenus de la revue, un François Truffaut étant plutôt bien
traité dans l’ensemble. Une approche qui
lui vaudra à tort une réputation de dévouée au cinéma anglo-saxon, même s’il
est vrai que Positif fut un des
bastions de défenses du cinéma britannique toujours assez dénigré en France par
un suivisme d’une tirade méprisante de François Truffaut. En dépit de quelques
manques (Positif passe à côté de
David Lean, dénigrant dès les années 50 Brève
rencontre et ne creusant pas les réussites suivantes) tous les grands
mouvements, auteurs et films de cette grande période notamment le Nouvel
Hollywood (les Scorsese, De Palma, Coppola, Lucas étant défendus et rencontrés
dès leur premières réussites) sont suivis. L’ouverture d’esprit détone avec notamment Star
Wars (1977) ardemment défendu et faisant la couverture accompagné d’un
entretien avec George Lucas (tordant au passage les actuelles légendes urbaines
geeks comme quoi Star Wars aurait été
méprisé à sa sortie en France) et Robert Benayoun peut encore s’emballer sur le
cinéma porno naissant en vantant l’audace de Gorge profonde de Gerard Damiani.
Les troisièmes (1980-1996) et quatrièmes (1997-2016)
périodes poursuivent le travail de défrichage (tout le renouveau du cinéma américain du
début 90’s, l’émergence du cinéma asiatique de genre ou plus auteurisant des
Tsui Hark, Wong Kar Wai, Chen Kaige, Zhang Yimou, Tsai Ming Liang suivis de
près dès leurs débuts) et d’ouverture (un copieux dossier sur le cinéma d’action
américain en 1998 à l’occasion de la sortie de Titanic de James Cameron, traité
en profondeur) mais semble s’enfermer dans une certaine routine pour Edouard
Sivière. La ligne Positif défendue par Michel Ciment ainsi qu’une rédaction de
plus en plus élargie (et donc moins d’identité) empêche les élans et ruades d’autrefois
(si ce n’est dans les éditos toujours plaisamment rentre-dedans de Michel
Ciment), les choix se font moins affirmés. L’auteur dénonce du coup une forme
de révisionnisme d’un Michel Ciment dont les éditos donnent dans le
name-dropping célébrant la constance justesse de jugement de Positif (alors que les manques, oublis
et dénigrement injustifiés par l’Histoire du cinéma sont bien rappelés par
Sivière), quand il ne fait pas preuve d’un élitisme discutable dans le texte « Un
canon de de plus en plus lointain » qui dénigre l’importance nouvelle
accordée au cinéma de genre ou à la série B (pourtant défendue sans
condescendance aux premières heures de Positif). Cette stabilité met ainsi Positif à l'abri de certains errements des Cahiers du Cinéma (sans parler de la période maoiste, la plus récente passion pour Loft Story) mais révèle aussi une frilosité qui les rend moins aventureux que leur éternel rival, qui a le mérite de tenter (les dossiers sur les nouvelles images web, sur les séries, le giallo ou en plus navrant l'incompréhensible plébiscite du tâcheron Jan De Bont). C’est passionnant pour le
lecteur de la revue puisque Sivière traite autant des émetteurs (les mérites,
les caractéristiques et les failles des différentes plumes) que de la teneur
même des rubriques, nouvelles ou anciennes, novatrices (les texte de
réalisateurs consacrés à des figures de l’histoire du cinéma) ou qui n’ont plus
lieu d’être (le bloc-notes qui pouvait faire mieux connaître un rédacteur mais
où il s’avère finalement bridé). Un ouvrage captivant donc, à la subjectivité
assumée qui lui donne un punch et une identité qui en font plus qu’une simple rétrospective.
Paru aux éditions Euredit
Merci Justin pour ce bilan de lecture.
RépondreSupprimer^_^
Merci, ça devrait bien te passionner si tu es lectrice de Positif ;-)
SupprimerMerci pour cette belle synthèse. J'ai été un fidèle lecteur abonné de Positif entre 1976 et 1985 et complété ma collec avec les années précédentes. Les années 70 sont vraiment l'âge d'or de la revue. Le cinéma de l'époque était aussi tellement riche que ça aide..Je le lis depuis de temps en temps selon les dossiers..
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