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dimanche 30 mai 2021

Les Nuits de Cabiria - Le notti di Cabiria, Federico Fellini (1957)

Cabiria se prostitue pour vivre, mais cette condition ne l'empêche pas d'être d'une désarmante confiance… Ses "collègues" peuvent bien la railler, elle se défend avec la force que lui donnent ses rêves et espoirs d'une vie meilleure, et rebondit toujours après chaque déconvenue...

Les Nuits de Cabiria est une des œuvres qui contribue à la reconnaissance internationale de Federico Fellini, à travers ses deux récompenses au Festival de Cannes 1957 - Prix d'interprétation féminine pour Giulietta Masina et Mention spéciale prix OCIC (Office catholique international du cinéma) à Federico Fellini – et son Oscar du meilleur film étranger en 1958. C’est également un film qui poursuit la bascule des racines néoréaliste de Fellini vers sa patte onirique et surréaliste tout au long de sa filmographie des années 50, avant la rupture que constituera La Dolce Vita (1960). Cette oscillation est au cœur du sujet du film et ce jusque dans son titre. Cabiria se rattache au monde du rêve et du mythe puisqu’il évoque le péplum éponyme de 1914 qui représente un des plus fameux films muets du cinéma italien. D’un autre côté il évoque plutôt la fange puisque le personnage de Fellini s’inspire d’une vraie rencontre qu’il fit avec une femme pauvre vivant dans une maison isolée à la périphérie de Rome comme dans le film, mais qui malgré sa misérable condition s’attachait à garder un intérieur tenu et faisait preuve d’une gouaille saisissante. Fasciné, Fellini fait apparaître la prostituée Cabiria déjà interprétée par son épouse Giulietta Masina dans Le Cheikh blanc (1952). 

La scène d’ouverture illustre à merveille l’opposition entre le fantasme de l’idéal amoureux de Cabiria et la réalité sordide dans laquelle elle baigne. On découvre un couple d’amoureux avançant dans un paysage rural et ensoleillé dans une série de plan d’ensemble lointains qui forme une sorte de tableau idyllique. Lorsqu’ils sont filmés de plus près, seul le visage de Cabiria exprime un sentiment amoureux sincère tandis que son compagnon s’avère plus froid derrière ses lunettes noires. Dans l’instant qui suit, il va la jeter à l’eau pour s’enfuir avec son sac à main. Tout l’éphémère de cet espoir d’être aimée et heureuse se heurte en cet instant à la vérité de sa solitude et de son désespoir. Tout le film reproduit ce schéma dans un récit sans fil rouge narratif, si ce n’est la quête intime de Cabiria à travers l’errance de ses pérégrinations nocturnes. Cabiria est une figure à la marge dans cette quête d’absolu ce qui s'illustre de différentes façons. Sa gouaille et son franc-parler affirme ce désir d’ailleurs dans la manière dont elle cherche à se différencier de ses autres compagnes d’infortunes prostituées. Elle a cherché une forme d’indépendance avec cette maison qu'elle possède mais qui exprime aussi sa solitude, petit amas de bric jurant avec le no man’s land qui l’entoure. Elle « travaille » à son compte contrairement à ses collègues sous le joug de proxénète vivant à leur crochet. Cabiria rêve que la rencontre avec l’homme qu’elle aime passe par l’élévation de sa condition mais tant qu’elle n’est condamnée qu’à survivre, elle défendra farouchement sa liberté.

Fellini travaille donc cet espoir de Cabiria en faisant de chaque occasion potentielle une échappée onirique montrant, comme souvent chez le réalisateur, le revers lumineux et oppressant du rêve. Plus Cabiria gagne ou en tout cas expose sa candeur et vulnérabilité dans son environnement hostile, moins les contours de ce rêve seront superficiels. Le triomphe est donc purement narcissique quand sa route croise celle de l’acteur Alberto Lazzari (Amedeo Nazzari presque dans son propre rôle d’homme à femmes ténébreux) qu’elle va distraire alors qu’il a le cœur brisé par une rupture amoureuse. Ce ailleurs qu’elle va côtoyer à travers lui reposera plus sur le luxe des environnements, où Cabiria se démarque par sa spontanéité (cette danse mambo endiablée, loin des pas corsetés des autres convives) et attendri le cœur meurtri de Lazzari. Fellini façonne un écrin à la fois féérique et trivial en faisant traverser la silhouette d’une Cabiria émerveillée dans le faste de la demeure de Lazzari et crée une tendre et éphémère complicité entre eux. Simple spectatrice d’une romance dont elle est étrangère, Cabiria quitte les lieux en catimini au petit matin, et Fellini traduit ce nouveau retour au réel par un magnifique fondu enchaîné où notre héroïne passe du corridor de la maison à la route sinueuse qui la ramène chez elle. 

Fellini met ainsi en parallèle les raccourcis trop clinquants vers cet idéal avec une crudité néoréaliste. La séquence frénétique où Cabiria va se recueillir à l’église avec d’autres misérables est la dénonciation d’un espoir superficiel dans la supplique vaine. A l’inverse la rencontre nocturne avec ce bienfaiteur nourrissant les pauvres tapis dans des cavernes insalubres montre une manière désintéressée d’atteindre la grâce à Cabiria. Fellini affirma d’ailleurs que cette scène, coupée dans le premier montage du film (et rétablie dans le Blu-ray Carlotta) le fut à la demande des censeurs de l’église qui ne toléraient pas que l’église soit montrée implicitement comme une impasse et qu’un « laïc » affirme en opposition une attitude empathique envers les démunis sans l’étendard de la religion. Giulietta Masina est merveilleuse pour exprimer cette candeur croissante que révèle Cabiria sous la cuirasse qu’exige sa condition, et plus le film avance plus ce penchant domine dans son caractère. Elle cesse de se protéger dans le réel et s’exposer dans le fantasme pour être prête à se donner entière à celui qui saura l’aimer. 

La séquence d’hypnose sur scène est aussi magique que cruelle pour traduire ce sentiment et le nom de son prétendant du réel rejoindra celui qu’elle a invoqué sous hypnose, Oscar (François Périer). Cet amoureux de rêve, aimant et sans jugement, s’incarne dans la réalité mais c’est bien quand leur union atteindra dans l’esthétique conférée par Fellini la magie du rêve que l’illusion s’estompera cruellement. Toute la dernière partie est un miroir magnifié de la scène d’ouverture avec une Cabiria transie d’amour et top confiante, tandis que les noirs desseins d’Oscar se révèlent dans un crépuscule d’un romantisme trop parfait. Fellini affirmait avoir voulut avec Les Nuits de Cabiria façonner une sorte de « Don Quichotte » au féminin. La poursuite de la chimère d’un bonheur qui se refuse à elle semble ne s’arrêtera jamais vraiment pour Cabiria, et l’émotion poignante qu’elle exprime lors de la conclusion face à une jeunesse enjouée (et portée par le somptueux score de Nino Rota) affirme cette détermination fragile.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Tamasa

vendredi 28 mai 2021

Lutte sans merci - 13 West Street, Philip Leacock (1962)


 Agressé et blessé par cinq loubards, l'ingénieur Walt Sherill exige justice. L'enquête de la police étant trop lente à son goût, il prend les choses en main. De plus en plus aveuglé par une soif de vengence, il va perdre son emploi et mettre ses proches en danger...

Lutte sans merci est une œuvre qui anticipe en quelque sorte les films de "vigilante" et d'auto-justice qui fleuriront lors de la décennie suivante dans le sillage du controversé Un Justicier dans la ville de Michael Winner. Adapté d'un roman noir de Leigh Brackett, il s'agit de l'avant-dernier film d'un Alan Ladd en bout de cours tant commercialement que physiquement. Cela joue également sur son personnage, vulnérable, vieillissant et diminué face à la brutalité de ses agresseurs et qui retrouve peu à peu la vigueur de ses grandes interprétations viriles du western ou film noir quand il cherchera à se venger par lui-même. La mise en scène un peu molle de Philip Leacock (les affreuses poursuites en voiture accélérées) peine à installer le climat de menace urbaine qu'on attend dans ce type de récit, ce qui tombe finalement bien puisque ce n'est pas le propos du film. 

Si la violence qui se heurtera au héros est également sociale, elle ne viendra pas comme c'est souvent le cas des couches défavorisées de la société mais plutôt de jeunes nantis au sentiment de toute puissance et d'impunité. Cet état se prolonge à la nature de leur parent plein de mépris et de défiance face à la police représenté par Rod Steiger, et du coup à l'humiliation dans sa virilité ressentie par Alan Ladd s'ajoute cette injustice sociale. Le récit met donc en parallèle deux notions de justice, celle légale, minutieuse et (trop) lente du flic Rod Steiger et l'autre expéditive, personnelle et vengeresse d'Alan Ladd. On arrivera finalement à la même conclusion et les mêmes coupables, mais quand la quête "neutre" de la police maintien une certaine idée de l'ordre public celle d'Alan Ladd lui fait perdre progressivement son humanité. 

Son intervention causera une suite de dommage collatéraux chez ceux qu'il traque mais également dans son entourage avec sa femme (Dolores Dor) qui assiste médusée à la métamorphose de l'homme qu'elle aime. C'est plutôt sur ce conflit moral que le film fonctionne, même si l'on reste néanmoins frappé par quelques fulgurantes montées de violence. Le tabassage arbitraire d'Alan Ladd en ouverture fait son petit effet, ou même la tentative de viol de Dolores Dor qui annonce les gros dérapages putassiers de Michael Winner. Une œuvre imparfaite mais plutôt intéressante donc. 


 Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis

 

mardi 25 mai 2021

Play-Boy Party - L'ombrellone, Dino Risi (1965)


 Enrico Marletti est un ingénieur quadragénaire qui déteste la mer et la foule. Resté à Rome, vide de ses habitants partis en vacances, il s'apprête à rejoindre son épouse Giuliana, en vacances depuis trois semaines à Riccione afin de passer ferragosto avec elle. À Riccione, il fait la connaissance de personnages typiques des centres balnéaires et prend conscience que son épouse est en confusion sentimentale.

L'ombrellone est un opus injustement méconnu de Dino Risi qui fait en quelque sorte le pont entre les grandes comédies italiennes « estivales ». Ces dernières sont souvent une photographie saisissante de la société italienne d’alors dans les enjeux qui se nouent dans ces périodes de congés. Dans Dimanche d’août de Luciano Emmer (1950), les vacances sont synonymes de brève respiration dans l’Italie pauvre d’après-guerre mais où la peur des lendemains difficiles plane encore sur les protagonistes. Le Fanfaron de Dino Risi (1962) représente quant à lui l’insouciance de l’Italie du boom économique, celle où l’on se libère des entraves morales d’antan mais où la course au paraître peut conduire à sa perte. L’ombrellone illustre lui l’étape suivante, libérée des contingences économiques dans une Italie prospère et où le questionnement se fait désormais plus intime, à l’échelle du couple. 

Le film est profondément radieux, solaire et tapageur tout en exprimant un profond malaise latent dans le couple que forme Enrico (Enrico Maria Salerno) et Giuliana (Sandra Milo). Venu rejoindre Giulana sur leur lieu de vacances où elle séjourne déjà depuis trois semaines, Enrico constate immédiatement le fossé qui existe soudain entre eux. Giuliana se dérobe à toute intimité sociale comme charnelle avec son époux pour privilégier la compagnie des nombreuses et bruyantes nouvelles connaissances faites sur place qui les entraîne dans un tourbillon ininterrompu de fêtes, beuveries, et autre activité estivales futiles. Le tempérament terre à terre d’Enrico se heurte à l’envie frénétique d’évasion de Giuliana, le questionnant sur la perspective que cette volonté de mouvement perpétuel aille jusqu’à une possible infidélité. Dino Risi brosse un portrait savoureux de cette faune des cités balnéaires, entre les vieux libidineux, les commères, les gigolos, les séductrices nymphomanes ou les excentriques inclassables nous offrant quelques rencontres totalement « autre » (la dame cherchant perpétuellement son chien, la grand-mère et ses brûlures d’estomac…). 

La langueur de l’été semble libérer toutes les petites bassesses mais Dino Risi ne va pas sur des terrains aussi sombres que le récit l’aurait permis. Nous sommes plus dans le registre de l’étude de mœurs que la satire corrosive et le réalisateur reste dans un entre-deux captivant pour tous les comportements qu’il dépeint. C’est visible dès la rencontre avec le gigolo Sergio (Jean Sorel) qu’Enrico soupçonne à tort d’être l’amant de sa femme avec de se lier d’amitié avec lui. Risi montre le versant hédoniste et froidement calculateur de Sergio tout en montrant l’autre pendant des épouses légitimes (mariées à des hommes plus âgés et dont on peut soupçonner que c’est par intérêt) lui tombant dans les bras, ce qui fait de ce moment et de ce lieu un espace d’aventures éphémère où il est bien compliqué d’appliquer un jugement moral aux uns ou aux autres. Il en va de même pour la tentation de Giuliana envers un bellâtre érudit qui la change du plus rustre Enrico, tandis que ce dernier laisse parfois traîner un peu trop longtemps son regard sur les belles plantes courts vêtues qui traversent la plage. 

Les situations de franchir le pas, de commettre l’irréparable, sont bien là mais sans se concrétiser. Nul jugement moral de la part de Risi qui cherche avant tout à capturer le vase-clos, la bulle que représente ce moment estival éphémère. C’est une période qui ravive la mélancolie de ce qui nous manque dans la réalité du quotidien et ouvre la possibilité assumée ou pas de la transgression. Ainsi l’imagerie solaire, l’ambiance festive et la langueur sensuelle constante de l’été est constamment baignée d’un parfum de spleen par Risi qui manie à merveille cette tonalité contrastée. 

Il n’y a aucun réels soubresauts tragiques mais des relents de tristesse sous le bruit et les rires. Sandra Milo représente cela à merveille dans sa prestation faisant surgir à contretemps les larmes de Giuliana, forçant les éclats de rires pour masquer son vague à l’âme.  C’est une approche subtile qui traduit à merveille les sentiments pas si évidents qui nous agitent dans la période supposément la plus attendue de l’année, les vacances. C’est aussi avec une belle pudeur qu’il signe les retrouvailles du couple, une soudaine humeur changeante rendant la réconciliation possible sans dialogues ou scènes dramatiques appuyées pour expliciter le renouveau. Un sourire, un baiser et le soleil éclatant suffisent. 

Disponible sur Netflix 

dimanche 23 mai 2021

Les Vitelloni - I vitelloni, Federico Fellini (1953)

Dans une petite ville balnéaire animée par le seul Carnaval et la période des vacances, cinq jeunes gens mènent une vie désœuvrée, d'inutiles, qui leur vaut d'être appelés "Vitelloni", les Gros veaux.

Troisième film de Federico Fellini, Les Vitelloni est l’œuvre qui pose définitivement les jalons de l’œuvre du réalisateur. On le constate tout d’abord par sa dimension autobiographique et la manière dont il fait sien le sujet initialement écrit par Ennio Flaiano. Le film dépeint sous forme de chronique l’errance d’un groupe de cinq jeunes gens dans une cité balnéaire provinciale. Ennio Flaiano avait situé l’intrigue dans sa ville natale de Pescara, mais Fellini en arrivant sur le projet déplace le récit à Rimini. Cela a pour but d’agir pour comme une sorte d’exorcisme, lui qui craignit également plus jeune de ne jamais pouvoir échapper à l’ennui de sa province natale. Le film revêt donc volontairement dans certains personnages, situations et même choix de casting (son propre frère Riccardo Fellini qui joue un des cinq larrons) de vraies réminiscences avec les souvenirs de Federico Fellini.  

« Vitelloni » est une expression populaire utilisée à Pescara désignant les jeunes oisifs, sans emploi ni contraintes conjugales, passant leur journée au bar. C’est précisément la situation de Fausto (Franco Fabrizi), Moraldo (Franco Interlenghi), Alberto (Alberto Sordi), Leopoldo (Leopoldo Trieste) et Riccardo (Riccardo Fellini) à la fois trop vieux pour cette passivité sans but, et encore trop jeune pour un réel renoncement et aspirer à autre chose, ailleurs. Cet entre-deux s’incarne aussi dans leur situation personnelle qui les voit refuser les responsabilités familiales (épouse, enfant) qui les forceraient à changer d’existence, tout en vivant presque tous encore aux crochets financiers de leurs familles. Ils sont coincés entre l’adolescence prolongée et l’âge adulte qu’ils n’osent pas endosser en quitter le cocon de foyer, de leur ville. Le récit alterne ainsi les rires immatures le temps des fêtes et déambulations nocturnes avec d’autres moments de mélancolie suspendue où les protagonistes se confrontent à cet avenir sans espoirs. Cela repose parfois sur une pure idée formelle comme lorsque les cinq observent silencieusement l’horizon sur une plage qui hormis lors de la scène d’ouverture festive, est plutôt synonyme de solitude et de désolation. Fellini fait d’ailleurs reposer ce sentiment sur des ressorts bien distincts entre les trois personnages principaux que sont Moraldo, Fausto et Alberto, chacun rattrapé à leur manière dans leur fuite en avant.

Fellini trouve le juste équilibre pour montrer les travers de ses protagonistes sans les juger et juste observer leur incapacité à trouver leur voie. Fausto voit dans sa capacité de séduction le dernier atout qui le rattache à sa jeunesse, la conquête féminine futile constituant une alternative plus exaltante que sa jeune épouse (Leonora Ruffo) représentant toutes les contraintes (enfant, travail…) auxquelles il ne peut plus échapper. Alberto Sordi exprime avec une rare finesse toutes les contradictions du mâle italien qu’il symbolisera sur un mode plus outrancier dans toutes ses grandes comédies à venir. C’est l’impossibilité de se placer en figure patriarcale tant dans le contexte du social de la famille (les reproches forcés à l’aventure illégitime de sa sœur qui aura le courage de faire un choix), qu’économique par l’absence d’emploi, mais finalement aussi virile puisque c’est symboliquement alors qu’il est fin saoul et déguisé en femme que tous les manques précédents lui explosent à la figure.

Moraldo est le vrai double de Fellini dans ce cadre, jeune homme doux et rêveur n’ayant su trouver le courage et la vraie raison d’aller voir ailleurs. C’est l’inconséquence de ses amis et notamment le comportement de Fausto envers sa sœur qui motiveront sa décision. On retiendra avant tout les magnifiques scènes d’errances dans les rues désertes et les rencontres avec le jeune cheminot (Guido Martufi). Ces moments prennent un sens double. Dans le cadre du récit, le cheminot dans cet enfant courageux et travailleur un reflet inversé de lui-même son aîné adulte, oisif et bourgeois. Franco Interlenghi fut un des enfants acteurs symbole du néoréalisme avec le rôle qu’il tint à quinze ans dans Sciuscià de Vittorio De Sica et Fellini confronte en quelque sorte le jeune adulte égaré qu’il est devenu à l’image courageuse qui pu représenter. 

Le dernier aspect où Fellini travaille ce contraste réside dans les scènes festives qui ponctuent le film. Le registre surréaliste et onirique du réalisateur s’y exprime avec brio tout en trouvant une finalité dramatique où la cruauté du réel rattrape les protagonistes. Le film s’ouvre sur une élection de concours de beauté dont les joies sont interrompues par une averse, et symboliquement exprime la fin de l’innocence pour Fausto quand la gagnante Sandra s’avérera être enceinte de lui. Plus tard le bal costumé offre un pur moment d’extravagances fellinienne suivit par un lendemain qui déchante pour Alberto. Enfin la représentation théâtrale signifie un aboutissement pour Leopoldo qui touche du doigts ses ambitions intellectuelles et artistiques avant de tout perdre, alors que Fausto s’offre un dernier moment d’ivresse de mettre son couple en péril. L’emphase formelle se fait charnelle, festive et même inquiétante (Leopoldo face aux possibles avance du grand acteur) pour illustrer toute la nuance et le contrepoint de l’oubli de soi de ces séquences. Le regard attendri de Fellini réside dans une conclusion ouverte où la maturité, l’échappée est une voie tout aussi envisageable que l’éternel recommencement du surplace. 

Sorti en bluray chez Tamasa