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mardi 14 août 2018

Propriété interdite - This Property Is Condemned, Sydney Pollack (1966)

Durant la Grande Dépression, dans les années 1930, à Dodson dans le Mississippi, une petite ville particulièrement touchée par la crise. L'arrivée d'Owen Legate (Robert Redford), un agent des chemins de fer chargé de licencier une partie des cheminots de la ville, va se révéler dévastatrice. Alva Starr (Natalie Wood) est une coquette jeune fille, la coqueluche de la ville, courtisée par tous mais qui ne souhaite qu'une chose : fuir loin de cette existence étriquée et sans avenir pour tenter l'aventure à La Nouvelle-Orléans.

Second film de Sidney Pollack, Propriété interdite fait partie des films qui achèvent la mode des grandes adaptations de Tennessee Williams à Hollywood. Tous les éléments de la "formule" sont là : cadre sudiste moite et oppressant, sexualité exacerbée et histoires familiales tordues. Le film est plus explicite (dans les situations plus que dans leur illustrations) que les grandes adaptations des années 50 qui donnaient plus dans la métaphore où la facette allusive tout en conservant une forme de classicisme du mélodrame hollywoodien. L'ensemble n'est d'ailleurs pas sans évoquer (le cadre de la Grande Dépression aidant) la noirceur et la crudité des Pré-Codes du début des années 30 et ses figures féminines sacrificielles, Natalie Wood évoquant ici la Barbara Stanwyck de Baby Face (Alfred E. Green, 1933) ou Stella Dallas (King Vidor, 1937). L'interprétation puissante du couple Robert Redford/Natalie Wood inscrit cependant brillamment le film dans son époque.

Owen Legate (Robert Redford) de par sa mission de d'agent des chemins de fer en charge du licenciement est un être froid forcé de ne pas faire dans les sentiments. A l'inverse la belle Alva (Natalie Wood) n'a pour fonction que d'être "docile" envers les hommes servant les intérêts de sa mère (Kate Reid) et suscite le désir de tous les autres. Chacun des deux personnages avance sans culpabilité dans cette attitude avant de s'en interroger à travers le regard de l'autre. La superficialité d'Alva est ainsi percée à jour de manière cinglante par Owen à travers quelques dialogues et situations où son attitude aguicheuse ne provoque pas la même soumission libidineuse que chez les péquenauds locaux. Elle ressent pour la première fois une forme de honte à n'être qu'une jolie chose destinée à racoler les hommes et cela passe par le regard extérieur que pose d'Owen sur elle.

Pollack exprime cela par différent motifs qui culpabilise Natalie Wood. La silhouette de Redford apparait à une hauteur "inquisitrice" dans le cadre lors d'un baiser à un prétendant (et depuis l'ancienne chambre paternelle ans la pension), est une ombre en arrière-plan lorsqu'Alva résiste aux faveurs d'un "sugar daddy" adipeux, et un reflet muet et accusateur dans un miroir alors qu'elle s'apprête à être "sortie" par un pensionnaire nanti de l'hôtel. Natalie Wood dégage une sensualité affolante mais en surface quand elle joue le jeu de la séduction intéressée/forcée, et n'est jamais aussi belle que quand elle tombe le masque pour révéler une vulnérabilité alanguie. La scène où sa mère la couche en début de film révèle ainsi sa plastique sculpturale, mais aussi dans la tendresse pressante de cette mère sa nature d'objet de valeur à polir.

Robert Redford amorce là les grands personnages de taiseux romanesque qu'il incarnera chez Sidney Pollack (Jeremiah Johnson (1972) et Out of Africa (1985) en tête) pour ce qui est leur première collaboration. En apparence glacial et détaché dans sa basse besogne comme dans son regard sur Alva, le personnage ayant l'habitude d'être de passage se laisse pourtant émouvoir progressivement. Lorsqu'il entrevoit la faille rêveuse d'Alva, un éclat dans le regard, une posture légèrement plus empathique et un simple geste traduisent la bascule et fendent l'armure. Pollack met ainsi subtilement l'accent sur une attitude anodine mais marquante lorsque Owen est passé à tabac par des cheminots en colère. Extérieur comme toujours de son environnement il tente difficilement de se relever avant de poser son bras sur l'épaule d'Alva, la confiance et les sentiments nouveaux passant dans ce simple mouvement.

L'ouverture et la conclusion sur la cadette espiègle et lucide Willie (Mary Badham l'inoubliable héroïne de Du silence et des ombres (1962)) forment pourtant la boucle morbide d'un déterminisme social inéluctable avec la fillette suivant en équilibre cette ligne de chemin de fer dont la route ne dévie pas. Les échappatoires à ces lieux et conditions sont trop beaux pour être vrais sous les traits de prince charmant de Robert Redford, la gare synonyme d'ailleurs ne s'observe que de loin et ce monde extérieur n'existe que sous les élans mythomanes et fantasmés d'Alva, ou dans une magnificence éphémère à la Nouvelle Orléans dans la dernière partie.

Tout tend à nous retenir, s'arracher ne peut se faire sans s'avilir (le personnage détestable de Charles Bronson) et c'est bien les siens qui constituent le plus grand obstacle vers l'ailleurs - ce plan lourd de sens de Karen Reid dans l'embrasure de la porte de la chambre, bouchant la vue sur l'extérieur . Le manque de souffle dont parle Alva exprimant symboliquement l'étouffement de ce cadre fini ainsi par être concret, les maux psychiques devenant les maux physiques. Natalie Wood est absolument magnifique et un peu comme dans Daisy Clover tourné l'année précédente (sur l'envers monstrueux du monde du spectacle), on peut se demander si sa propre expérience d'une mère abusive ne joue pas dans la puissance de sa prestation.

Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount

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