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jeudi 22 octobre 2020

Bigamie - The Bigamist, Ida Lupino (1953)

Mariés depuis huit ans, Eve et Harry ne peuvent avoir d'enfants. Déçue, Eve se consacre, pour l'essentiel, à ses affaires commerciales et délaisse sa vie de couple. De son côté, Harry exerce ses fonctions professionnelles dans une autre ville. Là, il finit par rencontrer Phyllis qu'il épouse et dont il aura un enfant. Il mène donc une double vie. Lorsqu’Harry et Eve se décident à adopter, une enquête préalable mettra au jour l'existence dissimulée d’Harry...

 Cet évènement, cette rencontre, ce hasard qui fait vriller un destin et nous enferme dans une spirale tragique… Voilà un thème au centre de la filmographie d’Ida Lupino, souvent sous un angle brutal et traumatisant avec la rencontre du serial-killer de Le Voyage de la peur (1953) ou l’héroïne violée d’Outrage (1950). Bigamie creuse le même sillon et emprunte également certains codes du film noir (la narration en flashback et voix-off), mais cette fois au service d’un drame d’un drame plus feutré où ne se joue pas une violence physique. 

Dans la vie réelle, un regard extérieur sur la situation de l’époux bigame Harry (Edmond O'Brien) se résumerait à un jugement lapidaire sur un être volage et dissimulateur. Ida Lupino adopte une approche subtile dans son étude de caractère, par les effets insidieux créant un fossé progressif dans le couple et la façon dont cela ouvre inconsciemment l’un des conjoints à la possibilité d’une rencontre. La performance subtile d’Edmond O’Brien traduit bien cela, tout en jouant habilement de la chronologie des évènements qui le coince dans une situation inextricable. C’est d’ailleurs un apport de cette narration façon film noir, la narration façonne dans excuses discutables à l’époux bigame en adoptant son point de vue tout en créant une réelle empathie quant au drame qu’il traverse. 

L’intelligence du traitement doit grandement à ce qui se jouait en coulisse de la production. Le scénariste du film Collier Young était encore un an plus tôt l’époux d’Ida Lupino, et aussi son partenaire de production et scénariste sur Never Fear (1950) et Le Voyage de la peur. Après leur divorce il se mariera à Joan Fontaine qui joue ici l’épouse légitime Eve. Parfaitement au fait des petits rien qui scindent progressivement un couple, Young et Lupino sondent par l’écriture et la mise en scène les vulnérabilités masculines comme féminines qui forcent le maintien ou la mise en place du modèle marital. 

Le dépit de sa stérilité fait plonger Eve dans le travail au point de négliger sa vie de femme et la proximité avec son époux, qui n’attend qu’un signe de sa part à travers les semi-aveux qu’il lance avant de commettre le vrai adultère. La conversation téléphonique où Eve expédie son allusion à une rencontre féminine, ou encore ce moment où elle lui tourne le dos avec désinvolture dans l’intimité de leur chambre. La mine lasse et résignée d’O’Brien se laisse ainsi piéger par la fragilité psychologique de Phyllis (Ida Lupino) qui a besoin de lui, puis par l’indépendance d’Eve qui redevient trop tard l’épouse prévenante qu’elle fut. La mise en scène et le jeu de l’acteur le montre comme constamment présent et absent, un regard soulignant la culpabilité d’être absent dans son autre foyer, un cadrage le mettant en amorce et parfois extérieur à la situation qu’il vit. 

Dès lors Harry nous apparait à la fois fort dans sa volonté de protéger ses deux épouses, mais aussi lâche l’incapacité de trancher et se laisser porter par les évènements. La destinée autant que la tendance à l’apitoiement fonctionnent et expriment ainsi comme les éléments intimes et la fatalité peuvent mener dans l’impasse. La magnifique fin ouverte (où les deux femmes demeurent amoureuses du fautif) résument parfaite le brio du traitement.

En salle

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