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mardi 29 août 2017

La Ballade du soldat - Grigori Tchoukhraï (1959)


Pendant la Seconde Guerre mondiale, Aliocha, un jeune soldat russe s’étant distingué sur le front, se voit offrir une décoration. Il refuse toutefois ce grand mérite et, au lieu de cela, demande à obtenir une permission pour rendre visite à sa mère. Son voyage est long et difficile : il doit sauter de train en train, et de nombreux obstacles lui font prendre du retard. Et puis il fera la rencontre de Choura, jeune fille voyageant dans la même direction que lui. Pendant le trajet, tous deux font connaissance, et tombent amoureux.

Après le succès du Quarante et unième  (1956), Grigori Tchoukhraï aborde de nous la guerre avec ce second film. Si le mélodrame et le romanesque imprègnent également La Ballade du soldat, il ne s’agira pas de les ériger en rempart de l’idéologie mais plutôt pour émouvoir sur les conséquences de la Deuxième Guerre Mondiale sur le peuple russe. Tchoukhraï et son scénariste  Valentin Ezhov ont connus le front (Tchoukhraï ayant même été décoré) et souhaite traduire leur expérience non pas du combat, mais des amitiés nouées et de la douleur de perdre des camarades aimés au combat. Le choix radical de filmer un film de guerre sans guerre ne passe pas auprès du comité de censure et le réalisateur ajoutera ainsi la spectaculaire scène d’ouverture où le jeune Aliocha (Vladimir Ivachov) se distingue détruisant deux tanks. Le héros refuse la décoration militaire promise pour obtenir la permission d’aller rendre visite à sa mère. Dans un pays à feu et à sang, ce bref retour constituera une véritable odyssée. 

 La voix-off tout en lyrisme nous annonce d’entrée qu’Aliocha a péri durant le conflit et n’a jamais pu revoir sa mère. Dès lors le récit ne reposera pas sur un quelconque suspense quant au sort de son héros condamné, mais formera une véritable boucle poétique (le film s’ouvre et se conclut sur l’image de la route menant au village d’Aliocha) où il s’agira de saluer l’éphémère beauté des rapports humain à travers les différentes rencontres d’Aliocha. Les conséquences du conflit sur les soldats, leur famille et la population russe se dévoilent par diverses situations. Le retour impossible et douloureux d’un soldat amputé (Evgueni Ourbanski) donne à réfléchir quant à l’avenir des vétérans, leur estime de soi en berne et leur place dans la société. Les meurtrissures intimes trouvent toujours écho dans le collectif, le blessé ayant renoncé à rentrer dans cet état se voyant conspué par la jeune femme du guichet (auquel il envoyait le télégramme de son non-retour à sa femme) dont la détresse laisse deviner qu’elle espère aussi le retour de son homme. On retrouve cette facette collective quand Aliocha ira donner du savon et des nouvelles à l’épouse d’un camarade. La traversée d’une ville en ruine exprime par l’image les privations et les conditions de vie précaire, avant que la tendresse puis l’ingratitude se révèlent en croisant l’épouse infidèle puis le père du camarade. 

Tchoukhraï malgré ce contexte et l’issue tragique annoncée offre pourtant un film lumineux, plein d’espoir et véritable ode à la jeunesse. Chaque protagoniste torturé ou situation difficile rencontré seront toujours surmonté par la fougue d’Aliocha. Cette fougue juvénile et cet élan irrépressible à retrouver sa mère confère au personnage une bienveillance contagieuse qui redonne courage au diverses personnalités qu’il croise et suscite un même sentiment en retour quand il sera également en difficulté. Cette idée s’accomplit pleinement dans la belle histoire d’amour qu’il noue avec Choura (Janna Prokhorenko), une jeune femme voyageant clandestinement dans le même train. La naïveté, la candeur et la maladresse de cette romance naissante passe par l’humour et une complicité que le réalisateur fait avant tout passer par l’image. Le dévouement et la gentillesse d’Aliocha émeuvent Choura, la promiscuité, la complicité et le regard changeant se faisant au fil du voyage. 

Le dialogue accompagne plus qu’il n’explicite les sentiments (le bel échange final où Choura avoue aller voir sa tante et pas un fiancé, soit une déclaration d’amour indirecte) et Tchoukhraï se plaît à confronter ces visages et corps innocents qui se frôlent et s’observent, de moins en moins réticent à s’unir. Cette approche simple se ressent dans le ton évitant toujours la mièvrerie, mais aussi dans l’épure de la mise en scène où qui s’éloigne de la stylisation extrême du Quarante et unième. La tragédie et le picaresque s’entremêlent constamment au fil des péripéties, une rencontre loufoque (cette vieille femme conduisant un camion hors d’âge sur les routes boueuses) alternant avec un bombardement qui décimera une famille. C’est à l’image du film qui montre un héros positif mais que l’on sait condamné, la guerre ayant arraché cette jeunesse à son futur – symboliquement représenté par ce voyage qui donne  voir l’homme qu’il aurait pu être. Cela ne rendra que plus poignantes encore le final où Tchoukhraï fige son héros dans cette image juvénile tout en laissant planer une mélancolie marquée par la répétition de la dernière image. 

Le film connaîtra un destin mouvementé, tout d’abord durant son tournage. Tchoukhraï se blesse gravement le genou dès le premier jour de production en tournant la scène de guerre d’ouverture. Durant sa convalescence, il remanie son casting peu conforme à l’ode juvénile voulu (le studio Mosfilm lui ayant imposé son héros du Quarante et unième Oleg Strijenov mais dont le port trop aristocratique jurait avec le personnage, en plus d’être trop âgé) mais l’équipe pensant travaille sur un projet avec des stars quitte en partie le navire. Après d’âpres négociation avec la Mosfilm le tournage reprendra pour aussi s’interrompre encore quand Tchoukhraï contracte la fièvre typhoïde. Le film enfin tourné déplaira par son aspect apolitique (la mort d’Aliocha pas montrée mais simplement évoquée en voix-off, la scène où les soldats offrent leur part savon pour l’épouse d’un camarade laissant à penser que l’Armée Rouge est sale) et le studio restreint la sortie à un circuit parallèle qui exclut les grandes villes (Moscou, Saint-Pétersbourg) et se tourne vers les villages, provinces, et autres ciné-club locaux. Lorsqu’un sondage aura lieu en fin d’année sur le film préféré des russes, coup de théâtre avec le choix massif de La Ballade du soldat, film passé sous les radars critiques du fait de cette diffusion. Le film se voit ainsi miraculeusement réhabilité et est envoyé à Cannes où il recevra le Prix de la Meilleure participation pour la sélection soviétique. Ce sera également un grand succès dans les salles françaises où il totalise 2 millions d’entrées.

Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine 


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