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jeudi 26 mars 2020

Maman a cent ans - Mamá cumple 100 años, Carlos Saura (1979)


Anna revient dans la maison où elle fut gouvernante pour fêter les cent ans de la grand-mère. Mais les questions d'héritage et de jalousie viennent épicer ce qui s'annonçait comme un séjour reposant...

Maman a cent ans est l’œuvre qui vient en quelque sorte conclure le cycle franquiste dans la filmographie de Carlos Saura. Franco est certes mort depuis quatre ans et la censure a desserré son étreinte, mais Saura souhaite revenir une dernière fois à ce contexte avant de passer réellement à autre chose avec l’excellent Vivre vite (1980). Maman a cent ans est donc la suite du chef d’œuvre Anna et les loups (1973), film emblématique du cycle franquiste de Saura. Il reprend tous les personnages de l’original et déplace l’action quelques années plus tard, au moment où la famille s’apprête à fêter les cent ans de la matriarche abusive toujours incarnée par Rafaela Aparicio.

La première surprise consiste à retrouver le personnage d’Anna (Geraldine Chaplin), disparu tragiquement lors de la traumatisante conclusion du film précédent. Elle revient là sur les lieux qu’elle avait quittés et (tout comme dans l’original finalement) on découvre comment les choses ont évoluées au sein de la famille. Saura nous montre à la fois les maux indélébiles et persistants du franquisme, et d’autres plus contemporain associés à cette nouvelle modernité. La fratrie masculine qui représentait les trois totems franquiste dans le premier film (et assassinait le symbole de liberté que représentait Anna) est désormais disloquée pour nous signifier que cet étreinte n’a plus lieu d’être. L’aîné José qui représentait le pouvoir militaire est décédé (tout comme son interprète José María Prada, vraie explication de son absence) laissant le désordre régner dans la maison qu’il dirigeait d’une main de fer, mais son souvenir plane à travers les regrets de sa mère (belle métaphore des vrais nostalgiques de Franco qu’on peut encore rencontrer en Espagne). Fernando (Fernando Fernán Gómez), l’illuminé rêveur qui représentait la religion a toujours le regard tourné vers le ciel, mais maintenant pour de farfelues expérimentations de vol en deltaplane. Enfin le coureur Juan (José Vivó) qui signifiait ironiquement les valeurs familiales et morales est resté un coureur de jupon encore échappé du foyer avec sa maîtresse en début de film.

Anna cette fois accompagnée de son époux Antonio (Norman Briski) représente donc encore une boussole morale pure qui va être contaminé par le malaise ambiant. Anna et les loups brillait par son mélange d’ironie et de climat oppressant, mais c’est le premier point que privilégiera Saura sur un ton bien plus porté sur la farce. Ce ne sera plus le seul mal franquiste qui va rattraper Anna ici mais ceux de son époque comme la libération sexuelle quand son ancienne élève Natalia, devenue une jeune femme désirable, va séduire son mari. La mère sénile est désormais la seule incarnation de l’ancien monde, que ses propres enfants endettés veulent faire basculer dans celui du capitalisme à travers un projet immobilier qui bousculerait l’autarcie de leur demeure.

Paradoxalement la jeune génération reproduit les clivages intimes de leurs parents par le manque de communication. Mais là où les parents se soumettaient à l’autorité de la matriarche et traduisait leur-mal-être par des névroses enfouies et/ou excentriques, les trois jeunes filles illustrent cet après franquisme par leur défiance explicite envers les aînés. La remarquable scène au départ joyeuse tous déballent les malles d’anciens vestiges familiaux révèlent ainsi ce schisme, et le manque d’emprise de Luchi (Charo Soriano) sur ses jeunes filles. Sous une rébellion modernes, elles reproduisent l’allégorie des loups de leurs prédécesseurs dans le premier film : Natalia avec les élans nymphomane de son père, Carlotta (Ángeles Torres) qui partage le gout des tenues militaire du sien, et enfin Victoria (Elisa Nandi) la cadette à l’imaginaire perché et perverti de l’oncle Fernando. 

Maman a cent ans s’avère donc constant un miroir déformant d’Anna et les loups où Saura multiplie les échos entre les deux films. Cela sera parfois une simple réminiscence le temps d’un flashback. Par contre en reprenant l’idée du piège à loup auquel cette fois Anna échappe, Saura fait de la modernité du personnage un atout et non plus une fatalité, notamment dans la manière dont elle surmonte le problème d’adultère de son époux. A l’inverse le personnage de Luchy, simple jeune femme effacée et frigide dans le premier film, a transférée sa frustration sexuelle dans une cupidité capitaliste où les opprimés d’antan peuvent donner les monstres d’aujourd’hui. Anna et la mère sont ainsi les deux pôles d’attraction du film, celui omniscient, sénile et gênant dont on veut se débarrasser pour la future centenaire, et celui, séduisant et moderne dont on veut s’attirer les faveurs pour Anna.

Saura alterne mysticisme et bouffonnerie par l’entremise des deux personnages et entretient une connexion à la fois charnelle et télépathique entre eux. La grotte et ses lueurs oniriques servira un étonnant dialogue à distance où maman alerte Anna quant à ses craintes pour sa vie. La scène d’anniversaire donne dans le grand guignol halluciné lorsque la mère arrive suspendue depuis les airs sur les lieux des festivités. Par son mordant ironique, Saura nous montre un monde changeant mais pas débarrassé de ses démons, un monde le mal persiste même si sa nature change.

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa 

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