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dimanche 14 mars 2021

La Femme d'à côté - François Truffaut (1981)


 Dans le passé, Bernard et Mathilde se sont aimés avec passion, puis séparés violemment. Sept ans plus tard, Mathilde et son mari viennent s'installer dans leur nouvelle maison, voisine de celle où habite Bernard, sa femme Arlette et leur petit garçon. Tout le monde se retrouve au club de tennis tenu par Madame Jouve, celle par qui cette histoire nous est contée. Mathilde et Bernard n'ont pas assez de sagesse pour devenir amis. Entre elle et lui, ce sera, comme le dit Madame Jouve, "ni avec toi ni sans toi".

François Truffaut a tout au long de son œuvre filmé toutes sortes d’amours. Celles juvéniles et inconsistantes de son alter-ego Antoine Doinel, les scandaleux et/ou retenus triangles amoureux de Jules et Jim (1962) et Les Deux anglaises et le continent (1970) ou encore celles torturée et obsessionnelles de La Sirène du Mississipi (1969) et L’Histoire d’Adèle H (1975). La Femme d’à côté apparait cependant surtout comme le miroir inversé et passionné de La Peau douce (1964), film froid et feutré sur l’adultère. Eternel amoureux dans la vie, Truffaut tire ainsi souvent ses récits sentimentaux de ses réelles déconvenues avec les femmes. La Peau douce était en partie inspiré de ses romances coupables avec Marie-France Pisier et Liliane David et alors qu’il était marié et attends un enfant avec Madeleine Morgenstern. La Femme d’à côté s’inspirera quant à lui de la relation passionnelle qu’entretint Truffaut avec Catherine Deneuve durant deux ans, et dont la rupture le plongea dans une profonde dépression. 

Au moment de tourner le film, Truffaut nourrit un certain recul sur le désordre émotionnel que pu lui causer cette relation (recul symbolisé à l’écran par le personnage bienveillant de Madame Jouve incarné par Véronique Silver) et souhaite filmer l’histoire de retrouvailles amoureuses après une longue et douloureuse séparation. Le déclic viendra avec la découverte de Fanny Ardant qu’il découvre à la télévision (comme Isabelle Adjani quelques années plus tôt) dans le feuilleton Les Dames de la côte. Tombé sous le charme il contacte la jeune actrice (qui deviendra sa compagne) dont il distingue le potentiel de couple de cinéma avec Gérard Depardieu durant la triomphale cérémonie des Césars 1980 qui verra Le Dernier Métro remporter 10 récompenses. C’est justement en réaction à la lourde logistique de ce précédent film que Truffaut souhaite faire de La Femme d’à côté une œuvre plus intimiste, dont le cadre provincial ordinaire et le vis-à-vis minimaliste de voisinage offre un contrepoint sobre à l’urgence de sentiments à vifs. 

C’est cette normalité que cherche à traduire dans les premières images, par la sobriété de l’environnement et de ses protagonistes. Un long plan fixe montre Bernard (Gérard Depardieu) pénétrer dans le cadre où l’on voit jouer son fils et arriver chez lui. L’élément perturbateur vient de la maison d’en face bientôt dotée de nouveau habitants, qui se révèleront en contrechamps ou en panoramique tout au long du film. Cette maison voisine représente à la fois une proximité ordinaire et une réminiscence plus douloureuse et supposément oubliée du passé. C’est de cette façon que se font les retrouvailles de Bernard et Mathilde (Fanny Ardant), cette dernière se révélant en amorce lorsqu’elle descend des escaliers et s’imposant à la vue de son ancien amant. Truffaut parvient à traduire explicitement et implicitement la gêne et la surprise de ces retrouvailles, l’embarras souriant de Mathilde s’imposant plein cadre à travers le regard subjectif de Bernard dont la réaction sans mot s’impose par le fondu au noir. Trois sentiments agitent les deux amants tout au long du récit. La fébrilité face à la proximité de cet amour passé et un refus d’y céder qui perturbe le quotidien reconstruit. Ou bien l’attente trouble du rapprochement que l’on cherche à provoquer presque malgré nous malgré ce que l’on y risque. Et enfin l’union salvatrice et destructrice qui ravive une passion tumultueuse et maladive. Bernard Et Mathilde alterne ainsi les rôles de poursuivant et de poursuivi, le mal-être de l’amour espéré ou la vulnérabilité de celui obtenu que l’on craint de perdre à nouveau.

Toute la force romanesque du récit repose sur l’usage du trivial, du quotidien pour exprimer la fièvre qui agite les personnages. Un appel téléphonique simultané, la simple observation depuis sa fenêtre de l’activité dans la maison d’en face, tout cela constitue des petits rien qui révèle la dépendance mutuelle de chacun, implicite et retenue avant de devenir intenable et exploser aux yeux de tous. Le contraste entre l’environnement terre à terre et les réactions emportées des personnages touche du doigt cette normalité trop étriquée pour la passion qui agite le couple. Chaque tentative de nouer un rapport amical et apaisé débouche donc sur ce déséquilibre entre arrière-plan quelconque et avant-plan tourmenté. La réaction de Mathilde qui s’effondre dans le parking après un baiser autant craint qu’espéré est presque l’analogie d’un junkie qui replonge après avoir été longtemps sevrée. Il en va de même pour Bernard lors de son explosion envers Mathilde lors de la réunion de voisin. Truffaut conclut même la scène en posant un regard distant pour signifier ce décalage avec le tableau de convivialité vu à travers une baie vitrée, perturbé par la violence de Bernard envers Mathilde. L’amour de la souffrance de l’autre est un feu donc ils se nourrissent mutuellement, et chacun ne sera jamais autant plus perturbé que quand l’autre semble capable de se remettre de notre absence. 

Pour rompre le sortilège, il n’y a que la mort. La petite mort pour momentanément reprendre son souffle, la vraie mort qui guérit si l’on en revient comme la bienveillante Madame Jouve, où alors nous emporte et apaise définitivement. François Truffant offre avec La Femme d’à côté une de ses œuvres les plus accomplies, exprimant avec une force rare la dimension déraisonnable et volcanique de la passion amoureuse.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Mk2

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