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vendredi 14 février 2020

Queen & Slim - Melina Matsoukas (2020)


En Ohio à la suite d’un rendez-vous amoureux, deux jeunes afro-américains qui se rencontrent pour la première fois, sont arrêtés pour une infraction mineure au Code de la route. La situation dégénère, de manière aussi soudaine que tragiquement banale, quand le jeune homme abat en position de légitime défense le policier blanc qui les a arrêtés. Sur la route, ces deux fugitifs malgré eux vont apprendre à se découvrir l’un l’autre dans des circonstances extrêmes et désespérées…

Queen & Slim est un beau premier film qui tout en scrutant les clivages de la société américaine actuel, parvient à prendre une vraie belle hauteur poétique et romanesque sous le message. Cet équilibre tiens certainement à sa conception. L’idée initiale vient de l’écrivain James Frey mais qui en tant qu’écrivain blanc ne se sent pas suffisamment imprégné de cette culture pour narrer la cavale d’un couple afro-américain. Il va alors s’associer à la scénariste Lena Waithe (connue pour son travail sur la série Master of None) pour signer le script qui sera réalisé par Melina Matsoukas, clippeuse célèbre pour son travail avec Beyoncé et qui apportera donc une dose d’imagerie pop sus le sujet réaliste.

Le film s’ouvre sur un rendez-vous amoureux quelconque et probablement sans lendemain, mais dont les conséquences vont lier définitivement les protagonistes. La caractérisation de chacun les fige dans les archétypes des deux grands militants afro-américains que sont Malcolm X et Martin Luther King. Il (Daniel Kaluuya) est un observateur dépolitisé et apaisé du monde qui l’entoure quand elle (Jodie Turner-Smith) est désabusée, en a trop vu et ne crois plus au système. Cela se dégage de leur badinage amoureux anodin avant de brutalement se concrétiser lorsque, victimes d’une violence policière (dans une scène à l’escalade de tension remarquable) ils vont abattre accidentellement un agent et devenir des fugitifs traqués dans tout le pays. L’attitude rationnelle et déterminée de la jeune femme éduquée s’oppose constamment à la naïveté placide du garçon prolo, toujours dans la sidération face à la tournure des évènements. La situation dramatique débouche paradoxalement sur un mélange de légèreté et de tension dans la dynamique du couple, dans les interactions qu’ils auront durant la cavale. 

La médiatisation de leur cavale (leur crime ayant été filmé) en fait des Bonnie and Clyde black, exacerbant les peurs des blancs et renforçant le sentiment de revanche des noirs. Cependant les rencontres débouchent sur des clichés white trash (l’employé de station-service amateur d’arme à feu) ou du militantisme noir bas du front (le père de famille obèse et gouailleur), mais qui se pose finalement en miroir des archétypes que les personnages incarnent dans leur relation et aux yeux du public. Les dialogues percutants apportent une vraie énergie à leur opposition de caractère, avant qu’ils se dévoilent peu à peu l’un à l’autre. 

Lui jusque-là dans une existence protégée des maux du monde se « salit » positivement dans l’aventure, fumant un joint, buvant de l’alcool et oubliant peu à peu la religion (la prière qu’il entame avant de manger lors du premier rendez-vous). A l’inverse elle se purifie, s’anoblit et pose un regard plus lumineux et candide au fil du récit (la scène où elle la cynique finit par entamer une prière). Le délicat rapprochement du duo se fait au fil des paysages défilant sur fond de R’n’B, de doux moments romantiques comme cette danse lascive dans un club. Le vrai danger de la cavale est finalement intermittent pour privilégier l’apprivoisement mutuel. La mue se fait d’ailleurs dans leur look qui les sort de l’ordinaire pour en faire des icônes afro malgré eux.

C’est par leur prisme que le regard sur la société américaine se fait peu à peu plus contrasté, plus subtil. La haine et la frustration nourrie par les noirs débouche ainsi sur une exécution violente et injuste d’un policier plus raisonné (et noir), une trahison fatale sera également l’œuvre d’un congénère quand à l’inverse un couple WASP se montrera bienveillant. Tous les éléments extérieurs fonctionnent sur ce va et vient moral notamment autour de la figure policière et/ou raciale (le shérif pris en otage début) même parfois de façon grossière que cet agent noir qui laisse filer les fugitifs après un échange avec un collègue raciste. Le couple demeure ainsi symbolique, notamment dans le fait de ne pas connaître leur nom (si ce n’est lors de la conclusion) et endosse une universalité aimante et romanesque face à la tension sociale et raciale ambiante.

Ce dimension est manifeste lorsque les amants font l’amour pour la première fois avec en montage alterné une féroce scène d’émeute, l’étreinte des corps nus, la connexion des âmes et les halètements s’opposent aux hurlements de haine, bruits de d’armes à feu et coup de matraque. Les personnages auront dépassés les maux de leur société dans une adversité extrême et la ballade se fait apaisée, radieuse et solaire. La nuit oppressante de la fuite d’ouverture laisse place au ciel bleu de la dernière ligne droite. Le charisme et l’empathie dégagés par les acteurs est pour beaucoup dans l’immersion du film, en particulier une magnétique Jodie Turner-Smith. Une belle réussite qui ne scrute le réel que pour mieux nous en libérer par le rapprochement intime. 

En salle 

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