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mercredi 31 janvier 2018

Oh Lucy - Atsuko Hirayanagi (2018)


Setsuko mène une vie solitaire et sans saveur à Tokyo entre son travail et son appartement, jusqu’à ce que sa nièce Mika la persuade de prendre sa place à des cours d’anglais très singuliers. Cette expérience agit comme un électrochoc sur Setsuko. Affublée d’une perruque blonde, elle s’appelle désormais Lucy et s’éprend de John son professeur ! Alors, quand Mika et John disparaissent, Setsuko envoie tout balader et embarque sa sœur, dans une quête qui les mène de Tokyo au sud californien. La folle virée des deux sœurs, qui tourne aux règlements de compte, permettra-t-elle à Setsuko de trouver l’amour ?

Oh Lucy est une première œuvre singulière qui fait le pont entre les cultures japonaise et américaine. Ce clivage sert une thématique plus intime pour la réalisatrice Atsuko Hirayanagi qui s’intéresse ici aux personnalités silencieuses mais intérieurement ardentes. Partie poursuivre ses études aux Etats-Unis à l’âge de 17 ans, la jeune femme freinée par la barrière de la langue qu’elle maîtrisait encore mal s’était murée dans une attitude réservée qui la figea dans le clichée de la fille asiatique discrète pour ses camarades. Cette dichotomie entre ce que l’on est et ce qu’on reflète aux yeux des autres sera donc illustrée dans Oh Lucy au départ un court-métrage d’étude lauréat du 2e prix de la Cinéfondation au Festival de Cannes 2014. Cette récompense attirera l’attention sur la réalisatrice qui permet un prolongement/transposition du court coproduit par la NHK (grande chaîne publique japonaise) et Gloria Sanchez Productions (compagnie de production de Will Ferrell et Adam McKay).

Le film inverse le contexte suscitant la nature introvertie par rapport à l’expérience personnelle d’Atsuko Hirayanagi. Quand la timidité face à la culture et le cadre étranger avait tétanisée la réalisatrice, c’est la société japonaise pauvre en perspective pour les femmes qui éteint l’enthousiasme de Setsuko (Shinobu Terajima) modeste employée de bureau quarantenaire. On ressent la dimension patriarcale oppressante et subtile à travers le rôle subalterne de notre héroïne préposée au café, la retraite d’une collègue n’ayant guère dépassé ces responsabilités n’offrant guère l’exemple d’un futur probant. Les couleurs ternes du bureau, l’urbanité tokyoïte suscitant les idées noires et l’espace exigu de son appartement et le train-train des mêmes visages représente un quotidien terne qui mure Shinobu dans un silence résigné et une présence éteinte. L’élément désinhibant reposera donc sur l’ailleurs représenté par John (Josh Hartnett) séduisant professeur d’anglais dont la nature et l’enseignement enjoué ravive Setsuko. Shinobu Terajima joue parfaitement la surprise et l’éveil de celle à qui l’on fait soudainement attention, l’espace du cours étant un lieu d’excentricité des rencontres, d’arrière-plan bariolé et de l’identité même de notre héroïne réincarnée en Lucy et affublée d’une perruque blonde.

 Lorsque cette amour lui échappe - au profit de sa nièce Mika (Shioli Kutsuna) qui l’a inscrite à sa place au cours -, elle est fin prête à dépasser sa timidité et poursuivre John aux Etats-Unis. Atsuko Hirayanagi prolonge ce traitement dans ce pays étranger. Ce sera notamment par l’interaction entre les personnages japonais, loin de la réserve nippone pour exprimer des sentiments similaire ou très différents. On devine que la brouille entre Setsuko et sa sœur Ayako (Kaho Minami) s’était résolu dans une ignorance polie, mais le voyage et la promiscuité sera source de truculent moment de conflits comiques reposant toujours sur une confrontation amusée avec les locaux. De même la relation amicale entre Setsuko et sa nièce vole en éclat le temps d’une scène de colère expansive. 

Le territoire comme le séduisant étranger sert donc de déclencheur à la folie douce mais l’amertume et la désillusion ne seront jamais loin, à l’image d’une scène de sexe aussi inattendue que pathétique. Le revenant Josh Hartnett est parfait pour incarner la figure idolâtrée puis pathétiquement quelconque dans son cadre naturel, tout tendant (caractérisation, situation personnelle) à le faire descendre de son piédestal aux yeux de Setsuko. La Californie elle-même se montre sous une imagerie assez clichée parfois volontaire, d’autres fois maladroite dans les clichés du film indé US. Même si l’intrigue s’égare parfois dans quelques longueurs, le beau retour final au spleen initial ravive toute l’émotion à fleur de peau recherchée par la réalisatrice. Le renouveau passera certes par l’ailleurs mais intime plus que géographique et l’âme sœur n’était peut-être pas à aller poursuivre aux antipodes. Une première œuvre très attachante.

En salle

 

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