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dimanche 7 juin 2020

L'Heure du crime - Johnny O'Clock, Robert Rossen (1947)


Johnny O'Clock et son partenaire Pete Marchettis sont à la tête d'une salle de jeux clandestine. Chuck Blayden, un policier corrompu, tente de s'acoquiner avec Pete, tout en mettant Johnny à l'écart. Quand Harriet, la petite amie de Chuck, est retrouvée morte, sa sœur Nancy soupçonne Chuck, qui a précipitamment quitté la ville. Elle demande alors à Johnny de l'aider à enquêter sur cette affaire, mais la situation se complique lorsque l'inspecteur Koch est placé sur l'affaire...

Johnny O'Clock est le premier film de Robert Rossen après une brillante carrière de scénariste où il brilla notamment souvent dans le film de gangster et le polar – Menaces sur la ville de Lloyd Bacon (1938), Les Fantastiques années 20 de Raoul Walsh (1939) ou L’Emprise du crime de Lewis Milestone (1946). C’est donc naturellement dans cette que Rossen fait ses débuts de réalisateurs, réécrivant un sujet de Milton Holmes initialement refusé par Charles Vidor. Il dirige là dans le rôle-titre Dick Powell, qui confirme sa mue du registre léger qui fit sa gloire (les comédies musicales de Busby Berkeley, Chrismas in July de Preston Sturges (1940), C’est arrivé demain de René Clair (1944)) vers le polar avec Adieu, ma jolie d’Edward Dmytryk (1944), adaptation de Raymond Chandler où il incarne Philip Marlowe. 

Le film constitue un squelette archétypal de film noir à l’intrigue flottante où Robert Rossen pose son empreinte par l’étude de caractère et la mise en scène. Le scénario apparait comme assez dense en partageant son héros entre deux intrigues suffisantes à définir un film entier. D’un côté nous trouvons Johnny O’Clock, cogérant d’une salle de jeu avec son partenaire Marchettis (Thomas Gomez) et subissant les avances assidues de Nelle (Ellen Drew), ancienne amante et épouse actuelle de Marchettis. De l’autre on trouve une intrigue criminelle où Johnny O’Clock est sous le coup d’une enquête du pressant inspecteur Koch (Lee J. Cobb) après la mort de Harriet (Nina Foch), petite amie du douteux Blayden (Jim Bannon), ami/rival de notre héros. Rossen introduit idéalement ces deux trames, que ce soit dans la tension érotique palpable entre Johnny et Nelle, ou encore dans les faces à face aussi cordiaux que menaçants avec Koch. Pourtant au fil du récit l’ensemble se distend pour ne retrouver que ponctuellement la nervosité attendue.

Robert Rossen adopte en fait les principes prudents et méthodiques de son personnage principal. Johnny n’a jamais rien laissé au hasard, aucune amitié ni romance n’a jusqu’ici pu le détourner de son ascension. Dick Powell dégage un flegme mesuré, sa bienveillance comme son animosité se mesure à l’aune de ses intérêts quel que soit ses interlocuteurs et le rythme du film suit ses préceptes jusqu’à un certain ennui volontaire. Johnny ne peut ainsi empêcher la mort de Harriet, il dissimule son possible meurtre à sa sœur Nancy (Evelyn Keyes) et il ne se montrera réellement actif que quand il se sentira vraiment menacé (par la preuve compromettante de la montre, la tentative d’assassinat finale). 

C’est à travers sa mise en scène que Rossen montre la bascule morale du personnage. La photo de Burnett Guffey travail la part d’ombre et de lumière de Johnny  travers ses actions, mais également le regard des autres. Le visage de Nancy qui s’illumine à sa vue lors de leur première rencontre semble en contrepoint desserrer l’expression de Johnny, tandis que son égoïsme fait ressurgir des nuances sombre et menaçante quand il malmènera par inadvertance cette même Nancy en la prenant pour un autre dans l’obscurité d’un appartement qu’il fouillait. Désormais amoureux et ayant quelqu’un et plus seulement quelque chose à perdre, sa prudence arrogante se fissure et le rend vulnérable, plus humain et finalement attachant.
Là encore cela passe par l’image, notamment cette contre-plongée de biais sur Johnny et Marchettis lors de l’interrogatoire au commissariat, alors que la discussion révèle à Marchettis que son associé fut l’amant de sa femme. Johnny reste de marbre sans essayer de se dédouaner et se trahit implicitement, l’ombre que dégagent les silhouettes représente désormais la peur des représailles pur celle qu’il aime. Le calculateur fier n’est plus, mais cela s’explicitera clairement lors de la scène finale où acculé il renonce à son panache pour rester en vie. Malgré ce défaut de liant narratif, c’est un premier film qui porte la patte de son auteur dont le talent s’affirmera dans une veine bien supérieure avec l’excellent Sang et or (1947) à venir.

Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis 

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