Dans un collège du Connecticut, Prudence
(Suzanne Pleshette), jeune assistante bibliothécaire, est réprimandée
par ses supérieurs pour avoir conseillé à une étudiante un livre
"sulfureux", Lovers must learn. Ne souhaitant pas rester en place auprès
de collègues aussi pudibonds, elle décide de partir en Italie où elle
espère trouver du travail et surtout avoir une aventure sentimentale.
Rome Adventure est le quatrième et dernier des mélodrames juvéniles de Delmer Daves après A Summer place (1959), La Soif de la jeunesse (1960 et Susan Slade
(1961). En apparence il semble le plus léger par son imagerie de carte
postale, atmosphère estivale et sa romance presque sans heurt aux
antipodes des rebondissements grandiloquents et du trouble sexuel
tourmenté des films précédents du cycle. Ces derniers étaient des coming of age
où la dimension sexuelle servait de révélateur aux questionnements des
personnages, que ce soit dans l'adulte qu'ils aspiraient à être,
surmonter leur éducation et affronter l'inquisition morale de cette
société américaine puritaine des années 50/60. Rome Adventure
reprend les mêmes thèmes, mais en se délocalisant à Rome se déleste de
tous les effets outrancier du mélodrame hollywoodien et fait preuve
d'une même profondeur tout en arborant un ton plus apaisé. Delmer Daves
adapte là le roman Lovers Must Learn de
Irving Fineman (paru en 1932) dont il acquiert les droits en 1957. Le
film était initialement censé respecter le cadre du livre à Paris et
réunir Natalie Wood et Troy Donahue, les réécritures et aléas de
production déplaçant l'intrigue en Italie et le lead féminin repris par Suzanne Pleshette.
Rome Adventure
est une illustration et un questionnement de l'idéal romantique où la
ville de Rome sert de révélateur à la fois magnifié et trompeur. La
jeune Prudence (Suzanne Pleshette) y fuit la rigueur morale américaine
dans un voyage en solitaire où elle espère vivre ce trouble amoureux qui
la captive dans les livres (le roman d’Irving Fineman étant
explicitement cité dans le film même qui l'adapte). Le film surprend par
sa reprise et son détournement d’autres fameuses romances
cinématographiques italiennes. On pense par exemple au Vacances à Venise de David Lean (1955), notamment par la présence de Rossano Brazzi qui incarne également chez Daves le même cliché de latin lover
bellâtre et vieillissant. Le côté lourdement entreprenant (sa manière
de lorgner la chemise de nuit de Prudence dans la cabine du bateau) et
le ton forcé des embryons d'instants romantiques entre lui et Prudence
donnent une dimension factice et cliché à l'aura sentimentale de la
ville. Si Rossano Brazzi pouvait être un réconfort furtif pour la
vieille fille Katharine Hepburn dans Vacances à Venise,
la jeune et rêveuse Prudence qui a toute la vie devant elle aspire à
plus et comme le souligne un dialogue "n'entend pas les cloches"
lorsqu'il l'embrasse.
L'autre aspect étonnant est la manière dont Daves
se déleste totalement du stéréotype pittoresque italien (tout juste trouvera t on la servante italienne très
maternelle de la pension mais qu'on verra peu) qui faisait grandement le
sel du Vacances Romaines de William Wyler
(1953), les excès ajoutant au charme du dépaysement du personnage enfin
libre d'Audrey Hepburn. Le réalisateur troque l'urgence et la gouaille
latine pour une langueur contemplative et apaisée suivant les
pérégrinations de Prudence et Don (Troy Donahue) dans Rome, puis une
Italie estivale et carte postale. Les longues plages de déambulations se
succèdent dans des paysages magnifiés par les cadrages somptueux de
Daves, la photo subtilement solaire de Charles Lawton Jr., les envolées
délicates du score de Max Steiner et bien sûr la beauté juvénile du
couple. Tous les monuments les plus fameux y passent, parfois soulignés
par un commentaire échappé d'un documentaire touristique ou alors
joliment détournés comme lorsque Don et Prudence rejouent Roméo et Juliette sur un balcon de Vérone.
Le
voile d'ombre est jeté par la question sexuelle, attirante, sulfureuse
et coupable pour Prudence. Quand les extérieurs expriment la plénitude
du couple, les intérieurs ramènent le voile d'ombre de ce qui
constituerait un aboutissement attendu et une perdition. Lyda (Angie
Dickinson), sulfureux premier amour de Don n'apparait que dans des
scènes d'intérieurs synonymes de frustrations (le train où elle quitte
Don au début), de tentations (les retrouvailles dans sa chambre) et de
souvenirs sensuels (Prudence qui découvre le passif de Lyda et Don dans
sa chambre à la fin). On peut ajouter aussi l'apparition du trompettiste
Al Hirt, véritable ogre entretenant une relation masochiste avec une
italienne provocante et où là aussi l'immoralité s'incarne dans une
scène d'intérieur avec tromperie puis bagarre dans un club de jazz dont
l'éclairage stylisé et psychédélique dénote avec le naturel du reste du
film.
Tout le voyage des héros se fait dans une tendre candeur mais où
le trouble charnel affleure constamment, comme cette très belle scène où
Don chatouille le visage de Prudence d'une plume, celle-ci l'appelant
caresser ses lèvres (le spectateur le moins pervers saisissant malgré
tout le double sens). L'entre-deux parfait de ce désir/culpabilité sera
donc une scène dont la composition partage l'intérieur et l'extérieur
avec dans un même plan Prudence sur le lit de la chambre et Don
emmitouflé sur un siège du balcon. Les deux tiraillés par le désir
n'arrivent pas à dormir mais l'immoralité s'arrêtera au fait de partager
la même suite sans qu'ils n'osent se rapprocher.
Sous ses airs
innocents, le film est donc d’une schizophrénie constante. On passe
ainsi d'un pur moment de romantisme en apesanteur (le crooner italien
entonnant Al Di La) à un ton plus vicieux
(l'arrivée de Al Hirt et sa compagne dans la même séquence). La dernière
partie avec le retour de la tentatrice Lyda (Angie Dickinson qui ne
manquera pas le temps d'une scène d'exhiber ses jambes magnifiques)
vient même souiller la pérégrination amoureuse qui a précédé puisqu'on
apprendra que Don a déjà effectué le même périple avec elle et consommé
l'union contrairement à la chaste Prudence. La figure explicitement
sexuée est forcément négative dans une veine morale proche des
précédents mélos de Daves et s'en réclamer un synonyme de perdition
comme le comprendra Prudence. Après la langueur italienne, les
retrouvailles du couple ne peuvent donc se faire qu'en retrouvant le
rassurant sol américain où leur amour sera légitime. Delmer Daves
conclut son cycle de façon passionnante avec ce film superbe.
Sorti en dvd zone 1 chez Warner (dans un beau coffret réunissant tous les mélos de Daves hormis A Summer Place)
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