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jeudi 9 janvier 2020

Les Enfants du temps - Tenki no Ko, Makoto Shinkai (2019)

Jeune lycéen, Hodaka fuit son île pour rejoindre Tokyo. Sans argent ni emploi, il tente de survivre dans la jungle urbaine et trouve un poste dans une revue dédiée au paranormal. Un phénomène météorologique extrême touche alors le Japon, exposé à de constantes pluies. Hodaka est dépêché pour enquêter sur l'existence de prêtresses du temps. Peu convaincu par cette légende, il change soudainement d'avis lorsqu'il croise la jeune Hina..

Pour Makoto Shinkai, Les Enfants du temps a la lourde tâche d’être le film d’après. Your Name s’est avéré être un succès commercial gigantesque (en tête du box-office japonais de tous les temps) et un véritable phénomène de société. Le réalisateur a certes un fil rouge thématique tout au long de sa filmographie, la distance entre les individus (qu’elle soit géographique, spirituelle, d’âge) mais qu’il aura su renouveler dans des genres et types de récit bien différents (drame intimiste, science-fiction, fantasy) jusqu’à la synthèse parfaite que fut Your Name grâce à sa résonance avec les préoccupations de la société japonaise post-Fukushima. Qu’allait-il en être du film suivant ?

Dans l’esthétique et la construction narrative, Les Enfants du temps est clairement tributaire de son prédécesseur. L’introduction façon clip/spot publicitaire (une activité annexe de Shinkai) sur fond d’une chanson pétaradante de Radwimps amorce cet effet de redite. Le récit progresse vers un rebondissement à mi-parcours dont l’émotion fonctionne grâce à l’attachement aux personnages, mais dont l’arrivée est attendue du fait d’une narration cousue de fil blanc et du passif de Your Name pour le spectateur. Shinkai a clairement voulut creuser le sillon de son grand œuvre mais parvient par intermittences à nous proposer autre chose. On retrouve son obsession pour le réalisme et la poésie urbaine tokyoïte qu’il capture dans son immensité, mais aussi son intime.

 On accompagne ainsi les premiers pas hésitants du fugueur Hodaka dans la cité, où il va rencontrer la bienveillance de certains adultes et l’amour avec Hina, jeune fille indépendante. La première partie rappelle ainsi la veine « tranche de vie » de The Garden of Words (2013), mais cette fois en explorant un Tokyo différent, celui des travailleurs multipliant les jobs d’appoint pour survivre, malheureusement aussi celui des business douteux et l’exploitation sexuelle. C’est la connexion entre les personnages et la famille de substitution qui va se façonner dans l’entraide qui apporte un rayon de soleil, un arc en ciel dans le quotidien fastidieux de cette ville constamment pluvieuse. Ce besoin ne concerne pas seulement les héros mais la ville, le pays tout entier. C’est là qu’intervient la faculté surnaturelle de Hina de pouvoir momentanément interrompre la pluie, un don qui sera exploité momentanément pour illuminer les gens dans le besoin. Tout comme l’échange de corps dans Your Name, ce simple argument avait le potentiel de tenir le film entier à travers toutes possibilités dramatiques offertes. Shinkai y amène un compte à rebours qui fait donc redite dans son déroulement mais qui diffère dans la portée thématique.

Tous les personnages se trouvent dans un entre-deux entre l’enfance et l’âge adulte. Les adolescents Hodoka et Hina ont malgré eux dû prendre prématurément des responsabilités d’adulte, tandis qu’à l’inverse l’adulte et père Suga vit encore une existence d’ado attardé. La résilience japonaise face aux adversités diverses (Hiroshima, Fukushima, tremblement de terre de Kobé) que le pays a pu rencontrer appelle constamment à un oubli individuel au service du collectif – qui trouve son miroir négatif avec le fanatisme et les kamikazes de la Seconde Guerre mondiale. Le scénario du film appelle donc naturellement à ce même renoncement pour les héros, le sacrifice de Hina pouvant conduire à la fin des pluies diluviennes et par ricochet à la perte de son aimée par Hodoka qui se ferait pour le bien de tous. C’est la direction que prenait Your Name, où le couple Taki/Mitsua cherchait autant à se sauver mutuellement qu’à empêcher une catastrophe collective.

C’est précisément là que réside la différence et vraie audace de Les Enfants du temps, tourner le dos à cette logique du don de soi. Tout en lassant grandement par des ressorts dramatiques connus (la course-poursuite finale tourne à vide sans l’urgence et l’émoi de Your Name), Shinkai refuse une plénitude du peuple au détriment de celle de l’individu. Les instants les plus chaleureux et magiques ne sont pas ceux ayant vu la pluie momentanément s’arrêter, mais ceux où les héros auront été autorisés à être des adolescents dans toute leur inconséquence, immaturité et frémissements des premiers amours. Un message audacieux, tant dans le contexte japonais que celui occidental célébrant une Greta Thunberg de la part d’un Shinkai conscient des soubresauts du monde qui l’entoure, mais pas disposé pour autant à un renoncement personnel. Passionnant même si l’on espère que son prochain film nous offrira un écrin plus surprenant.

En salle

 

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