Fils du grand procureur Andergast (Charles
Vanel), Etzel veut réviser le dossier Maurizius dont la condamnation
repose sur des présomptions. Ce dossier a permis à son père, 18 ans
auparavant, de se lancer dans une grande carrière, mais Etzel veut en
avoir le cœur net.
L'Affaire Maurizius
est une œuvre curieuse pour Julien Duvivier, partagée entre son sujet
de film à thèse et le traitement stylisé du réalisateur. Le récit
(adapté du roman éponyme de Jakob Wassermann) prend presque pour
prétexte son thème initial de l'erreur judiciaire pour servir le
caractère névrotique et obsessionnel des personnages. Dès la scène
d'ouverture où le jeune Etzel (Jacques Chabassol) si féru de justice
qu'il ira jusqu'à endosser seul la punition envisagée pour sa classe
après un mauvais tour à un professeur. Il aura l'occasion de mettre en
pratique cette droiture en enquêtant sur l'affaire Maurizius (Daniel
Gélin), un homme condamné sans preuves concrètes par le propre père
d'Etzel (Charles Vanel), un procureur dont la carrière s'est faite grâce
à cette plaidoirie. La narration brillante multiplie les points de vue
et enchâsse habilement les points de vue pour nous faire découvrir
progressivement les tenants et aboutissants du dossier. C'est là que se
révèle le projet de Duvivier avec une suite de personnages
obsessionnels.
Tous partent d'une normalité où cette nature se
dissimule avant de brutalement surgir et affecter leur allure physique.
L'obsession du père de Maurizius (Denis d'Inès) est d'innocenter son
fils et l'élégant homme vu en flashback laisse place au présent à un
vieillard tremblant et rongé de remord. Waremme (Anton Walbrook),
meilleur ami de Maurizius mais qui précipitera sa chute par un
témoignage accablant, laisse également voir un visage passé séduisant
avant que l'obsession amoureuse et ce même remord en fasse une figure
inquiétante et excentrique (aux faux airs de Monsieur Hire d'ailleurs).
Il en va de même pour Maurizius dont l'aveuglement sentimental ne lui
fera pas deviner celle qui est la cause de ses malheurs, et qui le
perdra par un même amour névrotique et coupable qu'elle préfèrera faire
enfermer plutôt que de l'assumer.
Enfin Etzel quand il se rendra que les
méandres complexes de la justice ne peuvent répondre à son idéal, aura
une réaction hystérique qui inscrit sa quête dans une dimension plus
pathologique que morale. Hormis le père de Maurizius, on constate
d'ailleurs que le déséquilibre et l'obsession des personnages s'incarne
dans la poursuite d'une femme (Eleonora Rossi Drago troublante) ou naît
justement de l'absence de femme (Etzel qui a grandi sans mère ni
affection). C'est paradoxalement la figure glaciale de procureur que
joue Charles Vanel, moins soumise à ses émotions, qui fait preuve de
recul et d'autocritique, cherchant à réparer son erreur de jugement
initiale une fois le doute installé mais sans s'être morfondu pour
autant.
Cette approche psychologique a pour défaut de parfois
laisser le casting en roue libre pour exprimer ses névroses. La charge
est donc un peu lourde notamment sur Waremme dont on suggère les
penchants pédophiles (sans parler de l'atmosphère crypto-gay de ses
scènes avec Etzel) et de manière générale exprime trop souvent leur
obsession par le verbe plutôt que la suggestion d'un jeu plus sobre.
Cela passe à peu près pour les acteurs aguerris mais le jeune Jacques
Chabassol trop tendre n'est guère convaincant. Tout cela est rattrapé
par la mise en scène de Duvivier qui déploie avec brio toute la noirceur
qu'on lui connaît. L'approche opératique répond à cette veine
psychanalytique notamment dans les scènes de procès où les arrière-plans
noir font du tribunal (superbe décor de Max Douy) un espace mental
abstrait.
L'atmosphère est étouffante, le studio se devinant même dans
les scènes d'extérieurs (Etzel traqué dans les rues de Berne en début de
film) où s'impose aussi cette chape de plomb. La photo tout en
clair-obscur contrasté de Robert Lefebvre renforce la tonalité
grandiloquente et torturée par sa manière de révéler les compositions de
plan suggestive (le flashback sur Eleonora Rossi Drago dénudée), les
contre-plongées déroutantes. Tout cela culmine dans une stupéfiante
dernière scène où un personnage est littéralement écrasé par ce passé et
cette obsession, dont tous les méandres s'illustre par une
rétroprojection déformée derrière lui. L’effet n'est certes pas très
subtil, mais il exprime de façon saisissante toute la détresse et
l'impossibilité à vivre du personnage. Les menus défauts n'en font un
Duvivier majeur (coincé entre le populaire Le Retour de Don Camillo
(1953) et le chef d'œuvre romantique Marianne de ma jeunesse (1955))
mais néanmoins une vraie œuvre digne d'intérêt.
Sorti en dvd zone 2 français chez Gaumont
Très bonne analyse. Effectivement, le jeune Jacques Chabassol est vraiment le point noir du film. Certaines scènes sont gênantes tant il est mauvais.
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