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dimanche 11 octobre 2020

Tourments - Él, Luis Buñuel (1953)


 La jeune Gloria rencontre par hasard le riche Francisco Galván à la messe. Il tombe amoureux d'elle et la convainc de l'épouser. Elle ne tarde cependant pas à découvrir, dès le voyage de noces, qu'il est atteint d'une jalousie maladive et de paranoïa. Ainsi, il passe des aiguilles dans les serrures au cas où des curieux les épieraient. Mais ce n'est que le début, et la vie de Gloria va devenir un calvaire…

 Tourments est une des grandes réussites de Buñuel lors de sa seconde carrière mexicaine de réalisateur. Le film allie brillamment les éléments thématiques phares du réalisateur l’étude de mœurs satirique de la bourgeoisie et l’observation crue d’une pathologie. Ce sera ici un cas maladif de jalousie et de paranoïa à travers le nanti Francisco Galvan (Arturo de Córdova) qui va faire vivre un véritable enfer à sa jeune épouse Gloria (Delia Garcés). Buñuel démontre tout d’abord comment le verni bourgeois peut être un masque trompeur à cette folie latente, avec un Francisco tout en aisance séductrice, en bagout et élégance face à ses pairs. La froideur d’une phrase faussement ironique, une certaine forme de raideur contenue et un regard se zébrant par intermittence d’un éclat inquiétant seuls peuvent laisser deviner l’instabilité sous cet éclat en société. C’est précisément ces éléments qui séduisent la jeune Gloria qui va vite déchanter. 

 La jalousie et la paranoïa de Francisco ne vient pas de signaux incertains qu’il interpréterait à travers un regard biaisé. C’est réellement une folie imprévisible qui surgit quand on s’y attend le moins, un déséquilibre que recherche cet esprit fébrile et anxieux. Ainsi c’est alors que sa jeune épouse ferme les yeux et savoure son nouveau bonheur lors de leur lune de miel que Francisco craque une première fois en imaginant que ces douces pensées ne sont pas pour lui. En fermant les yeux et souriant ainsi, Gloria échappe ne serait que par la pensée, à sa volonté de contrôle ce qui lui est insupportable. Le lâché prise de la communion à l’autre lui est inconnu et tout élément extérieur, famille, ami, est une menace. Buñuel l’exprime par la mise en scène où Francisco en Barbe-Bleue moderne isole Gloria des autres en la ramenant à lui. Il la fait littéralement sortir du cadre en la tirant par le bras pour empêcher toute connexion à un autre que lui. C’est le cas lors de la rencontre avec une connaissance de Gloria durant le voyage de noce, la façon dont il l’agrippe et lui fait monter les escaliers pour l’éloigner de sa mère au retour de cette même lune de miel. Il la sort non seulement du cadre de l’image mais l’empêche même d’y figurer tel ce moment où les amoureux se prennent en photo à tour de rôle dans le décor de leur vacances, mais qu’une fois la prise sur lui faîtes il refuse de rendre la pareille à Gloria.

Avec pareil postulat, on s’attendrait à avoir un film dont le ton serait celui d’un grand mélodrame. C’est plus alambiqué que cela, Buñuel créant presque un sentiment d’attente comique quant à la réaction disproportionnée à venir de Francisco face à un embryon de situation soupçonneux (pour lui) en germe. Le personnage n’a même pas les « moyens » de son machisme, fuyant le « rival » où se faisant rosser par lui quand il cherchera la confrontation directe – et rejetant lâchement la faute sur sa femme. On se surprend presque à rire face à ses réactions épidermiques ne reposant sur rien, en tout cas lorsque les fait se déroule en public. La sphère privée laisse éclater de façon croissante la folie infantile, violente et meurtrière de Francisco dans une esthétique cauchemardesque. 

Les cris de Gloria violentée traversent les pièces vides de la maison la nuit venue, et lorsqu’il suscitera le mépris plus que la peur à son épouse, la violence sera plus sournoise. Cela repose sur la manipulation et le chantage affectif en passant de la victimisation à la tyrannie, où l’on culpabilise l’autre pour mieux le faire revenir et resserrer l’étau. Buñuel fustige le système, que ce soit ce milieu bourgeois où ces maux doivent rester cachés, la famille et l’église plaçant la responsabilité sur la femme qui a forcément « mal agit », même involontairement pour ainsi provoquer l’ire de son époux si droit en société. 

 Buñuel illustre longtemps ce dérèglement à travers l’incompréhension et le regard apeuré de Gloria (notamment par le flashback), mais la bascule se fait progressivement pour adopter le point de vue perturbé de Francisco - le titre original traduisible en "Lui" signifiant d'ailleurs ces deux points de vue. Celui-ci crée les possibilités de ce déséquilibre (quand il pousse Gloria dans les bras de son avocat) et lorsque les fait ne peuvent conforter sa paranoïa, sa raison vacille jusqu’au point de non-retour. Buñuel se repose sur la prestation fiévreuse d’Arturo de Cordova et sur une mise en scène subtile qui distille peu à peu par le surréalisme la vision biaisée de Francisco. C’est captivant et précurseur, notamment du Vertigo d’Alfred Hitchcock (autre grand récit de pathologie et de contrôle d’un homme sur la femme qu’il aime) notamment avec cette scène où Francisco emmène Gloria dans un clocher. Cette approche à la fois hallucinée et entomologique sera si convaincante qu’elle servira d’exemple illustratif à Jacques Lacan a utilisé cet exemple pour décrire la paranoïa dans son séminaire de Sainte-Anne. 

Visible actuellement à la Cinématèque Française dans le cadre de la rétro Luis Buñuel

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