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mardi 5 septembre 2017

Évolution - Lucile Hadzihalilovic (2015)


Nicolas, onze ans, vit avec sa mère dans un village isolé au bord de l’océan, peuplé uniquement de femmes et de garçons de son âge. Dans un hôpital qui surplombe la mer, tous les enfants reçoivent un mystérieux traitement. Nicolas est le seul à se questionner. Il a l’impression que sa mère lui ment et il voudrait savoir ce qu’elle fait la nuit sur la plage avec les autres femmes. Au cours des étranges et inquiétantes découvertes qu’il fera, Nicolas trouvera une alliée inattendue en la personne d’une jeune infirmière de l’hôpital…

Onze ans après le troublant Innocence, Lucile Hadzihalilovic signait enfin son second film avec Évolution pour un résultat tout aussi fascinant. Tout comme dans Innocence la réalisatrice dépeint un espace isolé et abstrait où vivent des enfants, cadre servant une nouvelle fois une métaphore sur la puberté et le passage à l’âge adulte. Innocence en transposant la nouvelle de Frank Wedekind de 1888 aux années 60 se référait ainsi à la propre enfance de Lucile Hadzihalilovic. La préciosité des environnements, le fétichisme sur les uniformes des fillettes, leurs jeux et activités relevait donc de ce souvenir tout en l’emmenant vers un mystère plus trouble. Évolution naît également d’un souvenir d’enfance marquant pour la réalisatrice, le séjour à l’hôpital et l’opération de l’appendicite qui subit à l’âge de onze ans (âge clé dans ses deux films). Cette première expérience d’un corps touché, manipulé et « ouvert » par des étrangers irrigue le film sur différents points.

 Évolution dans cette idée du rapport aux corps est un film plus organique et sensoriel qu’Innocence. Ce sera le cas tout d’abord par son environnement avec cette île isolée et hors du temps, la photographie de Manuel Dacosse donnant à la mer, sa faune et ses falaises des contours qui semblent presque ceux d’une autre planète ou d’un univers parallèle. Il en va de même pour le cadre hospitalier où de même choix formels marqués en font un espace à la fois réaliste et cauchemardesque, la blancheur clinique des uniformes d’infirmières contrebalançant avec la texture verte oppressante des murs, les chairs à vif alternant avec les instruments médicaux vu comme des objets de tortures. Tout cela est amené progressivement dans ces lieux étranges où des jeunes garçons sont surveillés plus qu’élevés par des femmes/nymphes à l’allure uniforme et au teint pâle. L’aspect médical inquiétant est amené par les repas informes et le traitement que doivent suivre les enfants déambulant sans but sur cette île. Le héros Nicolas (Max Brebant) est pourtant méfiant est alerté par les mœurs curieuses de ces mères/geôlières à la bienveillance inquiétante. 

Tous ces questionnements se manifestent par l’image, le spectateur constant les dysfonctionnements avec son personnage principal et ceux-ci se révélant en situation et sans dialogues explicatifs. Les visions étranges (le cadavre sous-marin, l’étoile de mer au mouvement incertain), la répétitivité des situations (l’instance des femmes à faire suivre le traitement aux enfants) et la caractérisation des femmes (qui hormis Julie Parmentier et Roxane Duran semblent constituer une entité uniforme) distillent peu à peu cette inquiétude. Lorsque les garçons exprimeront une curiosité et indépendance inhérente à leur âge et transformation qui en découle, ils seront isolés et enfermés à l’hôpital car désormais mûrs à endosser leur « fonction » biologique. Cette dimension organique est donc corporellement intrusive et traumatisante pour les enfants et Lucile Hadzihalilovic multiplie les visions de chairs malmenées de façons froide ou à vif. C’est une souillure qui inverse également les genres et altère la notion d’humanité en rendant universels des maux plus spécifiquement féminins de façon inquiétante.  

L’autre intérêt du film est d’opposer cette notion organique à celle de l’intellect et du libre-arbitre. Cela s’incarne dans les deux figures féminines avec la « mère » (Julie-Marie Parmentier) froid prolongement de ce monde ou les individus et les chairs s’entremêlent dans une même agression. A l’inverse Stella (Roxane Duran) se montre curieuse de l’imaginaire de Nicolas à travers ces dessins, le stimule et l’extrait de cette neutralité oppressante. Dès lors Lucile Hadzihalilovic alterne l’imagerie clinique et uniforme des enfants cobaye avec des séquences poétiques où Nicolas s’évade avec Stella dans des créations envoutantes rattachées à ce monde sous-marin. 

Les compositions de plans majestueuses isolent Stella et Nicolas, les lents mouvements de caméra les accompagnent dans leurs pérégrinations marines et la réalisatrice capture une tendresse ambigüe synonyme de premiers émois érotiques. C’est une proposition de cinéma fantastique à la fois exigeante et laissant libre cours à l’attention et l’imaginaire du spectateur, y compris dans une conclusion muette absolument magnifique. Une continuité et un renouvellement passion des pistes amorcées dans Innocence. On espère ne pas avoir à attendre encore onze ans pour le prochain film de la talentueuse Lucile Hadzihalilovic. 

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Potemkine 

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