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lundi 14 janvier 2019

L'Enfer dans la ville - Nella città l'inferno, Renato Castellani (1959)


Lina (Giulietta Masina), une jeune fille naïve, est injustement accusée de complicité de cambriolage dans la maison bourgeoise où elle travaille comme bonne, victime de la manipulation de l’homme dont elle est amoureuse. Elle est alors jetée en prison où elle fait la connaissance d’Egle (Anna Magnani), une habituée des lieux qui la prend sous son aile…

L’univers carcéral féminin fut en général largement moins évoqué à l’écran que son pendant masculin et souvent à des fins de cinéma d’exploitation - ou d’aparté comique comme cette fameuse scène de Le Pigeon où Marcello Mastroianni vient déposer son bambin à a femme en détention. Le film de Renato Castellani (adapté du roman de Isa Mari) en donne une vision réaliste qui s’attache autant à une réflexion sociale et humaniste qu’une observation de la condition féminine qui peut le rapprocher des œuvres d’un Antonio Pietrangeli. 

L’expérience de la prison a ainsi des conséquences bien différentes pour les protagonistes du film. Lina (Giulietta Masina), jeune fille naïve emprisonné pour la confiance accordée à un amant sournois, nous sert de guide dans ce monde carcéral.  Sidérée par sa situation inattendue, cet environnement n’est pour elle que promiscuité et vocifération oppressante qui menace son équilibre mental. Ce sentiment se traduit formellement par une scène de démence qui rapproche presque du film d’épouvante. A l’inverse de cette novice se dresse Egle (Anna Magnani), habituée des lieux où elle se trouve à la fois en décalage et parfaitement à sa place. La prison est un lieu de passage désormais ponctuel pour les femmes perdues dont Castellani nous dresse un portrait pittoresque à travers quelques personnalité hautes en couleurs (la comtesse, vieille dame enjôleuse mais finalement fourbe). Lina par sa candeur est le personnage pivot du récit, synonyme de l’impact de la prison sur une âme encore innocente.

Les lois du « milieu » prodiguées par ses codétenues dans son affaire attisent ainsi les bas-instincts de Lina, les perspectives de retrouver sa vie ancienne ne l’attirant plus à sa sortie. Revenir en ces lieux est une habitude et/ou une malédiction que Castellani déploie de façon différente tout au long du récit. La façon dont l’espace de la prison – tourné dans l’ancienne prison de femmes de Mantellate - devient un quotidien de moins en moins étouffant avec ce vis-à-vis entre cellules, ce long corridor plus convivial qu’étouffant, amorce l’avilissement de Lina. La scène de rituel censé ne plus la faire revenir lors de sa sortie n’est donc pas une fatalité mais une conséquence de la corruption de son âme – ce qui se confirmera lors de son retour final. Egle incarné avec une belle démesure par Anna Magnani effectue le chemin opposé. Sa désinvolture est mis à mal par le revirement de Lina (dont elle ne peut que se sentir responsable) et les destins dramatiques rencontrés dans la prison. L’extérieur hostile amène ainsi les moins préparée sous les verrous, par la faute d’un homme pour Lina ou par le simple dénuement matériel conduisant au pire avec cette femme ayant noyé son enfant. Après l’imagerie presque « conviviale » donnée des lieux, le vide de leur existence se rappelle aux héroïnes les plus lucides.

Egle oscille ainsi entre l’image d’un éternel recommencement du cycle criminel, et l’espoir d’un ailleurs symbolisé par la jeune Marietta (Cristina Gaioni). Renato Castellani échappe à l’idée de déterminisme en amenant une romance naïve et improbable nouée entre la fenêtre d’une prison et la rue voisine. L’innocence perdue par Lina est un miroir de celle retrouvée par Marietta, le monde extérieur corrupteur pour l’une étant celui rédempteur de l’autre par la plus poétique des approches. La personnalité malléable de Lina aura été nourrie de « l’école du crime » de la prison, alors que la noblesse de Marietta amènera la magnifique scène où les codétenues s’emploie à l’aider pour trouver les mots de la lettre qu’elle écrit pour son aimé. Renato Castellani célèbre ainsi l’individu, le réalisme (le casting partagé entre actrices et vraies anciennes détenues) nourrissant le choix de s’enfoncer ou pas dans la fange ou la rédemption que peut signifier ce monde carcéral. Le personnage d’Anna Magnani, coincée entre ces deux options, n’en est que plus touchant. Une belle réussite méconnue du cinéma italien. 

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