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vendredi 18 décembre 2020

Le Corrupteur - The Nightcomers, Michael Winner (1970)

Dans une grande demeure bourgeoise, après la mort de leurs parents dans un accident, deux enfants, Flora et Miles, sont confiés aux soins d'une jeune gouvernante, Miss Jessel. Mais c'est surtout Quint, le domestique irlandais, qui peu à peu impose son autorité sur la maisonnée, et en particulier sur Miss Jessel, qui se soumet à sa perverse domination. Dans le même temps, les enfants tombent également sous le charme diabolique du domestique.

Le Corrupteur est un scénario original faisant office de prequel au classique Le Tour d’écrou d’Henry James, et par extension à l’adaptation qu’en tira Jack Clayton avec le chef d’œuvre gothique Les Innocents (1961). Tout en respectant les non-dits et l’ambiguïté du roman d’Henry James, Jack Clayton avait réussi à en égaler le malaise avec quelques éléments troubles supplémentaires. L’esquisse des relations scandaleuses entre les domestiques disparus (et possiblement fantômes) Miss Jessel et Quint se laissaient deviner à travers le trouble de la gouvernante Miss Giddens (Deborah Kerr), tout cela de manière implicite à travers la mise en scène et le sens de l’atmosphère de Clayton. Michael Winner est un cinéaste bien plus frontal et son approche sur ce préquel (qui peut se voir sans avoir lu le roman ni vu le film de Clayton, même si cela se savoure d’autant plus en connaissant au moins l’un ou l’autre) est totalement différente. 

Le titre français Le Corrupteur est bien vu puisque le film se présente à la fois comme un récit de corruption morale, ou alors d’apprentissage tordu. Les jeunes Flora (Verna Harvey) et Miles (Christopher Ellis) vivent isolés et livrés à eux-mêmes dans leur manoir de campagne depuis la mort récente de leurs parents, gardée secrète par leur entourage. Ils n’ont pour repère que la vieille gouvernante Mrs Grose (Thora Hird), leur préceptrice Miss Jessel (Stephanie Beacham) et surtout le domestique irlandais Quint (Marlon Brando). Ce dernier est un partenaire de jeux facétieux dont la liberté de ton plaît aux enfants auxquels il répond avec franchise à toutes les interrogations (dont celle cruciale concernant le sort de leur parent). 

Le film en en subtilisant les quelques séquences « problématiques » pourrait vraiment se présenter comme un récit d’apprentissage naïf où Quint fait office de mentor aidant les enfants à grandir, et où ces derniers serviraient d’entremetteurs pour la romance qui va se nouer entre le domestique déclassé et l’institutrice au rang plus élevé (façon Le Messager de Joseph Losey (1971)). Plusieurs éléments vont dans ce sens, que ce soit la manière méprisante dont le tuteur légal (Harry Andrews) s’adresse à Quint, le mélange de gêne et d’attirance lors des entrevues publiques de Quint et Miss Jessel, ou encore le regard inquisiteur et indigné que pose Mrs Grose à leur possible rapprochement.

Mais justement c’est ce qui se passe à la dérobée, ce qui sort de l’imagerie pastorale bienveillante et romantique, qui intéresse Michael Winner. Chaque passage obligé de cette imagerie se voit dévoyé de la façon la plus sournoise. Les connaissances de Quint sur la faune et la flore servent ainsi à torturer une grenouille pour les enfants dès la scène d’ouverture. L’attirance entre Quint et Miss Jessel débouche sur une relation SM particulièrement corsée où l’institutrice subit les derniers outrages dans un sentiment mêlant la honte, le plaisir et la soumission. 

Michael Winner expose de manière crue tout ce qui était sous-entendu chez James sur papier ou Clayton dans sa version, ce qui pourra choquer les puristes mais tout l’intérêt repose justement sur cette approche différente - notamment l’esthétique puisque l’atmosphère rurale, automnale et terreuse de Winner ne renferme par le mystère et l’onirisme de Clayton. Le malheur n’intervient d’ailleurs pas à cause des failles des adultes, mais plutôt de l’interprétation qu’en font les enfants sans boussole morale. Winner pousse loin le malaise lorsque Miles ayant assisté aux ébats SM de Quint et Miss Jessel tente de les reproduire avec sa sœur Flora. La candeur et la spontanéité avec laquelle les enfants cherchent à rejouer ces mœurs adultes est la source de ce trouble, sans que les scènes aillent pourtant très loin. 

On comprend néanmoins le choix de jeunes acteurs un peu plus âgés que dans le roman ou le film de Clayton (Verna Harvey qui joue une fillette de 12 ans en avait même plutôt 19 mais l’illusion fonctionne). L’ambiguïté de Winner fait merveille dans la caractérisation de Quint et Miss Jessel, joués comme des êtres torturés plutôt que malfaisants par Marlon Brando et Stephanie Beacham. Quint parait ainsi parfois comme un mentor affranchi des conventions dans un sens positif (lorsqu’il donne aux enfants une explication de la mort sortant des notions religieuses) mais aussi comme un être puéril en soif de reconnaissance. Miss Jessel est un modèle féminin élégant et cultivé, mais aussi une femme soumise à ses désirs coupables - qui la dominent au fil de l'évolution de sa coiffure, passant du strict chignon aux cheveux lâchés durant le récit. En gros Quint et Miss Jessel font office de parents de substitution,  mais sans la capacité qu’ont naturellement de vrais parents à dissimuler certaines failles intimes que les enfants ne sont pas en âge de comprendre. 

Tout le film repose sur ce malentendu, mais amplifié par le sens de la provocation de Michael Winner. Ainsi les élans naïfs des enfants débouchent toujours sur une monstruosité, du fait de la désinhibition des adultes puis de la compréhension biaisée qu’en feront Miles et Flora. Une des séquences les plus mémorables est celle où Miles et Flora réussissent à organiser une entrevue intime pour Quint et Miss Jessel. La scène débute comme une vraie scène feutrée et romantique, mais Miss Jessel n’y cesse de provoquer Quint pour qu’il se déleste de sa bienséance pour la violenter et la souiller, car c'est ce qu’elle attend de lui – et ce qu’interprètent les enfants d’une relation homme/femme. La conclusion mémorable lorgne vers des sphères plus proches de Les Révoltés de l’an 2000 (1976) que du mélodrame victorien et psychologique, tout en faisant habilement la transition vers l’histoire officielle de Le Tour d’écrou

Sorti en dvd zone 2 français chez Studiocanal et en bluray anglais avec sous-titres anglais chez Network

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