Manuela, infirmière,
vit seule avec son fils Esteban, passionné de littérature. Pour l'anniversaire
de Manuela, Esteban l'invite au théâtre ou ils vont voir "Un tramway nommé
désir". A la sortie, Manuela raconte à son fils qu'elle a interprété cette
pièce face à son père dans le rôle de Kowalsky. C'est la première fois
qu'Esteban, bouleversé, entend parler de son père. C'est alors qu'il est
renversé par une voiture. Folle de douleur, Manuela part à la recherche de
l'homme qu'elle a aimé, le père de son fils.
Après les tapageuses et provocantes œuvres qui le révélèrent
dans les années 80, Pedro Almodovar avait amorcé une passionnante mue avec Talons aiguilles (1992) où son univers
bariolé se teintait plus explicitement de mélodrame à travers une tumultueuse
relation mère-fille. Tout sur ma mère
poursuit cette tendance (qui aboutira à certaines de ses œuvres les plus
profondes et matures dans les années 2000) et s’avère un de ses films les plus
touchants.
Comme toujours avec Almodovar, un point de départ « simple »
aboutit à une intrigue très dense et aux réflexions inattendues. Le sous-texte
théâtral est le fil rouge qui servira de révélateur au protagoniste. Le titre Tout sur ma mère/Todo sobre mi madre est ainsi une référence au All about Eve de Joseph L. Mankiewicz que le personnage de Manuela
(Cecilia Roth) regarde avec son fils Esteban (Eloy Azorín) au début du film. La
mort tragique d’Esteban tue dans l’œuf le point de départ d’Eve (l’admirateur mourant en essayant d’approcher
son idole) tout en en offrant en partie un remake lorsque Manuela va s’immiscer
dans l’entourage de l’actrice Huma Rojo (Marisa Paredes). Manuela réalise ainsi
le rêve avorté de son fils tout en satisfaisant une un rêve passé lorsqu’elle
remplacera de façon inopinée une actrice de la pièce. Almodovar prend le
squelette de la trame d’Eve où,
plutôt qu’une ambition qui séparait et opposait les femmes entres elles, il
laisse s’exprimer leur solidarité à travers leurs quêtes personnelles.
La fiction dans la fiction sert ainsi de révélateur pour les
héroïnes, actrices figurées ou explicites de leur destin à différents moments
du récit. Manuela « joue » dès le début dans ses colloques sur la
transplantation et endossera ensuite, sur scène et dans la vie divers « rôles »
avant de se trouver. La religieuse Maria (Penelope Cruz) fuit une famille
bourgeoise sinistre pour la religion, mais le contact avec les marginaux divers
révèle encore un autre pan de sa personnalité. La romance tumultueuse entre Huma
et sa partenaire junkie Nina (Candela Peña) offre elle un miroir déformant de
la pièce Un Tramway nommé désir qu’elles
jouent chaque soir, Almodovar exprimant la dimension torturée et destructrice d’un
amour impossible. Les loges de théâtre synonyme de flatterie, duperies et
conflit dans Eve deviennent pour
Almodovar une alcôve de proximité, complicité et confidence qui se prolonge
progressivement dans le monde extérieur où cette solidarité féminine est
indispensable – la très triviale scène entre Huma, Agrado, et Maria dans l’appartement
de Manuela.
Les relations amoureuses et familiales s’effondrent (parfois
dans le simple oubli avec l’Alzheimer du père de Maria Rosa) et c’est cette
amitié féminine qui constituera le véritable socle affectif du film. La quête,
la cause du malheur et l’espoir peuvent se confondre en un seul prénom, « Esteban »,
une manière pour Almodovar d’explorer les jeux de la destinée et la complexité
humaine. Cela se ressent dans sa façon toujours vivace et nuancée d’observer
les figures marginales.
Lola (Toni Cantó) sous le travestissement ne s’est pas
délesté d’une certaine lâcheté masculine tandis qu’Agrado (Antonia San Juanen)
surface le personnage le plus artificiel s’avère le plus authentique, le seul à
ne pas se perdre dans des identités sexuelles, morales… La magnifique et
hilarante scène d’improvisation au théâtre face à un public hilare fait ainsi
office de profession de foi. Les dédales du récit n’ont ainsi qu’un unique but,
l’ode à la femme et à ses divers rôles au cœur de la vie et de la fiction. Grand
film.
Sorti en dvd zone 2 français chez Pathé
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