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mercredi 28 juin 2017

Les Corps sauvages - Look Back in Anger, Tony Richardson (1958)

Jimmy a épousé Allison contre la volonté de ses parents. Le jeune couple mène une existence précaire dans une petite ville du nord de l'Angleterre, en compagnie de Cliff. Les deux hommes sont des marchands ambulants, passionnés de jazz. Jimmy est un éternel insatisfait et ses accès de tendresse alternent avec des scènes violentes. Il reproche à Allison sa passivité. La jeune femme n'ose lui avouer qu'elle attend un enfant...

Look back in anger peut en quelque sorte être considéré comme le film fondateur du Free Cinema britannique. Le mouvement naît de la rencontre de Tony Richardson et Karel Reisz au sein de la revue Sequence les deux jeunes hommes partagent une même volonté de bousculer le cinéma anglais trop traditionnel. Plus tard rejoint par Lindsay Anderson, ils fondent donc le Free Cinema en 1955 et l'un de leurs premiers travaux sera le court-métrage documentaire Momma Don't Allow sur les clubs de jazz du nord londonien. En attendant d'avoir sa chance au cinéma, Tony Richardson intègre le Royal Court Theatre de Londres où il popularisera l'œuvre du dramaturge John Osborne en mettant en scène Look back in anger. John Osborne peut être considéré avec notamment Alan Sillitoe comme un des pères littéraire du Free Cinema, élevant la figure contestataire du angry young man dans le paysage anglais. Lorsque la J. Arthur Rank achète les droits de Look back in anger, la production capotera car John Osborne impose Tony Richardson à la réalisation malgré son inexpérience au cinéma car il estime qu'il est le seul à pouvoir la transposer fidèlement. Harry Saltzman tout aussi dubitatif sur les capacités de Richardson mais grand admirateur de la pièce accepte le deal et produira donc le film.

Look back in anger est donc un kitchen sink drama se nouant autour du couple tumultueux formé par Jimmy (Richard Burton qui a accepté de baisser ses émoluments hollywoodien pour le rôle) et Allison Potter (Mary Ure). Jimmy a arraché Allison d'un milieu nanti pour un modeste foyer conjugal dans un meublé et gagne sa vie en vendant des confiseries sur un marché. Jimmy nourrit à la fois un complexe, une insatisfaction et un doute perpétuel quant à cette union "illégitime" et la vie qu'il offre à son épouse. Dès lors toute allusion, souvenir des origines ou de la famille d'Allison est sources de rages intense et de crise de jalousie fiévreuse et infantile de la part de Jimmy. La tendresse et le désir ardent alternent ainsi avec cette furie et ce dès le début du film. Jimmy de retour d'un concert de jazz semble déjà comme exalté à la seule idée de retrouver sa femme qu'il dévorera ardemment des yeux avant de la réveiller tendrement pour une étreinte.

Ce moment fusionnel vole pourtant en éclat au réveil quand il tombe sur une lettre d'Allison à sa mère, le foyer devenant un nœud de rancœurs que peine à calmer le meilleur ami et colocataire Cliff (Gary Raymond). A cette fureur perpétuelle de Jimmy répond une soumission et apathie constante d'Allison qui ne fera qu'envenimer la situation. Cela laisse en effet croire à une résignation qui ne fait que renforcer le doute de son époux. Tony Richardson instaure une atmosphère d'une incroyable tension psychologique, porté par une prestation électrique de Richard Burton. La dimension sociale reste habilement sous-jacente, le verbe assez recherché de Burton jurant avec son métier modeste. On peut donc supposer une éducation supérieure (les autres protagonistes l'appelant constamment à changer de métier) mais dont les origines prolétaires empêche d'exploiter. C'est en partie une des raisons de la rage du personnage dont finalement le seul signe d'élévation sociale est cette épouse aristocrate qu'il a "kidnappé".

 La situation s'envenimera à la fois par la grossesse qu'Allison n'ose avouer à son tempétueux mari, mais aussi par la présence de la meilleure amie Helena (Claire Bloom qui retrouve Richard Burton après Alexandre le Grand (1956) et avant L'Espion qui venait du froid (1965) actrice dont la prestance et diction bourgeoise ravive les complexes de Jimmy. Tony Richardson parvient bien à dynamiser la structure théâtrale en se reposant sur la présence animale et imprévisible de Richard Burton dans toutes les scènes d'appartement. Hargneux, aimant et toujours inconstant, Burton est étincelant en écorché vif ne sachant pas où il va. On saisit bien que toute cette haine qu'il dégage se dirige avant tout vers lui malgré ce qu'il fait subir à son épouse. Par de jolies trouvailles sur les jeux d'ombres, sur la manière de séparer les personnages dans ce décor unique (notamment lorsque Jimmy s'isole pour jouer de la trompette), Tony Richardson échappe à un côté trop figé malgré la dominance du dialogue.

Mieux, il donne à voir pour le pire et le meilleur une photographie de l'Angleterre cosmopolite d'alors. Les clubs de jazz enfumés et à la festivité mixte et interraciale alterne ainsi avec le racisme ordinaire où un émigrant indien est rejeté et harcelé (Donald Pleasence détestable agent de contrôle tatillon) dans le marché où travaille Jimmy. Notre héros voit sa rébellion sans but tourner à vide faute de vrais antagoniste dans cette Angleterre endormie et nostalgique de son passé colonial évoqué avec le père de Allison. C'est donc très subtil, captivant et déroutant (le triangle amoureux inattendu) dans un récit où se disputent constamment la passion et la résignation, notamment dans un très beau final. Même si le film ne rencontrera pas forcément un grand succès, les graines du Free Cinema étaient plantées et annonçaient les chefs d'œuvre à venir.

Sorti en dvd zone 2 français chez Doriane Films 

mardi 27 juin 2017

Sex and Zen - Yu pu tuan zhi: Tou qing bao jian, Michael Mak (1991)

Dans la Chine médiévale, la virilité est signe de puissance : si un noble constate que son domestique possède un membre plus imposant que le sien, celui-ci peut se fâcher tout rouge. C'est ce qui arrive au valet de Ming (Lawrence Ng), blessé dans l'entrejambe par son maître d'un coup de couteau. Pris de regret, le maître conduit le blessé chez un guérisseur-sexologue un peu obèse mais surtout très fou (Kent Cheng) ! Le remède de ce zinzin : greffer un zizi de cheval qui en pleine forme atteint la respectable longueur de 50 centimètres, quelle forme ! Adepte de la mini-guillotine pour l'amputation de l'ancien membre, il faut un orage obligatoirement pour que le praticien rentre en transe et que l'opération soit possible. Maintenant bien monté, Ming peut enfin culbuter sa femme ainsi que d'autres demoiselles qui ne résisteront pas à l'animal.

Une des raisons du succès du fameux Histoires de fantômes chinois de Ching Siu Tung et Tsui Hark (1987) était son mariage réussi en fantastique, romance, renouveau du récit en costume et un érotisme ouaté et délicat apportant un piquant inattendu à l'ensemble. On y conservait un raffinement esthétique auquel s'ajoutait cette dimension érotique qu'on trouvait déjà dans certaines des meilleures réalisations de Chu Yuan à la Shaw Brothers comme Intimate Confession of a Chinese Courtesan (1972) ou Le Complot des clans (1977) Sex and Zen reprend ces éléments de recherche formelle, érotisme et même quête initiatique mais en déplaçant complètement le curseur. Il faut dire que le film s'inscrit dans la fameuse Catégorie 3, cette classification à la marge autorisant tous les excès au sein du cinéma hongkongais. Sex and Zen adapte donc le classique de la littérature érotique chinoise La Chair comme tapis de prière écrit par Li Yu au 17e siècle. Le film reprend les préceptes charnels du roman qui constituait une véritable charge contre le puritanisme du confucianisme.

L'aspect intéressant sera la manière dont la grivoiserie (marquée par le toujours très gras humour cantonais) se mariera à ce visuel stylisé et au respect du propos du roman. Le récit met en parallèle les destins de différents personnages n'existant que pour l'assouvissement de leur libido. Le jeune noble Meng (Lawrence Ng) n'a ainsi, malgré les avertissements de son maître, comme unique but que de séduire et faire découvrir le plaisir au plus de jeunes femmes possible. L'entreprise commencera par sa nouvelle épouse réticente mais qui au bout de quelques mois d'initiation deviendra une véritable chatte en chaleur insatiable. Dès lors d'autres conquêtes s'imposent mais Meng va être confronté à un problème de taille, précisément celle de ses attributs qui le complexe. Le recours à un chirurgien farfelu expert en greffe improbable va faire de notre héros un étalon au sens propre du terme, auquel plus aucune femme ne résistera. Le film évite le machisme inhérent au Pinku Eiga japonais avec une bonne dose de second degré tournant en ridicule toutes les démonstrations de virilité des personnages masculins.

La scène de greffe est monument de grotesque et d'excès graveleux, et les coïts les plus intenses tout en montrant la testostérone surdimensionnée des hommes, la fustige et la moque. Cela se fera en déployant ces tares masculines à travers les différents protagonistes, que soit la vanité de Meng ou la brutalité de Wong Chut (Elvis Tsui) pour lequel "satisfaire" sa femme relève de la soumission avilissante. Toute la trame fonctionne ainsi, à la fois dans des séquences érotiques qui renversent de plus en plus les rapports de force homme/femme (Meng entraîné vers un inattendu trip SM par une amante, et desséché à la manière du Calmos (1976) de Bertrand Blier par une horde de harpies en rut) mais aussi la structure du récit où comme une boucle les hommes se retrouvent et paient chèrement leurs excès. Le final étonnement dramatique et moral remet tout ce qui précède en question et finalement s'avère à contre-courant du message du roman.

Visuellement Michael Mak offre un spectacle haut de gamme et surprenant par son approche explicite qui se démarque de l'érotisme chichiteux de Hong Kong. Chaque scène érotique constitue un écrin savamment amené par le réalisateur laissant monter la tension, l'explosion se faisant dans des compositions de plan stylisée - notamment en reproduisant l'iconographie érotiqu chinoise classique. Plus le récit avance, plus ces scènes de sexe semblent s'éloigner de la réalité. Michael Mak a bénéficié d'un budget conséquent, alternant par intermittence la vraie classe des reconstitutions de la Film Workshop de Tsui Hark avec une esthétique plus vulgaire et tapageuse. A certain moment très crus et riche en détails salés (un instrument qui vient pimenter la teneur d'une scène lesbienne épique) succèdent d'autre plus surréalistes et onirique notamment le final où Meng est séquestré par des jeunes femmes le brisant dans sa toute puissance.

Les actrices sont toutes magnifiées par un Michael Mak (venu du cinéma d'action et donc assez brillant pour dynamiser l'ensemble) qui multiplie les effets de cadrages, de lumière, d'insert lascif pour faire monter la tension érotique. Il parvient ainsi à distiller quelques moments réellement singuliers (et des idées folles comme faire doubler les scènes érotique des actrices japonaises plus ardentes), et revisite même en plus corsé des scènes cultes d'autres films (la scène de la bassine de Histoire de fantôme chinois prend un tour bien moins chaste). Au final un spectacle drôle, excitant et sans doute le film érotique le plus chiadé formellement d'un genre qui en compte finalement bien peu.

Sorti en dvd zone 2 français chez HK Vidéo 

vendredi 23 juin 2017

Génération Propaganda: L’histoire oubliée de ceux qui ont conquis Hollywood - Benoit Marchisio



L’ouvrage de Benoit Marchisio se penche sur une révolution esthétique et culturelle certes moins célébrée que le Nouvel Hollywood de la décennie précédente, mais tout aussi importante. L’arrivée des clippeurs au cinéma à l’orée des années 90 concrétisera ainsi, avec des fortunes diverses, leur impact sur la culture populaire. L’auteur se penche plus précisément sur Propaganda, entité emblématique de par ses personnalités (David Fincher, Michael Bay, Mark Romanek…) et les images indélébiles qu’elle contribua à créer à travers ses publicités et clips pour les artistes les plus prestigieux des 80’s (Guns’n’Roses, Madonna, Janet Jackson…). Propaganda, fondée par des jeunes loups aux dents longues rêvant de cinéma trouvait ainsi un équilibre idéal entre culture de masse et intégrité artistique puisque les expérimentations formelles les plus audacieuse s’immisçaient dans les foyers par le biais de spot pour des marques prestigieuses (Coca-Cola, Nike…) et les clips en rotation lourde sur MTV.

L’auteur dépeint dans le détail le contexte qui permit cette bascule et notamment par les mutations de l’industrie musicale. La création et le succès de MTV amène une demande exponentielle en image pour alimenter la grille quotidienne et crée une bulle dans le marché alors balbutiant du clip. Quelques réalisateurs aux parcours divers se distinguent alors et décident de fonder leur propre compagnie, Propaganda qui sera le terreau créatif qui tracera leur chemin vers Hollywood. Benoit Marchisio tout en narrant de façon précise et accessible les méandres du business qui guident l’ascension de Propaganda (participation de Polygram, relation avec les agents, dividendes) est également allé interroger les participants à l’aventure. Si certaines figures emblématiques manquent à l’appel (David Fincher de plus en plus rétif aux entretiens ces dernières années, Spike Jonze), toute une flopée d’interlocuteurs côtés art et souvent méconnus/oubliés (Dominique Sena star du clip bien rentré dans le rang au cinéma, l’anglais Nigel Terry, David Hogan…) viennent narrer les aspects les plus secrets de cette période folle ainsi que des dirigeants faisant leur premier pas avant un destin glorieux (Steven Golin futur double Oscarisé en produisant The Revenant et Spotlight récemment).

Le succès et les innovations de Propaganda s’inscrivent ainsi dans un contexte que ses créateurs sont les seuls à comprendre en offrant aux jeunes générations des images inédites. Tout matériau, artiste ou marque est ainsi l’occasion pour les réalisateurs d’expérimenter un maximum tout en servant le « produit » filmé. C’est l’ère du high concept où une idée simple se voit filmée de la manière la plus stylisée et esthétisante possible, le brio technique ne se délestant jamais d’un côté tape à l’œil voire vulgaire pour marquer immédiatement les esprits. Benoit Marchisio analyse en profondeur les morceaux de bravoures les plus impressionnants de Propaganda (et la lecture incitera aux longues heures à passer sur Youtube) où se marient cet amour de la belle image, ce croisement du classique et de l’ancien, de la grâce et de la vulgarité.

Le clip Express yourself de Madonna signé David Fincher sous influence Metropolis/Blade Runner (traumatisme esthétique pour toute cette génération), la grandiloquence des Guns’n’Roses filmée par Nigel Terry, les débordements rococo et sexy de Michael Bay sur I'd Do Anything For Love (But I Won't Do That) de Meat Loaf ne sont que quelques exemples de cette folie qui annoncent la future carrière cinématographique de certains (la caméra baladeuse de Panic Room (2002) déjà usée par Fincher dans un clip de Steve Winwood).


L’émulation créatrice et les excès divers témoignent des personnalités de chacun (Michael Bay égal à lui-même d’après l’image que donne à voir ses films, Dominic Sena renonçant régulièrement à ses salaires pour compléter sa vision de chaque clip) avec de beaux exemples de débordements hollywoodiens même si Marchisio ne tombe jamais dans le gossip et le règlement de compte à la Peter Biskind. Des choix hasardeux, des occasions manquées (David Fincher revenant au bercail pour The Game (1997) qui sera malheureusement un échec commercial) et un mauvais timing malheureux (Dans la peau de John Malkovich (1999) premier vrai et grand succès commercial au cinéma alors que Propaganda vit son crépuscule) conduiront pourtant à la chute de la compagnie. En dépit d’une influence majeure au cinéma et à la télévision (la série Twin Peaks et le palmé Sailor et Lula (1990) de David Lynch) Propaganda n’aura pas su endosser seul ses apports, le mariage avec le cinéma ne fonctionnant qu’avec le chapeautage d’un vrai producteur (Jerry Bruckheimer prenant Michael Bay sous son aile à partir de Bad Boys (1995)) ou le génie de ses créateurs parti s’épanouir ailleurs (David Fincher évidemment). Dès lors reste une belle odyssée du cinéma contemporain superbement narrée par Benoit Marchisio dans cet ouvrage captivant.

Edité chez Playlist Society

mercredi 21 juin 2017

Phantasm - Don Coscarelli (1979)


Orphelin depuis peu, Mike découvre que des faits étranges se déroulent dans le cimetière de Morningside. Il remarque un croque-mort à l’allure sinistre porter des cercueils comme s’il s’agissait de simples boîtes de carton, puis de petites créatures encapuchonnées aux activités pas moins suspectes… Effrayé mais curieux, aidé de son ami Reggie, Mike cherche à savoir ce qui se passe réellement. Il n’est pas au bout de ses surprises.

Dans le renouveau du cinéma d’horreur américain de la fin 70’s et du début 80’s, Phantasm tient une place à part. Loin de la maîtrise filmique et narrative du Halloween de John Carpenter (1978), aux antipodes de la comédie noire poisseuse d’un Massacre à la tronçonneuse et bien éloigné de la frénésie cartoonesque et gore qui aura cours dans le Evil Dead de Sam Raimi (1981). Les deux premiers films de Don Coscarelli ne s’inscrivent pas dans le genre mais c’est en tournant une scène de peur dans le second, Kenny & Company (1976) qu’il y prend goût et décide d’orienter son film suivant dans cette direction. Ce sera donc Phantasm où s’entremêle l’attrait de Don Coscarelli pour le surréalisme, avec une inspiration assumée qui oscille entre la nouvelle La Foire des ténèbres de Ray Bradbury et le classique SF Les envahisseurs de la planète Mars de William Cameron Menzies (1953) pour l’enfance confrontée au surnaturel.

Le tournage à l’économie sera de longue haleine au vu de l’ambition du réalisateur mais ce manque de moyen sert finalement  l’atmosphère du film. Ce qui semble constituer des défauts et un certains amateurisme (montage abrupt, transition hasardeuse…) donne progressivement une tonalité de rêve éveillé au récit. L’étrange s’invite dans la réalité des scènes de jour, que ce soit ces ombres furtives se dissimulant derrière les tombes du cimetière voisin où l’intimidante présence du Tall Man (Angus Scrimm). Plus tard les scènes de nuit donneront dans une même bizarrerie suscitant une angoisse latente où Coscarelli cherchent clairement laisser croire à une réalité alternative. Celle-ci relève donc du songe par son abstraction narrative (personnage et situation répétitives et limitées, croyance immédiate de chacun à la menace surnaturelle) et formelle. 

Les environnements limités du récit (le cimetière, la maison et la demeure du Tall Man) amènent une claustrophobie et un sentiment de vase-clos onirique qui se ressent notamment dans les séquences nocturnes dont la photo vaporeuse et bleutée évoque un filtre au réel ou une ombre où se confine la menace innommable (tous les passages en voiture). Cette ambiguïté dans la perception est autant dû à explication psychologique (tout ce qui tourne au rapport entre les deux frères, le film parait assez autobiographique de l’admiration de Coscarelli pour son frère et sa peur de le perdre) que purement fantastique, la seconde découlant peut être de la première pour supporter un réel trop douloureux à accepter.

Toujours est-il que Coscarelli sait distiller quelques beaux moments de frayeurs, l’inventivité surmontant toujours les moyens limités (la transformation du doigt du Tall Man en infâme insecte) tandis que l’épure visuelle donne un cachet unique au film. Les choix des design de certains décors et notamment leur couleur (la salle des cercueils), les compositions de plan faisant apparaître la menace puis jouant sur l’attente au lieu d’une la peur plus directe (la cultissime scène où la massive silhouette du Tall Man se dessine dans l’arrière-plan de Mike et qui attend un court laps de temps avant de se lancer à ses trousse) participent donc à ce malaise ambiant. Toute la progression du film tend à retirer progressivement une couche de concret pour laisser voir un ailleurs furtif, puis entrevu dans une passionnante et alors très novatrice évocation des mondes parallèles ou inter dimensionnels – représenté par l’emblématique objet de la sphère. 

On est plus proche des travaux d’un Stephen King (le roman Insomnie semble s’être largement inspiré de Phantasm ente autre) que d’un Lovecraft auquel on aurait pu penser. La présence macabre d’Angus Scrimm (qui conçoit là un méchant emblématique du fantastique qui lui collera à la peau) ramène à un imaginaire gothique assumé (sa fonction de croque-mort, une brève allusion à ses origines) mais aussi quelque chose d’autre plus insaisissable, glacial et inquiétant. La seule frustration sera sur tout le potentiel possible et inexploité dans le postulat mais que Coscarelli creusera bien plus dans les quatre suites.

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez ESC 

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