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lundi 17 septembre 2018

Promenade avec l’amour et la mort - A Walk with Love and Death, John Huston (1969)

Le Royaume de France, en plein cœur de la Guerre de Cent ans. Laissant derrière lui Paris et l'Université de la Sorbonne, le jeune Héron de Foix prend la route en direction de la mer, qu'il n'a jamais vue. Au fil de son voyage il découvre une terre dévastée par les guerres, la peste, la famine et le fanatisme religieux. Hébergé pour la nuit dans un château, il y fait la connaissance de Claudia, fille du Seigneur de Saint-Jean. Cette rencontre et les soulèvements paysans qui se multiplient autour de lui vont bouleverser son existence.

A Walk with Love and Death est sans doute l’œuvre qui amorce la dernière et passionnante partie de carrière de John Huston. Le film illustre à merveille les élans libertaires de John Huston tout en entrant parfaitement en résonance avec ceux de son époque. Tombé sous le charme de la fable médiévale de Hans Koningsberger (qui participera au scénario) publiée en 1961, Huston convainc la Fox de lui allouer un budget conséquent pour une adaptation. Le cadre historique du film va ainsi trouver un équivalent dans une production mouvementée. Si la Guerre de Cent ans est au départ un conflit entre les royaumes de France et d'Angleterre, sa durée et ses conséquences sur l'économie des belligérants seront la cause d'une guerre civile notamment en France avec de sanglantes jacqueries. Huston a la surprise de se confronter à un même tumulte mondial puisque la révolte (Mai 68 qui empêche le tournage initialement prévu à Paris) et la tyrannie (l'arrivée des chars russes à Prague autre destination envisagée), thématiques au cœur du film, se reflètent dans la conception de l'oeuvre.

Le film offre une forme de récit picaresque et initiatique médiéval où les personnages se confrontent à leurs doutes et contradictions dans leur errance. Dans son voyage pour voir la mer, Héron de Foix (Assi Dayan) recherche la beauté dans l'horreur du monde qui l'entoure. Il idéalise cette vision fantasmée de la mer alors que la réponse lui est donnée dès le début du film quand il entrevoit l'océan en rêve et que, sortant de la torpeur du sommeil il tombe sur le visage virginal de Claudia (Anjelica Huston). Cette dernière, noble et fille d'un intendant du roi, fantasme aussi une forme d'amour pur et platonique incompatible avec la vraie passion amoureuse. L'idéologie, l'éducation et le fantasme doivent ainsi être transcendés par une expérience reposant justement dans ses va et vient entre la beauté et l'horreur, la douceur et la violence, le rêve et le cauchemar. Huston l'exprime dans une des premières scènes du film lorsque Héron s'abreuve dans un étang : la composition de plan somptueuse et la lumière pastorale de Ted Scaife laisse alors la beauté morbide surgir dans le cadre avec la découverte du cadavre flottant d'une jeune femme à demi nue.

Toute la l'ambiguïté humaine se résume là, dans un récit où tous les symboles d'une pensée trop tranchée son synonyme d'oppression. La religion dans toute son expression la plus fanatique appelle à un oubli de l'individu de façon masochiste (la confrontation avec le moine fou joué par Michael Gough), violemment puritaine (l'abbaye de la dernière partie où le rapprochement homme/femme est une monstruosité) et surtout cynique à travers quelques vignettes ironiques/personnages opportunistes - tel ce vendeur de reliques chrétiennes "authentiques". L'autre schisme concerne la lutte des classes où les paysans à la révolte légitime cèdent à une barbarie aveugle à laquelle répond celle des chevaliers, bras armés de l'oppresseur noble donnant dans le massacre impitoyable.

Huston montre alors ses amoureux juvéniles s'arracher à l'influence de leur environnement pour vivre pleinement leur amour. Héron tant qu'il ne vise qu'un idéal insaisissable peut voir sa vertu "morale" vaciller tel ce moment saisissant où il cède à la violence envers un jeune paysan. Claudia en se réfugiant dans la seule hauteur de son rang ne peut qu'espérer la vengeance envers la plèbe qui a détruit son château et tué son père. John Huston lui-même dans un rôle bref mais essentiel résume les contradictions d'un regard unidimensionnel sur ce monde en proie au chaos. L'amour courtois teinté du respect de classe laisse la proximité s'installer (Claudia invitant Héron à partager sa couche), puis la tendresse chaste cède au désir puis à l'union de corps et d'esprit des amoureux - magnifiquement ponctuée par le score de Georges Delerue. Les atrocités et la mort les entourant leur ont fait renoncer à toutes les vaines tentations du monde, qu’ils sont prêt à quitter ensemble puisque leur rencontre signe l'aboutissement de leur quête. Huston tisse cela implicitement avec un désir dépassant le rang et la morale, le manant et la noble s'aimant dans une abbaye déserte et installant leur nid d'amour au pied d'une croix.

Le Moyen-Age dépouillé dépeint par John Huston s'orne d'une aura conjointement réaliste et rêvée où s'illustre sa vision désabusée de la société mais aussi sa profonde croyance en l'humain et sa soif d'ailleurs. La magnifique scène finale fait ainsi passer les amants vers l'oubli avec cette mort imminente, mais surtout vers la liberté que symbolise la mer qui se confond cette fois de manière consciente avec l'amour. La portée de cette échappée est encore plus grande grâce à l'interprétation et ce que représentent Assi Dayan (fils du héros de guerre Mosché Dayan, choisissant la vie "saltimbanque" d'acteur) et Anjelica Huston (16 ans et dans son premier rôle, là aussi représentant une jeunesse occidentale nantie) et qu'ils prolongent magnifiquement à l'écran. Le film pourtant si en phase avec la pensée pacifiste d'alors sera pourtant un échec commercial.

 Sorti en dvd zone 2 français chez Opening

1 commentaire:

  1. Bel article. C'est très juste ce va et vient entre beauté et horreur. Ce qui est assez beau aussi c'est que le film entier court de désillusion en désillusion (sur l'amour, les valeurs, l'ordre social), et pourtant le couple en cédant mutuellement un peu à l'autre résiste et leur union, finalement, est, me semble-t-il, la seule chose qui survit au chaos. J'ai découvert ce film récemment et je le retiens aisément comme un de mes préférés sur la période médiévale.

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